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Notre histoire en archives : analyse de style – Delphine Bégin en quatre temps

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Photo : BANQ
Bibliothèque et archives nationales du Québec à Sherbrooke Par Bibliothèque et archives nationales du Québec à Sherbrooke
archives.sherbrooke@banq.qc.ca
Vendredi le 6 décembre 2024

 

Notre histoire en archives : Analyse de style - Delphine Bégin en quatre temps

Par Julie Roy, archiviste-coordonnatrice aux Archives nationales à Sherbrooke

 

Delphine Bégin au centre, avec à droite Ernest Lacharité et Marie Fortier, son épouse, avant 1940. Archives nationales à Sherbrooke, fonds Sylvio Lacharité (P3). Photographe non identifié.

Nos photographies familiales illustrent parfaitement bien le passage des décennies et des différents styles vestimentaires. Les photos offrent cette possibilité d'un retour en arrière et nos regards peuvent en être amusés.

Malgré les caprices de la mode, certaines personnes se distinguent par leurs goûts assez sûrs. C'est le cas de Delphine Bégin (1885-1940), dont les portraits nous permettent aujourd'hui de faire une intéressante analyse de style.

Originaire de Lambton et Sherbrookoise d'adoption, Delphine a vécu à une époque où l'habit féminin a connu des revirements spectaculaires. En effet, le rationnement des matériaux pendant la Première Guerre mondiale a modifié définitivement les styles vestimentaires. En l'espace d'une décennie, les femmes sont passées d'une tenue qui cachait le plus de peau possible et qui entravait le corps à une mode plus courte, plus souple et plus libre qui devait percuter les années 1920 : quel bond drastique en si peu de temps!

Les photographies que nous vous présentons aujourd'hui sont issues du fonds Sylvio Lacharité, chef d'orchestre sherbrookois. En effet, Delphine est une cousine maternelle de Marie Fortier, la mère de Sylvio : on les retrouve sur plusieurs photographies, bras dessus bras dessous, tout le long des diverses époques de leur vie. Si les portraits de Delphine Bégin ne sont pas toujours identifiés, la dame est cependant reconnaissable par la présence d'une fossette au menton.

Voici donc Delphine Bégin en quatre temps.

Années 1900

Delphine Bégin à l'Hôtel Queen, vers 1905. Archives nationales à Sherbrooke, fonds Sylvio Lacharité (P3). Photographe non identifié.

Dans la jeune vingtaine, Delphine Bégin habite en pension chez Ernest Lacharité et Marie Fortier, sur la rue Gillespie à Sherbrooke. Célibataire, elle est serveuse dans un hôtel.

La voici sur une galerie de l'Hôtel Queen vers 1905. Construit au centre tumultueux de la ville de Sherbrooke en 1902, cet établissement se trouve à proximité de la gare de train Union et fait face au marché Lansdowne. Au second plan de la photo, on aperçoit la devanture de la Walter Blue & Co., qui était située à l'équivalent de l'intersection des rues King Ouest et des Grandes-Fourches Nord. À l'époque, cette usine est le plus gros fabricant de vêtements de la ville. Elle embauche principalement des femmes.

La Delphine des années 1900 porte la robe longue. Les volants de la jupe, la chemise bouffante et les manches amples chargent le regard par ce qui nous semble être aujourd'hui un surplus de tissus, signe qu'il s'agit d'une mode de l'avant-guerre. Le collet se porte très haut, comme un gage de la modestie féminine, et est orné d'une broche centrale, seul bijou sur cette photo. La taille est cintrée et moulée par un corset. La chevelure abondante est domptée et maintenue à l'arrière par une grande boucle. Il se dégage de cette tenue une réelle sévérité. Même la montre à chaînette, attachée au niveau du cœur, tend à rappeler que chaque minute doit être contrôlée, comme la tenue, comme les mouvements...

Années 1910

 

Joseph Amédée Bilodeau et Delphine Bégin, vers le 8 novembre 1911. Archives nationales à Sherbrooke, fonds Sylvio Lacharité (P3). Photo : A. Z. Pinsonneault.

Le 8 novembre 1911, Delphine Bégin épouse Amédée Bilodeau, alors commis dans un magasin de fruits de Sherbrooke. Au passage frontalier, en 1919, il déclare être dans l'entreprise du sucre à Sherbrooke; au recensement américain de 1920, il est camionneur pour une boulangerie à Lowell au Massachusetts; au recensement canadien de 1921, il est gérant d'un hôtel à Rock Island... Bref, l'homme a la bougeotte professionnelle, entraînant son épouse avec lui au gré des déménagements.

La Delphine des années 1910 arbore une couleur pâle, éclairant ainsi le visage de celle qui a tout pour être heureuse en ces instants de grands bonheurs. La tenue est décidément adoucie par rapport à celle de la décennie précédente. Le collet en dentelle agit comme un socle sur lequel repose une belle tournure de tête, la chevelure complètement remontée.

Contrairement au corset en S de la décennie précédente, les années 1910 voient apparaître le corset dit ligne normale. La robe est encore longue à cette époque, mais ce n'est que pour un court laps de temps : la Première Guerre mondiale viendra bouleverser tous les domaines, la mode y compris.

 

Les années 1920

 

Delphine Bégin dans une robe de jour, entre 1925 et 1929. Archives nationales à Sherbrooke, fonds Sylvio Lacharité (P3). Photo : Nakash Studio Sherbrooke.

 

Pendant la Première Guerre mondiale, le rationnement du textile et du métal, des matériaux employés dans la fabrication des vêtements et des corsets, change la mode radicalement. Ainsi, à partir de cette époque, les robes des dames raccourcissent et les corsets laissent place aux bustiers, gaines et soutiens-gorge.

La Delphine des années 1920 se présente dans une robe tubulaire à manches près du corps et à taille très basse, rehaussée par un plissé de tissu. Un appliqué en dentelle agit à titre de col; le cou est enfin dégagé.

Sur cette photo, on ne voit pas la longueur de la robe, mais l'ourlet devait arriver juste sous le genou. Le port du corset disparaît et est remplacé par un bandeau ayant la propriété d'écraser la poitrine en conformité avec le style à la garçonne en vigueur à l'époque.

Quant à la coiffure courte à vagues, le style ne trompe pas : elle est bien des années 1920. Les vagues bordant le visage sont créées à partir d'une coupe au carré selon deux techniques de mise en plis. La première est la technique vague de doigt, qui consiste à créer des ondulations incurvées en forme de S maintenues en place grâce à des pinces, lesquelles sont retirées après le séchage. La deuxième est le Marcelling, du nom de son inventeur, le styliste Marcel Grateau : les cheveux sont crantés à l'aide de pinces chaudes ou d'un fer à friser ondulé.

 

Delphine Bégin dans une robe de soirée, années 1920. Archives nationales à Sherbrooke, fonds Sylvio Lacharité (P3). Photo : A. Z. Pinsonneault.

Libérée du corset, la Delphine des années 1920 apparaît sous nos yeux dans une robe de soirée sans contrainte de mouvement : le tissu est fluide et la coupe n'est pas cintrée. Parée de plumes et d'appliqués de perles cousues, l'élégante toilette jaune est complétée par des chaussures Mary Jane à gros talon, pourvues d'une bride sur le dessus qui retient bien le pied. Un double rang de perles, synonyme d'élégance, rehausse l'ensemble. On la croirait prête à danser le charleston!

Et pourtant! Un événement tragique viendra assombrir les jours de Delphine : son époux, Amédée Bilodeau, sera tué en 1925, à l'âge de 39 ans, par un agent américain de l'escouade des narcotiques de Boston. Bilodeau et des comparses ont été attirés dans un guet-apens de trafic de cocaïne sur la ligne frontalière qui sépare les États-Unis et le Canada. L'enjeu a été de découvrir si Bilodeau avait été tué en sol canadien ou en sol américain, cette dernière probabilité pouvant entraîner un incident diplomatique entre les deux pays. À l'époque, cet événement a fait les manchettes dans plusieurs journaux du Québec et a eu des répercussions jusqu'au Parlement fédéral à Ottawa. En 1930, Fred Mertz, l'agent américain impliqué dans la mort de Bilodeau, est arrêté au Texas.

Années 1930

 

Delphine Bégin à l'avant-plan au centre, années 1930. Archives nationales à Sherbrooke, fonds Sylvio Lacharité (P3). Photographe non identifié.

 

Dans les années 1930, dans la foulée du décès médiatisé de son mari, les journaux régionaux de l'époque continuent de suivre Delphine Bégin, connue pour être « Mme Amédée Bilodeau de la rue Aberdeen » à Sherbrooke. Les chroniques sociales rapportent les visites qu'elle reçoit ainsi que ses déplacements à l'extérieur de la ville : Montréal, Farnham, Drummondville, Boston, New York, Laconia, Carthage, etc. Cette veuve à la vie sociale épanouie ne s'est jamais remariée après le décès de son mari. Au recensement canadien de 1931, Delphine est maîtresse du logis et héberge trois logeurs, dont deux employés de restaurant d'origine grecque immigrés en 1927.

Delphine Bégin en robe de cérémonie, après 1932. Archives nationales à Sherbrooke, fonds Sylvio Lacharité (P3). Photo : Van Dyck.

 

Sur cette photo prise de pied en cap, puis colorisée, la Delphine des années 1930 prend une pose plutôt sérieuse dans cette robe de cérémonie, c'est-à-dire longue à la cheville, comparativement à la robe de jour qui arrête sous le genou. La robe verte en lainage doux, taillée sur le biais, moule partiellement le corps et se termine en jupe à godets. Elle est ornée de motifs de tissage lignés en biseau. L'encolure en V, retenue par une pince, laisse entrevoir un chemisier jaune avec des imprimés de paysage japonais d'où jaillissent des manches gigots, avec un retour sur une manche ajustée jusqu'au poignet. La taille est soulignée par une étroite ceinture ornée d'un fermoir bijou.

Les sourcils de Delphine ont été rasés puis redessinés au crayon, finement, en demi-cercle, plus haut que la ligne naturelle. Cette mode, typique des années 1930, est portée à l'écran par plusieurs actrices, telles Greta Garbo ou Marlene Dietrich.

À l'aube des années 1940

Delphine Bégin ne connaîtra pas la décennie suivante bien longtemps. Elle décède à Sherbrooke le 29 décembre 1940, à l'âge de 55 ans. Aucun enfant n'était né de son mariage, mais elle avait « adopté » deux enfants d'origine africaine qu'elle soutenait dans leur éducation depuis 1919. Elle a vécu le drame de perdre son mari, tué en 1925. Devenant veuve à 39 ans et ne s'étant jamais remariée, elle laisse l'image d'une femme épanouie qui a su créer sa propre vie au centre d'un réseau social bien tissé. Delphine Bégin aura traversé les décennies mouvementées avec élégance, suivant néanmoins les caprices de la mode, tels que dévoilés dans cette intéressante analyse de style.

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225, rue Frontenac, bureau 401 

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