Je l'ai écrit dans mes chroniques précédentes. L'actuelle crise de la pandémie fait ressortir le meilleur et le pire de ce que nous sommes. La peur et l'anxiété que provoque une maladie menant à une mort possible laissent place à bien des craintes et à des réactions intempestives. C'est notamment le cas dans l'espèce de ressac que l'on voit poindre un peu partout contre Montréal qui est le centre de la pandémie au Canada.
Montréal, cette grande cité que l'on percevait déjà comme un autre Québec a besoin ces temps-ci de la solidarité et de l'empathie de tous les Québécois. Ce n'est pas le temps de se laisser aller à l'expression de nos pires préjugés et de nous désolidariser d'une partie de nous-mêmes. Réflexion sur la montée des préjugés et de l'anxiété en tant de pandémie envers Montréal et ses habitants.
Montréalais pure laine
D'entrée de jeu, je dois confesser mon préjugé favorable envers cette ville qui m'a vu naître. Montréal représente pour moi tous mes souvenirs d'enfance et d'adolescence. Montréal a aussi été le théâtre de ma politisation précoce puisque j'ai assisté de visu à de nombreux événements qui sont au cœur de notre mémoire politique récente et qui constituent des jalons importants de notre histoire commune. Pensons aux manifestations monstres contre le bill 63 sur la langue française, le discours de Charles de Gaulle sur le balcon de l'hôtel de ville, la grève générale de la police et des pompiers, la crise d'octobre avec les militaires de l'armée canadienne sur notre chemin pour aller à l'école, l'ouverture du métro de Montréal, l'exposition universelle de Montréal, la venue des Expos au parc Jarry, les multiples défilés de la Coupe Stanley des Canadiens de Montréal et tant d'autres souvenirs qui ont façonné qui je suis aujourd'hui. Même si cela fait plus de 40 ans que je suis devenu Sherbrookois, je demeure Montréalais dans l'âme. Quand je vais à Montréal, une petite voix intérieure me répète, Montréal c'est ma ville, même si elle a bien changé depuis l'époque où j'y vivais. Ça y est, ma confession est faite et mon parti-pris est étalé au grand jour. Poursuivons...
Montréal, la ville du péché...
De tout temps, Montréal a souvent été l'objet des préjugés des habitants des autres régions du Québec. Au temps de la révolution industrielle au 19e siècle, les bons curés dénonçaient cette ville du péché et de toutes les luxures du haut de leur prêche. Montréal était aussi vu comme un bastion du capitalisme anglo-saxon et plus tard comme un lieu d'américanisation accéléré de la société québécoise. Pas étonnant que les nationalistes ont longtemps vu Montréal comme un corps étranger. Situation qui a changé dans la foulée de la Révolution tranquille alors que la jeunesse montréalaise a été le fer de lance de la mouvance nationaliste et sociale-démocrate qui a permis au Parti québécois de prendre le pouvoir dans un moment historique où l'on croyait libérer le Québec des tenailles anglo-saxonnes et du capitalisme. Montréal était, à ce moment précis de notre histoire, devenu un phare du Québec en marche. Montréal néanmoins continuait de susciter plus que jamais la suspicion dans les milieux les plus conservateurs de la société québécoise.
D'ailleurs à cette époque Montréal votait déjà différemment des zones rurales et semi-rurales. Montréal était vue par les conservateurs comme un lieu infréquentable qui avait mauvaise influence sur le reste de la société québécoise. Je peux en témoigner, ma famille était la seule qui vivait à Montréal. Le discours de mes oncles et de mes tantes sur Montréal et ses dangers était habituel pour le jeune enfant ou adolescent que j'étais. Des cousins et des cousines nous voyaient avec les yeux remplis de préjugés tout en étant curieux de la vie que nous pouvions bien avoir à Montréal où la criminalité était toujours présente et la violence banalisée. Il faut dire que je n'aidais pas ma cause en posant à mon père la question suivante lorsque nous étions en visite chez un oncle ou un autre : « à quelle heure on retourne en ville Papa ? » Mes cousins et mes cousines de Sherbrooke n'aimaient pas entendre de ma bouche que leur ville, Sherbrooke en l'occurrence, n'avait pas le statut de vraie ville dans ma psyché d'enfant. J'avoue avoir eu ce travers de ce que l'on appelle l'impérialisme montréalais jadis. Mais rappelons-le, j'étais un jeune adolescent.
Montréal aujourd'hui
Aujourd'hui, Montréal constitue la seule cité au sens d'une grande agglomération urbaine intégrée à l'économie du monde au Québec. C'est en quelque sorte le passeport, la carte de visite de l'identité québécoise à l'échelle de la planète. Pas étonnant que l'on s'inquiète de son visage français. Capitale culturelle et économique du Québec, Montréal est aussi le creuset de tout ce que le Québec a été et ce que nous sommes aujourd'hui. Si la ville de Québec est une représentation de ce que le Québec fut jadis grâce à sa magnifique architecture, Montréal est sans conteste l'ADN du Québec de demain. Grande ville aux multiples facettes, Montréal est aussi le lieu de bien des débats et de nombreuses problématiques sociales liés notamment à l'immigration, au vouloir-vivre ensemble. Ville de tous les excès, c'est aussi un endroit où il fait bon vivre malgré la difficile cohabitation des modes de transports et de la lourdeur de la circulation. Depuis quelques années, Montréal se fait belle avec ses nombreux travaux d'infrastructures routières et le développement de son réseau de transport collectif.
Montréal c'est aussi la capitale culturelle du Québec français, mais surtout la meilleure ambassadrice de notre joie de vivre qui saute aux yeux de tous les visiteurs étrangers. Montréal c'est notre poumon économique et culturel. Montréal c'est notre grande Cité.
Montréal, la pestiférée
En ce temps de pandémie, Montréal comme le reste du Québec est sur pause. Ses grands festivals, sa vie culturelle riche, sa gastronomie, son activité scientifique et universitaire, tout est arrêté. Montréal vit la crise actuelle avec plus d'acuité que n'importe quelle autre région du Québec. Elle est plus densément peuplée, les grands mouvements de population internationaux sont interrompus et elle est la plus touchée de toutes les régions du Québec par le virus de l'actuelle pandémie. Contrairement aux régions du Québec, son confinement est maintenu. Le paradoxe c'est que les autres régions du Québec ont peur de Montréal.
Plusieurs ont exprimé le souhait que les Montréalais et les Montréalaises s'abstiennent de les visiter durant la prochaine période estivale où l'on ne pourra aller ailleurs qu'au Québec. C'est compréhensible que les gens aient peur d'être contaminés par ce virus qui peut mener à la mort. Compréhensible, mais irrationnel. Il faut combattre ce préjugé qui nous fait craindre l'autre. Nous savons et les régions l'ont prouvé ces dernières semaines que le respect des consignes sanitaires, le deux mètres de distanciation physique et même le port du masque sont des outils suffisants pour nous protéger du virus.
Soyons donc solidaire et empathique et au contraire d'un discours demandant à nos amis de Montréal de rester chez eux, invitons-les à venir nous voir durant l'été en respectant les consignes de la santé publique. Mieux encore, allons les visiter cet été. Plus que jamais, je suis Montréal...