L'expression
est connue. Quand les jeux sont faits. Quand rien ne va plus. Quand
il n'y a plus d'espoir en lien avec une situation donnée.
Mon
chien est mort.
Le
meilleur ami de l'homme (dit-on) prête son statut établi à une
expression qui a franchi des générations.
Ce
qui m'inquiète n'est pas tant que l'expression me semble moins
utilisée ces années-ci. Il n'y a rien de grave là-dedans. Pour
dire vrai, ce n'est pas au sens figuré que l'expression
m'inquiète, c'est au sens propre.
Notre
relation avec le chien (et d'autres animaux domestiques, cela dit)
est de moins en moins rationnelle.
Je
suis surpris de constater qu'une rangée complète d'une épicerie
à grande surface est dédiée aux animaux de compagnie. Que le chien
dispose d'un choix alimentaire souvent plus équilibré que ce que
les fast food offrent... Je suis surpris de voir jusqu'à quel
point on peut varier le menu de notre toutou ou de notre minou...
«
Ben oui, mais t'aimerais-tu ça, toi, manger toujours la même
affaire? »
L'idiotie
de la question me fait sursauter. « Je ne suis pas un chien, je suis
un humain. On ne comparera pas ça, non? » Eh, bien, oui! Pour
plusieurs, la différence est nulle. C'est du pareil au même. Le
chien, l'humain, même combat.
On
va au resto et on est à table avec son chien dans au moins un
établissement à Montréal. On fait des funérailles à son chien ou
son chat. On conserve ses cendres à la maison. On toilette notre
petite bête comme ce n'est pas possible. À quand le botox dans sa
belle petite face plissée? Ça viendra bien...
On
ne s'inquiétera plus d'une facture de plusieurs centaines, voire
milliers de dollars pour sauver un chien. « C'est comme mon enfant
». « C'est l'ami le plus fidèle que je n'ai jamais eu ».
Être rationnel, dans bien des cas, n'est plus une option à
considérer.
C'est
épeurant.
Comprenez-moi
bien : je crois dans les bienfaits prodigieux de la zoothérapie. Je
pense aussi que, dans une société qui, par sa structure de
performance, favorise la solitude et l'esseulement, un animal peut
être un compagnon bienfaiteur.
Mais
c'est un animal. Qui doit demeurer un animal.
Rendre
humain un animal, c'est aller au maximum du syndrome de Walt Disney
où chaque animal a une âme et réagit envers ses proches comme les
humains réagissent entre eux.
Je
suis ému en regardant des émissions comme Animo, où on voit des
gens investir quelques milliers de dollars qui prolongeront la vie
d'un chien grâce à des interventions chirurgicales majeures. Ému.
Complètement décontenancé, je devrais dire.
«
Bof, me direz-vous, si les gens ont l'argent, ce n'est pas pire
que d'acheter un spa, non? »
Je
n'ai rien à répondre à cela, je crois bien. En fait, la question
m'en inspire une autre : ils sont où, nos repères. Elles sont où,
nos valeurs de société? Elles sont perdues, quelque part, dans le
je-me-moi qui est devenu je-me-moi-mon-chien-mes-bébelles.
Des
fois je me dis que quand on parle des valeurs de notre société,
notre chien est mort. Que ça ne vaut plus la peine. Puis je me dis,
non, ne t'en fous pas, écris une chronique à la place...
Mais,
à la lecture de cette chronique, avec la réaction possible des
personnes qui vouent un culte presque religieux à leur bête
domestique, c'est peut-être mon chien qui est mort...
Clin
d'œil de la semaine
Mourir
seul comme un chien : expression en voie d'extinction.