Nous avons tous une mémoire sélective. Nous nous rappelons
bien ce que nous voulons nous rappeler en regard de nos intérêts ou de nos
valeurs. Heureusement que les historiens existent. C'est grâce à eux si nous
pouvons avoir une mémoire plus juste, plus près de la réalité.
Le livre d'Olivier Courteaux intitulé Le Canada entre Vichy et la France libre 1940-1945 publié aux
Presses de l'Université Laval tout récemment fait partie de cette contribution
utile des historiens à la compréhension de notre société.
Dans ce livre, l'historien nous livre le récit des relations
entre le Canada et la France au temps de la Seconde Guerre mondiale. Dans un
style clair et limpide, Courteaux nous fait la démonstration que les relations
diplomatiques d'un pays sont toujours sous forte influence de considérations de
politique intérieure. Le cas patent qui nous est présenté est celui des
relations diplomatiques du Canada avec la France de Pétain et celle du général de
Gaulle.
Les
nationalistes québécois et le général de Gaulle
Les souverainistes québécois aiment bien rappeler la
déclaration du général de Gaulle sur le balcon de l'hôtel de ville de Montréal
en 1967 « Vive le Québec. Vive le Québec... libre ». Pourtant, les
relations du Québec et du Canada ne se résument pas à ces mots du général de
Gaulle. Pas plus qu'à la politique du Nini : « ni ingérence ni
indifférence » rendue célèbre par le président François Mitterand. Les
tensions constitutionnelles vécues au Canada ont toujours teinté nos relations
avec la France et ce fut une évidence à l'occasion de la Seconde Guerre
mondiale.
Le Québec
et la France : des relations houleuses
Les relations du Québec et du Canada avec la France sont en
soi un objet d'études complexes. Voltaire écrivait dans Candide en 1758 :
« Vous savez que ces deux
nations sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada, et
qu'elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada ne
vaut ». Par ces mots, le célèbre Voltaire exprimait le peu de
considération qu'il accordait au Canada et aux ressortissants de la Nouvelle-France.
Si ces mots étaient ceux d'un loustic, on ne les évoquerait pas, mais Voltaire
était un conseiller prisé de Louis XIV et un imposant personnage du Siècle des
lumières.
Cela sans compter
le fait qu'au lendemain de la conquête de la Nouvelle-France par les Anglais,
nos ancêtres se sont sentis abandonnés par leur mère patrie. La Révolution
française n'a pas aidé les choses pour une société comme la nôtre qui ne se
reconnaissait pas dans les volontés révolutionnaires et anticléricales de la
France de 1789. Il aura fallu beaucoup de temps pour que les relations se
rétablissent entre le Québec et la France.
En juillet 1855,
le navire français La Capricieuse, sous le commandement du capitaine Belvèze,
est venu à Québec et Montréal. Ce fut le premier navire français à venir
accoster aux quais de Québec et de Montréal après la conquête. Cet événement a
contribué à rétablir les relations entre le Québec et la France. Cependant, les
relations sont demeurées minimales et plutôt d'ordre culturel. Manifestement,
nos ancêtres ne se sentaient plus français. Il y eut tout de même la création
d'un Consulat de France dans la foulée de la venue de La Capricieuse. Ce fut
finalement la Première Guerre mondiale qui fut le socle du rétablissement des
relations entre le Canada et la France.
Mackenzie King, la France et le nationalisme
Cette première guerre mondiale a cependant laissé de graves
séquelles sur la politique intérieure canadienne. La conscription imposée en
1917 contre la volonté des Canadiens français et qui a donné lieu à une émeute
à Québec fera désormais partie intégrante de la toile de fond politique
canadienne et jouera un rôle important dans les relations entre la France et le
Canada lors de la Seconde Guerre mondiale.
Mackenzie King, dans la foulée de son appui à la
Grande-Bretagne dans ses efforts de guerre contre l'Allemagne, a vu la paix
politique intérieure gravement menacée par la chute de la France aux mains de
l'armée allemande et la création d'un gouvernement de collaboration à Vichy
sous Pétain.
Au Canada français, la troisième république n'a pas bonne
presse à cette époque. Dans la presse, cette république est souvent présentée
comme un régime profondément corrompu et décadent. D'autre part, le discours
pétainiste de régénération nationale et les mots d'ordre « Travail, Famille,
Patrie » trouvent un écho favorable dans la société conservatrice du Canada
français de l'époque. Les nationalistes s'opposent depuis longtemps, soit
depuis la guerre des Boers, à toute participation du Canada à la guerre.
Le soutien des nationalistes canadiens-français au régime de
Pétain, une minorité fortement agissante et son opposition à la participation
du Canada à une guerre présentée comme une guerre britannique n'aident pas le
premier ministre Mackenzie King. Il doit au même moment composer avec l'opinion
canadienne-anglaise qui est plutôt favorable à la France Libre du général de
Gaulle et à une participation énergique du Canada à cette guerre pour les
libertés.
Comme c'est souvent le cas dans l'histoire politique
canadienne, l'opposition entre deux nations au sein d'un même pays rend très
difficile la mise en œuvre d'une politique étrangère efficace. Mackenzie King
devra faire preuve de beaucoup de doigté pour éviter de heurter l'opinion
publique canadienne divisée sur la base de sa dualité linguistique et pour
naviguer dans les intérêts contradictoires des Britanniques et des Américains
alors que le conflit s'envenime avec l'Allemagne. Ce n'est qu'en novembre 1942
qu'Ottawa prendra finalement parti pour la France libre du général de Gaulle.
Oublier...
Cet épisode passionnant de l'histoire politique canadienne
raconté par Olivier Courteaux ne peut que nous rappeler que nous retenons bien
ce que nous voulons bien de notre histoire.
Les nationalistes québécois d'aujourd'hui n'aiment pas se
faire rappeler leur appui d'hier au régime de collaboration du maréchal Pétain
ainsi que leurs sympathies aux régimes dictatoriaux de Mussolini et de Franco.
Pas plus que les Canadiens anglais n'aiment que l'on rappelle le refus du
gouvernement de Mackenzie King d'accueillir des réfugiés juifs d'Europe au
temps le plus fort de la persécution des juifs par les troupes d'Adolf Hitler.
C'est le propre des humains de faire preuve de mémoire
sélective pour mieux justifier les préjugés ambiants. Ah, cette mémoire
sélective...
Lectures
suggérées :
Irving Abella et Harold Troper. None is Too Many, Toronto, Key Porter books, 2002, 340
p.
Olivier Courteaux. Le
Canada entre Vichy et la France libre 1940-1945, Québec, Presses de
l'Université Laval, 2015, 296 p.
Yvan Lamonde. La Capricieuse (1855) : poupe et proue.
Les relations France-Québec (1760-1914), Coll : « Culture
québécoise », Québec, Presses de l'Université Laval, 2006, 396 p.