« Heille!
Surveille ton langage! »
C'est ma
mère qui parlait ainsi alors que j'étais plus jeune. Et que mes mots allaient
trop loin. Elle me disait aussi de « calmer mes transports » pour
signifier que j'exagérais dans les propos que j'utilisais.
J'avais
l'adolescence un brin frondeuse, comme plusieurs d'entre nous au même âge. Mais aujourd'hui, disons que je comprends pas
mal mieux.
L'affaire,
c'est que je me disais que les mots, ce n'est pas comme un coup de poing en
pleine face. Ça ne fait pas vraiment mal et ça ne laisse pas de traces.
Pourtant...
À bien y
penser, quand ma mère intervenait, c'était souvent parce que j'incluais la
haine dans mes propos. « Cristie
que je l'haïs, lui! » « Que je l'haïs, elle! »
Note
en passant : le « cristie », dans cette chronique, peut être
remplacé par n'importe quel mot plus intense, c'est pour vous!
Invariablement,
elle voulait savoir « ce que la personne m'avait tant fait ou m'avait tant
arraché pour que je la haïsse de même? » Quand je décidais d'en jaser avec
ma mère (ce qui était rare, je préférais me retirer de la pièce où on se
trouvait!), elle me rappelait que personne n'est complètement mauvais.
Et elle
avait bien raison.
Mais sur
le coup, j'avais comme une charge émotive à sortir. De quoi à exprimer. Fallait
que ça sorte, j'imagine. Et comme je n'étais pas du genre à m'en prendre
physiquement à autrui, je passais par un « je l'haïs ! » bien senti.
De
retour à notre époque
L'autre
soir, en regardant deux minutes de l'émission Tout le monde en parle, je
suis tombé sur Barbada, une drag queen rieuse et visiblement structurée dans
son propos.
Je
regardais la pétarade de couleurs et le sourire, ma foi, contagieux de Barbada
et je me suis dit : « voilà, on est rendus là! »
Je veux
dire que les temps changent. Que l'expression de la diversité perce lentement
des murs autrefois plus opaques.
Ce n'est
pas le premier changement qui croise ma route.
Je
trahis mon âge, mais j'ai vu des brassières brûler, au tournant des années
1960, lors du mouvement de libération de la femme. J'ai vu le mariage de Michel
Girouard avec un autre homme. Et quoi encore?
J'ai
entendu des « Cristie que je les haïs, ces femmes-là! ». Ou bien,
« Cristie que je l'haïs, Michel Girouard! » Et bien pire encore, j'avoue!
Et je
peux comprendre que l'évolution des choses dérange. Qu'elle déstabilise. Qu'elle
sème une certaine insécurité. Que ça vient brasser le modèle établi.
Je
comprends que l'expression de la multiplication des genres et le besoin de les
nommer à tout prix amènent des questions et des discussions tout à fait
pertinentes.
Je
comprends tout ça.
Mais la
haine, ça, je ne comprends pas...
Si tout
ce qui nous dérange dans notre vision de la société s'exprime autour du mot
central « j'haïs » ou par tout autre équivalent haineux, c'est qu'on
a abouti dans un étanche cul-de-sac.
Sur
l'échiquier mondial, tout semble se polariser. La gauche et la droite se
radicalisent, laissant de plus en plus de monde derrière.
De plus
en plus, on sent ces appels de groupes plus radicaux : si vous n'êtes pas
avec moi, vous êtes contre moi! Ça ou une déclaration de guerre, même
combat!
On
reconnaît d'ailleurs un mouvement extrémiste à ceci : il ne propose pas,
il impose.
À défaut
de pouvoir intervenir sur la scène mondiale, je me dis que si, à la base, on
essayait de changer l'expression « j'haïs » par « ça me dérange,
parce que... », ça amorcerait peut-être quelque chose comme une discussion plutôt
que de braquer encore plus les positions respectives.
Une
discussion, ça nécessite d'entrer en contact avec l'autre. Et sans contact, pas
de possibilité de se comprendre...
Clin
d'œil de la semaine
Les libertés individuelles
prennent beaucoup de place. Mais entre deux « je » qui s'opposent, il
y a un « nous » essentiel qui se cherche une place pour grandir...