Au lendemain de la mise à jour budgétaire du gouvernement de
Francois Legault, nous apprenons que l'ère joyeuse du pique-nique dans le
trèfle est terminée. Nous sommes de retour à la normalité soit à une période de
choix budgétaires difficiles. Les énoncés économiques des gouvernements sont
les éléments les plus parlants des orientations des gouvernements. Les chiffres
parlent et parlent fort.
Néanmoins, il faut faire preuve d'une très grande
malhonnêteté intellectuelle pour ne pas reconnaître que les besoins et les
attentes de la population envers les gouvernements sont tout simplement
déraisonnables. Nous vivons à l'ère du « gouvernement maman » et la CAQ de François
Legault qui vient d'une mouvance idéologique qui jadis dénonçait les dépenses
gouvernementales a changé son fusil d'épaule dans le sillage de la pandémie.
Sous sa gouverne, les dépenses de l'État ont largement augmenté et la taille de
la fonction publique a continué de prendre de l'embonpoint. Ce gouvernement comme
nous tous sommes dans une mauvaise conjoncture au moment où le Front commun des
employés de l'État veut passer à la caisse et faire payer les riches, nous,
pour toutes leurs années de vaches maigres. Après tout, comme ils le disent si
bien tout est affaire de choix politiques. Regards croisés sur la situation
budgétaire du gouvernement du Québec et les négociations avec les employés de
l'État...
S'instruire de notre histoire
Il n'est pas inutile avant d'aborder ces
questions hautement polarisantes de puiser dans l'histoire canadienne pour nous
faire une tête sur l'histoire fiscale du Canada. En 2017, E. A. Heaman a
publié aux Presses McGill-Queen's un ouvrage très intéressant sur l'histoire
politique des taxes et des impôts au Canada : Tax, Order and Good Government. A New Political History of Canada 1867-1917.
Un livre fort instructif dans lequel l'auteur couvre sur une
période de 60 ans les trois niveaux de gouvernement dans l'ensemble du
pays en cherchant à mieux comprendre le rapport que la population entretient
avec la fiscalité. Pour l'autrice, les relations de pouvoir s'entrecroisent
dans un enchevêtrement de rapports de force en lien avec les taxes et les
impôts. Heaman qualifie cette histoire de la fiscalité de « nouvelle histoire
politique. » On comprend mieux les rapports entre les nations et les classes
sociales, entre riches et pauvres par les combats autour de la fiscalité alors
que les gouvernements municipaux et provinciaux de cette époque s'efforçaient
de transférer la richesse du peuple vers les classes possédantes ou que
l'argent des contribuables était transféré vers les investisseurs. Un récit
édifiant qui prouve que cela a réussi si l'on en croit les courbes faites par
Thomas Piketty qui postule à l'accroissement des écarts entre riches et pauvres
dans toutes les économies des pays riches. Le Québec et le Canada font
meilleure figure à ce chapitre, mais on y voit la même tendance.
Tout cela pour dire que ce retour furtif aux enseignements
de l'histoire témoigne bien que les énoncés budgétaires des gouvernements ne
sont pas des outils neutres, qu'ils favorisent des intérêts et nourrissent des
rapports de force. Les porte-parole syndicaux n'ont pas tort de dire que les
choix budgétaires d'un gouvernement sont des choix politiques.
La situation budgétaire du Québec
Cela étant dit, il est vrai aussi que la situation
budgétaire du gouvernement n'est plus la même que celle héritée par la CAQ du
gouvernement Couillard. Le surplus de 7 milliards de dollars laissés alors
par le régime de rigueur budgétaire du ministre des Finances d'alors, Carlos Leitão,
n'existe plus. Il faut cependant bien se garder de la rhétorique partisane des
oppositions qui accusent le gouvernement Legault d'avoir dilapidé ce coussin
budgétaire dans des frivolités. À ce que je sache, le bar ouvert budgétaire
pour soutenir le système de santé, les personnes et entreprises touchées de
plein front par la pandémie était loin d'être un caprice du gouvernement
Legault. Puis, le soutien du gouvernement à la population par des chèques pour
faire face à l'inflation était aussi des gestes réclamés par tous même si l'on
peut discutailler sur les niveaux de revenus des gens admissibles à ces
chèques. Par ailleurs, les baisses d'impôt étaient, quoi qu'en pensent les
syndicats, le geste à poser pour les citoyennes et les citoyens les plus taxés
en Amérique du Nord.
Aujourd'hui, la mise à jour budgétaire du Québec fait la
démonstration que nous entrerons dans une période difficile et nous éprouverons
de la difficulté à payer pour tous les besoins urgents que nous avons. Le menu
est vaste et concerne entre autres le développement de réseau de transport en
commun, l'entretien et la rénovation des infrastructures, les besoins des
écoles, des collèges, des universités, les besoins de financement pour la santé
mentale, l'itinérance, la crise du logement, les conséquences de la crise
climatique et bien sûr le renouvellement des conventions collectives des
employés de l'État. Sur ce sujet, pour dénouer l'impasse, il faut mettre les
vraies choses sur la table. Je m'explique.
De nouvelles conditions de travail,
des emplois mieux rémunérés, mais des services en péril...
Je doute fortement que nous soyons capables d'arriver à un
règlement négocié dans le cadre de la présente négociation. Il y a trop de
colère parmi les syndiqués, trop de fausses informations érigées en vérité,
trop d'entrecroisement entre des sujets différents.
Dans la rhétorique syndicale, les investissements dans
l'avenir économique (Northvolt), dans l'avenir énergétique (Hydro-Québec) sont
des dépenses gouvernementales mises sur le même pied que des dépenses de
fonctionnement (leurs salaires). Qui plus est, remettre de l'argent dans le
cadre des grandes missions de l'État qui, du point de vue syndical est la voie
royale vers l'amélioration des services offerts à la population ne donne pas
les résultats escomptés si nous en croyons les dernières années. On a ajouté 16 milliards
de dollars au budget de la Santé, avons-nous de meilleurs services ?
L'accessibilité a-t-elle été améliorée ? Poser ces questions c'est y répondre.
Ce qui est vrai pour la santé est aussi vérifiable pour le système d'éducation,
la justice, la santé mentale, le logement ou le transport en commun.
Alors si on veut l'appui de la population et discuter des
vraies choses, il serait utile que l'information circule jusqu'à nous. Les
organisations syndicales sont-elles prêtes à discuter et négocier de nouvelles
façons de faire en matière d'organisation du travail ? Peut-on revoir par
exemple la sacro-sainte clause d'ancienneté dans certaines situations pour
favoriser une meilleure rétention de la relève ? Est-on d'accord pour adopter
des règles de fonctionnement différentes selon les milieux ? Accepte-t-on la
rémunération différenciée pour les infirmières dans les quarts de travail
difficile, les psychologues, etc. ?
L'un de mes amis, syndicaliste de carrière, me disait
récemment que la voie royale était dans la décentralisation des décisions dans
un dialogue entre les syndicats locaux et les cadres locaux. Sur papier cela
est une fort belle idée, mais à Drummondville les employés voulaient travailler
des quarts de 12 heures pour faire leur semaine en trois jours. Savez-vous
qui a offert une fin de non-recevoir à cette volonté des employés ? Le
syndicat.
Personnellement, je suis comme la majorité de la population,
je souhaite que les employés de l'État soient mieux rémunérés. Je ne sais pas
si cela veut dire une hausse de 20 % ou 40 % de leurs salaires. Ce
que je sais c'est que je suis prêt à ce qu'on leur donne de fortes
augmentations de salaire pour obtenir de meilleurs services. À eux de me dire
comment ils peuvent en échange de meilleurs salaires m'offrir des services de
qualité. Sans des garanties d'amélioration des services en santé et en
éducation et dans les autres missions de l'État, un règlement négocié à plus de
15 % serait un règlement où nous serons nous les citoyens et les citoyennes,
les dindons de la farce...