« Ça va durer le temps d'une chanson, cette
affaire-là... »
J'ai souvent entendu cette exclamation pour décrire une
romance qui n'annonçait rien de stable. De solide.
Pourtant, et vous l'avez peut-être déjà vécu, le temps d'une
chanson, pendant un spectacle auquel on assiste, peut entraîner toute la foule
d'un trait! Vous savez, cet élan du cœur qui arrive exactement au bon moment et
qui a la force d'une décharge d'énergie positive?
Pour les gens présents à ce moment précis, à cet instant
d'apothéose, on pourrait croire que la paix dans le monde est possible!
« Ça va durer le temps d'une chanson, cette
affaire-là! »
En sortant du spectacle, cependant, les automobilistes
reprennent rapidement leurs droits en sortant du stationnement. Un conducteur
en vient à juger que non seulement un autre l'a coupé, mais qu'il l'a fait
exprès, ce qu'il considère comme une agression personnelle qui demande justice...
Une atteinte à sa liberté fondamentale, celle qui se résume à son nombril tout
personnel. Gueulage et coups de klaxon au menu!
Et dire que les deux assistaient au même moment magique, en
même temps!
« Ça va durer juste le temps d'une chanson, cette
affaire-là! », disais-je...
Ce n'est pas la chanson le problème!
À me lire, on pourrait croire que je considère les chansons
comme des jeteuses de poudre aux yeux. Comme des agaces qui n'ont rien d'autre
à offrir que des illusions.
Il n'en est rien, croyez-moi!
Je me rappelle qu'au tournant de l'an 2000, j'ai été heureux
de constater le résultat d'un sondage pour déterminer la chanson la plus
marquante du siècle précédent. Chanson francophone, j'entends. C'est l'air de
Raymond Lévesque, Quand les hommes vivront d'amour, qui l'a
emporté.
Évidemment, on peut être d'accord ou non, et, comme c'est la
mode des années 2020, de traiter tous les gens qui ont voté d'ignares, d'épais
et de quoi encore?
Cela confirmerait cependant que Raymond Lévesque avait
raison : ce n'est pas demain la veille que ça va arriver! Ou, dit plus
bellement : Les soldats seront troubadours, mais nous, nous serons
morts, mon frère.
J'aimais le choix du public parce que la seule musique de
cette chanson transporte candeur et bienveillance. Quand on y colle la poésie
de Raymond Lévesque, ça fait du bien à l'âme. Écrite en 1956. La chanson est
encore criante d'actualité.
Et pour 2024?
Je me suis demandé, à l'approche du premier janvier 2024,
comment j'allais aborder cette nouvelle année.
Déjà, ça prend de la discipline juste pour ne pas déprimer
trop en regardant autour!
Je réalise que cette déprime toute légitime est liée à une
sorte de vertige pour moi. Un vertige par rapport à l'insolvable esprit
guerrier qui anime les dictateurs de partout dans le monde; par rapport aussi
aux effets déjà bien installés de l'accélération des changements climatiques;
par rapport à l'attitude « tout pour moi » ou « oui, mais
moi » qui semble guider notre quotidien.
Un vertige, donc.
Comme pour calmer tout ça, j'ai besoin de me sentir
réconforté, d'abord, puis utile, le plus possible.
C'est là que l'idée de déterminer la chanson de l'année 2024
m'est venue.
"Un sondage mené auprès de moi-même arriverait à quelle
conclusion?", me suis-je demandé.
Ouf! C'est qu'il y en a beaucoup, fort heureusement, des
chansons magnifiques. L'espoir que représente On va s'aimer encore est
puissant dans toute la douceur de son expression. L'incontournable La Tête
en bois de Jipé Dalpé en appelle de façon magistrale à la résilience et la
solidarité. Et combien d'autres?
J'arrête mon choix sur la chanson Sur mon épaule des
Cowboys Fringants.
Le texte est tellement juste et tellement accessible qu'il
en est troublant. Et la musique appelle à une douceur quand même énergique.
Mets
ta tête sur mon épaule,
Pour
que mon amour te frôle,
Toi
qui en as tant besoin...
Pourquoi
celle-là?
Parce
que c'est notre tête, notre raison, qui est interpellée quand on prend la
mesure de tout ce qui ne va pas.
Parce
que la tête contient ce cerveau qui a besoin d'un endroit pour se réfugier
quand il n'arrive pas à résoudre une situation qui, ultimement, risque de le
détruire. Comme il est programmé pour vivre, il réagit à la menace, mais ne
trouve pas de solution rapide...
Parce que
cette chanson appelle à la solidarité.
Et parce qu'elle réfère à ce moment où des milliers de gens,
présents au même spectacle, dans un moment d'apothéose, ont vibré en même
temps, croyant pour un instant que la paix dans le monde était possible!
Oui, je
sais, ensuite, il y a eu la sortie du stationnement. Mais, pendant un moment,
l'espoir était bien là!
Clin
d'œil de la semaine
Des fois, je redeviens naïf et je chante très
fort: c'est le début d'un temps nouveau!