Le grand écart.
Ces simples mots sèment des images par eux-mêmes.
On peut y voir la fameuse «split » ou le fait d'écarter
les jambes au point de déposer son bassin au sol, position aussi inaccessible
pour moi qu'une visite sur la lune par un beau dimanche après-midi.
Le grand écart, ça peut aussi être la différence entre
Laurel et Hardy, le Géant Ferré et Sky LowLow (un lutteur de petite taille),
etc.
Mais on peut aussi voir le grand écart dans les différences
majeures dans le statut social des gens d'un même territoire. Cet écart qui se
creuse inexorablement au Canada comme au Québec entre les mieux et les moins bien
nantis.
Mais cette semaine, c'est une autre sorte de grand écart qui
occupe mes pensées.
Je pense à ces gens qui, au fil des jours, accompagnent des
gens lourdement handicapés, mesurant chaque petit gain d'autonomie nouvelle et
célébrant des victoires qui, ma foi, ne seraient pas nécessairement visibles
pour un œil non avisé. Des gens qui continuent quand même, qui ont le sens de
l'accompagnement gravé dans la peau.
Je pense à ces membres du personnel enseignant qui vont
puiser tant de patience on ne sait trop où pour apprendre à un enfant à lire et
à écrire, ou qui vont déployer des trésors d'imagination pour se mettre au
diapason d'un enfant qui se situe quelque part dans le large spectre de
l'autisme, simplement pour l'accompagner sur la voie de l'apprentissage.
Bref, je pense à toutes ces personnes dont le quotidien est
constitué d'une multitude de tout petits gestes qui se combinent pour faire une
petite mais essentielle différence dans la vie de celles et ceux qu'ils
accompagnent.
Au passage, je leur lève mon chapeau.
Ces temps-ci, chaque fois que je pense à ces gens, je suis
happé par l'immensité du grand écart qui sépare la multitude de ces petits gestes
constructifs qui font une différence pour un humain et tous ces coups de
roquettes et lancements de bombes qui anéantissent, en un instant, la vie de
centaines de personnes en même temps.
La stupidité de la guerre me fait plier l'échine.
Je suis non seulement troublé, je suis en colère. Une colère
sourde que je n'arrive pas vraiment à canaliser.
Vous dire à quoi je pense pour tenter de calmer cette colère
reviendrait à confirmer que la violence engendre la violence.
Le meilleur et le pire.
Le meilleur, c'est cette solidarité qui fait fi de la pitié
et qui fait en sorte qu'un humain en guide un autre vers une qualité de vie
améliorée.
Le pire, c'est cette guerre qui entraîne la mort de milliers
de personnes au nom de je ne sais trop quel conflit, mais qui finit toujours
par se résumer à des phrases qu'on prononçait, enfant : « c'est lui qui
a commencé! », ou, pire « y avait rien qu'à pas me regarder de
même! »
Oh! Oui, je sais, c'est plus complexe que ça! Il y a plein
de tenants et aboutissants, de considérations historiques et culturelles. Et
bla, bla, bla...
Répétez-le ad nauseam si vous le souhaitez, ça ne passe pas.
C'est tellement con et stupide, à la fin.
J'ai 62 ans, et, pour moi, les mots Palestine et Israël sont
synonymes de guerre perpétuelle depuis que je suis tout petit.
Mais là, j'avoue que cette guerre soudaine, additionnée aux
autres guerres qui sévissent, est de trop pour mon système. Je veux dire pour
ma personne qui veut rester informée mais qui absorbe tout ça de moins en moins
bien.
Crise de civilité
Pendant ce temps, chez nous, terre épargnée par la guerre,
on est prêts à dévisser la tête du serveur au Tim Horton s'il se trompe sur la
commande. On est prêts à déverser notre colère sur quiconque travaillant au
service à la clientèle. Ou à cribler d'insultes « l'épais, devant, ne
roule pas assez vite! ».
On sort le bazooka et on vise une mouche avec.
Et je nous rappelle, au passage, que toute cette rage est
enfouie dans les habitants de chez nous! D'un pays pourtant épargné par la
guerre.
Pour le moment.
Je dis « pour le moment » parce que la colère a
cette faculté de distribuer des semences de guerre. Et le terreau est fertile
dans nos terres pourtant pacifiques.
À nous d'y penser.
Il est temps de réajuster le tir quant à la civilité
minimale en société. Avant que ça ne dérape trop.
Clin d'œil de la semaine
« D'accord avec toé, man. Je vais planter le prochain
qui manque de politesse! »