Des fois, je me dis que ce serait plus simple. J'ai presque le goût d'une trêve. Ou même d'un drapeau blanc. J'ai le goût de capituler.
Ce serait plus simple si on se mettait à parler anglais. Simplement. Si on adoptait la langue des affaires. Après tout, les affaires, c'est la vie et la réussite, non? Pourquoi cet éternel combat pour conserver notre langue?
Les paroles sont plus mélodieuses en anglais, dit-on. Le marché est là. Et la culture qui vend, c'est celle qui marche. Alors, pourquoi s'obstiner? On arrête tout et on s'uniformise. Ce sera plus simple. Et on deviendra automatiquement des gens bien dans leur peau, heureux, ralliés au monde autour. Le Gaulois devient Romain. Il se débarrasse, au passage, de ses complexes. De toute façon, on l'a pas, nous, la potion magique...
Pire, le combat sera éternel. C'est long, l'éternité!
Quand je me dis ça, je sais que je suis fatigué. Mentalement. Mais, justement, la fatigue, elle doit venir de quelque part, non? Si on arrête cet éternel combat de la langue, je ne serai plus fatigué, non?
Au moment où je me dis que ce serait plus simple, voilà qu'on se ligue pour me montrer l'autre côté de la médaille. D'abord, Yves Duteil, la semaine dernière, qui raconte, tout doucement, comment il a composé « la langue de chez nous » après une journée passée avec Félix. Comment il a refusé de la faire en spectacle, au Québec, avant de la chanter au poète devenu vieux tout en demeurant créatif. « Un vieux pommier ne donne pas de vieilles pommes », disait Félix,d'ailleurs.
Duteil fait chanter les mots. Des mots riches. Précis et vastes en même temps.
Mais la conspiration était plus large que Duteil!
Au hasard d'une visite « dans les Internet », je suis tombé sur une entrevue avec Manny Malhotra. Le gars joue maintenant pour le Canadien. Son père, un Indien, est passé par le Québec où il a rencontré sa femme. Ils se sont installés, ensuite, à Mississauga. Il s'exprime très bien en français. Et il souhaite continuer. Après tout, dit-il, c'est ma fibre maternelle, ce n'est pas rien. Et cette fibre le rend plus riche.
Puis, comme si ce n'était pas suffisant, j'ai vu l'émission En direct de l'univers (signe des temps, j'ai vu, en différé, En direct de l'univers!). Boucar Diouf y était. Il a rendu un hommage vibrant à la culture québécoise. Ça fait toujours drôle quand ça vient d'ailleurs. Comme quand Jim Corcoran chante en français parce que les mots sont plus riches, qu'ils sonnent mieux.
Boucar disait, essentiellement, deux choses. D'abord que ses racines sont africaines, mais que son feuillage est québécois, rien de moins! Et il a choisi une chanson de Daniel Boucher pour exprimer ce qu'il comprend de notre situation géo-politico-culturelle. Boucher chante, essentiellement, ceci : c'est à mon tour d'ouvrir la maison chez nous, pis de pas m'gêner pour dire que je l'aime, pis que c'est de même que ça se passe... Il dit aussi : les « vouleurs » de rire, sont bienvenus chez nous! Un vouleur de rire. Faire chanter les mots, c'est aussi les colorer d'une humeur, d'une profondeur nouvelle.
Et Boucar insiste. Il faut que les gens qui viennent ici sachent « que c'est de même que ça se passe ». C'est quoi cette gêne autour d'une culture différente de celle de la masse?
Quand je me dis que ça ne vaut pas la peine, ils sont légion, de tous les horizons, à venir me dire que ça vaut la peine de continuer. Que la richesse de ce qu'on est ne se traduit pas en argent.
Ma culture n'est pas exclusive. Elle est d'ouverture. Et elle devient mature, c'est-à-dire que je refuse les propos des rapetisseurs de ma culture. Si elle n'est pas plus grande qu'une autre, ma culture n'est pas plus petite. Elle est riche de son ouverture et de sa fierté d'être ce qu'elle est.
Au Québec, on a un petit fond de frustration collé dans la poêle et qui se met à sentir dès que ça chauffe un peu. La gêne d'être ce qu'on est me gêne de plus en plus! Qu'on soit indépendantiste ou fédéraliste n'y change rien. La culture, celle qui nous distingue, est au-dessus de tout ça.
Mais elle a besoin qu'on s'en occupe un brin, par exemple. Et s'en occuper, c'est d'abord l'apprécier. Je parle français et anglais. J'aimerais parler l'espagnol. Mes racines sont québécoises. Mon feuillage peut être bigarré sans que mes racines n'en souffrent.
Si je brandis le drapeau blanc, un jour, ce sera pour prôner la paix. Pas pour abandonner la langue de chez nous.
Clin d'œil de la semaine
C'est toujours quelqu'un qui vient d'ailleurs qui te dit : « C'est une région magnifique, chez vous! » Inutile, alors, de chercher à réduire la chose, c'est beau, c'est tout!