Est-ce
que la Castafiore des aventures de Tintin pouvait vraiment casser une série de
verres à boire avec sa simple voix?
Que
dis-je, sa simple voix... Sa voix simplement divine serait mieux! Je ne veux pas
insulter une cantatrice comme Bianca Castafiore, surtout!
Je me
souviens de ce personnage des aventures de Tintin qui prenait, vocalement, tout
l'espace disponible. Par une série de coups de crayon habiles, Hergé arrivait à
me faire imaginer la puissance des sons, même dans une bande dessinée muette!
La posture même de la Castafiore rendait crédible ce qui allait survenir :
son corps était incliné vers l'arrière, poitrail généreux largement offert vers
l'avant, les bras ouverts sur les côtés, elle était prête à catapulter des
notes aiguës dont la pureté et la puissance pouvaient briser le cristal des
verres d'alcool sur le piano, au grand dam du Capitaine Haddock.
Et comme
pour être certain que je comprenais bien la puissance des sons émis, Hergé
pouvait, toujours armé de son habile crayon, défaire le faciès de Tintin ou du
Capitaine Haddock au point de me faire ressentir la douleur causée par ces sons
indescriptibles!
Ce matin,
je pense à la Castafiore.
Un peu
par nostalgie.
Mais
beaucoup par dépit.
Nous
vivons dans une époque où les extrêmes ont la cote.
Choisissez
la discipline que vous voulez, ça marche pour tout! Que ce soit en art ou en
sport, en bouffe ou en plein air, il y aura toujours quelqu'un qui a fait plus,
qui a fait mieux. Des vidéos circulent largement sur les médias sociaux, nous
invitant à repousser les extrêmes encore plus loin.
Tel
chanteur est pas pire? « T'chèque ben celui-là, il est le meilleur
« ever »! »
Vous
arrivez à faire une pirouette arrière sur place? Bravo. Celui-ci en fait deux!
Une
période extrêmement bruyante
C'est
ici que la Castafiore intervient.
Notre
époque est extrêmement bruyante. Bruyante en sons et en mots. Les mots, même
écrits, sonnent souvent bien trop fort.
Tout
fait du bruit, tout le temps. Nos téléphones dits intelligents nous nourrissent
de notifications pour s'assurer que notre attention est toujours attirée par
quelque chose. Même si les messages reçus n'émettent pas de sons, ils sont
tellement nombreux que ça finit par ressembler à un bruit assourdissant, à la
fin.
Et ce
bruit ambiant nous conditionne au point qu'on ne peut laisser le téléphone bien
loin, de peur de perdre quelque bruit ambiant...
Je
revois Milou, le sympathique chien de Tintin. Tête baissée, il est écrasé, les
pattes en croix sur ses oreilles, il tente de se protéger des sons de la
Castafiore.
Certains
jours, je me sens comme Milou. Au point de rêver d'envoyer un large et puissant
« vos gueules! » bien senti.
Mais
bon. Je sais bien que je ne ferai pas taire mon époque.
Je sais
aussi que c'est à moi de me retirer du bruit ambiant. Et non l'inverse.
Réapprivoiser
le silence, en fait.
Troublant
silence. Silence devenu anxiogène, tant le bruit occupe tout l'espace.
Plusieurs
vont insérer des bruits blancs pour vaincre leur anxiété face au silence total.
Le bruit blanc d'un ventilateur par exemple. Un bruit blanc qui comblera ce qui
est devenu un vide : le silence.
Au fond,
le plus déroutant de notre époque, c'est le bruit du silence.
Celui
qu'il nous faut réintégrer dans nos vies.
Celui
qui libère l'esprit, favorise la créativité, aide à classer les émotions,
favorise la compréhension.
Intégrer
de longs moments de silence chaque jour. C'est angoissant? Allez, on
essaie...avec la certitude que le bruit nous attendra au détour, de toute façon!
Clin
d'œil de la semaine
Condamner
Trump à une peine de 10 ans de silence me semblerait un bon départ!