Depuis la nuit de mes temps (!), le déjeuner est important.
Arrêter de jeûner. Déjeuner. Douceur matinale par
excellence. Pour ce qui concerne l'estomac, à tout le moins...
Encore aujourd'hui, le repas que j'aime le mieux prendre au
restaurant est le déjeuner. Ça fait partie de ma relation un peu particulière
avec la nourriture. Autant je peux rester des heures à table quand une occasion
spéciale se pointe, autant le reste du temps, manger est un mal nécessaire,
presque.
Je le sais, c'est offensant pour plusieurs, ce que je viens
d'écrire. Mais c'est de même.
Mais mon propos n'est pas là, cette semaine.
Je parlais déjeuner. D'abord, parce que j'ai en mémoire ceux
que ma mère préparait. Imaginez le luxe, quand on y pense : maman nous
préparait souvent des moitiés de pamplemousses dont elle taillait à l'avance
les quartiers pour en faciliter la consommation. Imaginez...
Puis, les toasts. Et cette marmelade que j'ai toujours
beaucoup aimée.
Bref, les matins, c'était bien!
Chez nous, il n'y avait pas vraiment de céréales sucrées. Les
céréales étaient de base. Des Corn Flakes et des Rice Krispies. Qu'on sucrait
au goût, cela dit!
Les boîtes de céréales opéraient sur moi une sorte de
fascination. Je lisais les textes de chaque côté, presque chaque jour, comme
s'il était possible que quelqu'un ait changé des trucs durant la nuit! Je
regardais certaines offres commerciales qu'on y retrouvait. Des cartes de ci,
des images de ça, parfois un petit jouet.
Je me souviens que je trouvais un peu injuste que mes
parents s'obstinent à n'acheter que les céréales que j'appelais « de
base ». Parce que dans les autres sortes, les « surprises »
étaient plus affriolantes, quand même!
Je le savais parce que les publicités étaient fréquentes à
la télé. C'est là que j'ai connu le Capitaine Crounche, le Frankenstein de
Franken Berry, le coulis de miel des Cheerios miel et noix, l'allure chocolatée
des Cocoa Puffs (qui rappelaient les crottes de lapin au premier coup d'œil, il
faut bien le dire!). Sans compter les Mini Wheats et leur côté givré, ainsi que
les ludiques Froot Loops (qui ne comptaient pas pour une portion de fruits,
cela dit!)
Je repensais à ces annonces l'autre jour, me disant au
passage que les choses avaient bien changé. La télé n'est plus un repère pour
les publicités de céréales. Le marketing se fait autrement, il faut croire. La
concentration des grandes chaînes d'alimentation fait en sorte, j'imagine,
qu'une part très grande des investissements publicitaires vont maintenant à
« l'achat » de pieds linéaires sur les meilleures tablettes des
mégaépiceries.
Mais bon, tout change, non?
Injustice de ma jeunesse
Honnêtement, quand je voyais mes amis consommer des céréales
sucrées, je trouvais que ma vie avait quelque chose d'un brin injuste. Pourquoi
n'avais-je pas droit à toutes ces gâteries que contenaient ces boîtes, après
tout? Et n'était-ce pas simplement une injustice de voir mes amis manger
quelque chose qui ne m'était pas accessible à moi?
Injustice, je disais.
Injustice refoulée, quand même! S'il avait fallu, à la
maison de mon enfance, que je parle d'injustice dans la décision de mes parents
de ne pas acheter de ces céréales qui me faisaient tant envie, mon père eut tôt
fait de chanter (tout en faussant royalement) le refrain suivant :
« C'est l'enfant de la misère, qui est passé près de nous! »
Pour moi, c'était une insulte aussi royale que son
« faussage »!
Aujourd'hui, la notion de justice s'est quand même précisée
dans ma tête, je vous rassure.
D'abord, je me dis que pareilles céréales, si elles avaient
besoin d'autant de marketing, ne devaient pas tomber sous le sens pour
quiconque voulait quand même bien se nourrir.
Puis, une injustice bien plus puissante m'a frappé de plein
fouet en regardant récemment le bulletin de nouvelles à la télé : les
banques alimentaires de Sherbrooke sont épuisées. Dans le reportage, derrière, une
boîte de Cheerios au miel et noix.
Un bonheur, les Cheerios miel et noix, pour moi, dans le
temps (et encore maintenant, avoué-je).
Mais voilà que c'est comme si le message sur les boîtes de
céréales, subitement, disait ceci : le contenu de cette boîte n'est pas
accessible à une part de plus en plus grande de la population.
J'ai grandi avec cette idée que les véritables besoins
alimentaires arrivaient au temps des Fêtes. Et on les comblait. Et on se
souhaitait une bonne année.
Là, c'est tout le temps.
J'avais même été surpris de constater la construction du
bâtiment de la Fondation Rock-Guertin sur la rue Roy : pourquoi un vaste
bâtiment permanent pour un besoin ponctuel, que je me disais avec une naïveté
qui me surprend maintenant?
L'injustice est là. Tout près. Palpable.
Elle n'est pas dans le choix des céréales le matin. Elle est
dans le fait de pouvoir déjeuner le matin. Et dîner. Et souper.
Est-ce qu'on peut se targuer d'être une société évoluée si
de plus en plus de nos concitoyens n'arrivent pas à se loger et se nourrir
convenablement?
La boîte de céréales me parle toujours. Mais autrement...
Clin d'œil
Une banque alimentaire qui manque de bouffe, ça
passe.
Une banque
monétaire qui manque un peu de profits, c'est une catastrophe.