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Justin au pays de l’or noir

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Photo : Il y a un curieux retour de l’histoire dans le conflit qui oppose deux provinces de l’Ouest canadien, la Colombie-Britannique et l’Alberta dans le dossier du pipeline Kinder Morgan. - Daniel Nadeau
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 2 mai 2018

Il y a un curieux retour de l'histoire dans le conflit qui oppose deux provinces de l'Ouest canadien, la Colombie-Britannique et l'Alberta dans le dossier du pipeline Kinder Morgan. Pour une rare fois, un important conflit constitutionnel au Canada ne concerne pas le Québec, mais deux provinces de l'Ouest.

Cela met aux prises deux gouvernements néo-démocrates issus du NPD et survient sous la gouverne d'un Trudeau. On se rappellera que l'Ouest canadien n'a jamais été la tasse de thé du père de Justin. Il semble que le pétrole de l'Ouest canadien ne fait pas la fortune politique des Trudeau. Regard sur un bras de fer constitutionnel canadien avec pour toile de fond la crise environnementale liée aux changements climatiques.

L'incohérence révélée

A priori, nous sommes devant un dossier mille fois vécu dans ce pays. Un projet de développement économique, vendre du pétrole à l'étranger grâce à la construction d'un oléoduc, rencontre la résistance des populations et des communautés locales qui craignent pour leur milieu les conséquences d'un tel projet. Dans ce cas-ci, les choses se compliquent davantage, car le projet en question concerne du « pétrole sale », du pétrole des sables bitumineux de l'Alberta qui causent des dommages quantifiables importants dans le processus d'extraction. Pire encore, l'impuissance de l'Alberta et des compagnies productrices de pétrole sur son territoire à trouver un débouché commercial pour vendre son pétrole cause de lourdes pertes économiques à l'Alberta et même au Canada. D'où l'idée libérale de présenter ce projet du pipeline Trans Mountain comme l'oriflamme de la conciliation entre développement économique et développement durable. De nombreuses voix se font entendre et contredisent cette thèse jovialiste de la ministre de l'Environnement Catherine McKenna et du premier ministre Justin Trudeau.

L'oléoduc Trans Mountain

Le pipeline Trans Mountain de l'entreprise Kinder Morgan est un projet de 7,4 milliards de dollars qui permettra de tripler la capacité d'un oléoduc existant qui passerait de 300 000 à 890 000 barils de pétrole par jour. Un projet qui rencontre une forte opposition de la population locale et des membres des communautés autochtones. On craint pour l'intégrité du territoire en cas de déversement et d'accident dans une région à fort potentiel touristique. Pour les opposants, le processus de consultation n'a pas respecté la constitution et la communauté autochtone n'a pas été consultée adéquatement. On craint pour les orques qui seraient menacées par la multiplication du nombre de pétroliers dans l'océan Pacifique aux abords des côtes de la Colombie-Britannique. On reproche aussi à l'entreprise Kinder Morgan de n'avoir pas suffisamment évalué différentes options de transport.

Les promoteurs de l'oléoduc n'hésitent pas à clamer l'intérêt national de ce projet et font resurgir les dangers du transport par train qui est toujours un souvenir pénible pour la population de Lac-Mégantic au Québec. De nombreuses manifestations ont eu lieu et des arrestations ont été faites notamment de la députée et chef du parti vert du Canada, Elizabeth May. Certains ont même demandé la présence de l'armée canadienne. Quand l'Ouest canadien s'enflamme et que l'on se drape dans des références toutes québécoises comme les drames d'Oka et de Lac-Mégantic, il n'est pas exagéré de parler de crise nationale même si le Québec n'est pas l'une des parties prenantes. La compagnie Kinder Morgan a dramatisé encore plus la situation en suspendant ses investissements. Le pipeline Trans Mountain a fait irruption dans la vie politique canadienne et est devenu un enjeu politique majeur pour le gouvernement Trudeau.

Les enjeux politiques

Les enjeux politiques sont multiples pour tous les intervenants. Le gouvernement néo-démocrate de Colombie-Britannique du premier ministre John Horgan a promis de tout faire pour bloquer le projet d'oléoduc Trans Mountain. Se maintenant au pouvoir grâce à l'appui des Verts d'Andrew Weaver, le gouvernement de Horgan a annoncé qu'il ferait appel aux tribunaux pour bloquer le projet de pipeline. Sa vis-à-vis de l'Alberta, tout aussi néo-démocrate que son homologue de Colombie-Britannique, Rachel Notley, est un véritable mouton noir dans la famille néo-démocrate, mais elle n'a pas d'autres choix si elle veut conserver ses chances d'être réélue alors que l'ex-ministre conservateur de Stephen Harper, Jason Kenney a pris la tête des conservateurs albertains et ce dernier est propétrole. Ce dernier mène dans les sondages. L'ancienne première ministre libérale de Colombie-Britannique, Christy Clark, est favorable au point de vue albertain dans ce dossier alors que le chef du NPD au fédéral, Jagmeet Singh reste silencieux et explique que c'est au premier ministre Justin Trudeau de régler ce problème. Pas étonnant, puisque le NPD vit une véritable guerre civile au sein de ses rangs en marge de ce pipeline.

Cette partie de bras de fer entre l'Alberta et la Colombie-Britannique se déroule avec pour toile de fond une guerre commerciale entre les deux provinces. Le gouvernement de Rachel Notley menace de couper le robinet du pétrole albertain à sa voisine, ce qui ferait augmenter le prix de l'essence à la pompe pour les consommateurs de Colombie-Britannique alors que l'Alberta a suspendu la vente des vins de Colombie-Britannique sur son territoire. Ce qui a fait dire au constitutionnaliste Benoit Pelletier de l'Université d'Ottawa que de mémoire il n'avait jamais vu un tel précédent d'une guerre commerciale aussi intense entre deux provinces canadiennes. On comprend mieux à l'analyse des enjeux politiques en cause, toute la difficulté du dossier pour le gouvernement de Justin Trudeau.

Trudeau pris au piège

Au fond, Justin Trudeau est pris au piège par ce dossier. S'il est improbable qu'il envoie l'armée pour civiliser les parties en cause, le gouvernement de Justin Trudeau se doit de gérer cette crise et faire en sorte que ce projet voit le jour sinon il y perdra la face. Néanmoins, la glace est mince puisque ce projet, par son existence même, rend moins crédible aux yeux de plusieurs observateurs, et pas seulement les écologistes purs et durs, l'engagement du Canada envers le Traité de Paris sur la réduction des gaz à effet de serre et de la lutte aux changements climatiques.

La réalité est que le gouvernement de Justin Trudeau n'a pour ainsi dire aucune marge de manœuvre. Si le gouvernement souhaite conserver ses sièges à la fois en Colombie-Britannique et en Alberta, il doit feindre d'agir avec assez de crédibilité pour faire plaisir aux Albertains tout en faisant très peu pour ne pas faire émerger la colère des Britanno-Colombiens. On doit surtout se ménager l'appui des écologistes et des nations autochtones.

C'est un peu la quadrature du cercle pour Justin Trudeau. Un moment crucial pour son jeune gouvernement. Après son voyage désastreux en Inde, Justin Trudeau doit réussir à juguler cette crise devenue nationale, car toute sa politique de conciliation environnement et économie risque de subir des dérapages fatals. Le fragile équilibre entre croissance propre nécessite un équilibre délicat entre la lutte aux changements politiques et le développement économique. Sa politique de taxation du carbone doit à la fois reposer sur l'acceptabilité sociale et la volonté politique. Ce dossier met en péril les deux. Situation inextricable.

Gagner du temps

Parmi les solutions envisagées, il y a la solution constitutionnelle où l'on ferait valoir la prééminence du pouvoir fédéral sur celui des provinces en matière d'énergie et d'environnement. Ce qui ferait bondir le Québec. Après tout, nous avons Hydro-Québec chez nous et l'on ne voudrait pas que le fédéral vienne y mettre son nez pour régler par exemple notre vieux conflit avec Terre-Neuve concernant Churchill Falls. Une mauvaise idée pour Justin Trudeau d'ajouter la voix discordante du Québec dans ce dossier où ce gouvernement a déjà fait connaître son appui à la Colombie-Britannique. Reste la voie de l'argent et des atermoiements pour gagner du temps. Le temps que le gouvernement minoritaire de Colombie-Britannique tombe et soit remplacé par un gouvernement libéral favorable à ce pipeline et le temps aussi que le gouvernement NPD de Rachel Notley tombe aux mains de Jason Kenney. Au fond, la meilleure stratégie possible pour Justin Trudeau dans cette crise c'est de gagner du temps. Cela affaiblira le NPD tout en favorisant la réalisation du pipeline Trans Mountain de Kinder Morgan. Du temps, voilà ce dont a besoin Justin Trudeau au pays de l'or noir.


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