Vivre en société est de plus en plus complexe. Pas tant parce que nos souches sont de moins en moins communes, ni parce que les croyances religieuses sont moins uniformes qu'avant. Je dirais plus que c'est parce qu'on veut vivre chacun pour soi, chacun pour ses droits, dans un univers où l'autre veut la même chose.
Le cul-de-sac arrive vite quand on s'arrête aux définitions proposées pour le mot société. J'ai bloqué à celle qui dit qu'une société est « le fait, pour un groupe d'individus de la même espèce, d'établir des relations entre eux. »
Ça commence mal...
D'abord, nous sommes tous de la même espèce, mais des éléments nous différencient. Et nous avons des droits affirmés, criés haut et fort. Alors, la même espèce devient subitement moins uniforme.
Le problème avec les droits individuels qu'on ramène chaque jour à l'avant-plan, c'est qu'ils mettent toute la lumière sur les différences et laissent dans l'ombre les similitudes. Et ça part mal, parce que, pour « établir des relations entre eux », les citoyens doivent miser sur les similitudes...
Puis, il y a l'instantanéité que les médias sociaux impliquent. Un fait survient, on est avisés en temps réel. Comme on veut tout régler vite pour éviter une chicane, on propose une solution en temps tout aussi réel. La réflexion ? Perte de temps. Il faut régler.
Donc, si on apprend qu'un enfant se plante à vélo en revenant de l'école, on réclame de facto une loi qui interdit de circuler sans une armure et on exige un brigadier sur chaque coin de rue. Allez, une loi, vite, qu'on passe à autre chose !
Je caricature à peine.
Une loi pour gérer chaque cas a un effet contraire à ce qu'on souhaite au départ. La loi vient enlever le jugement des personnes par rapport à une situation donnée. Conséquence? S'il n'y a pas de loi, on ne sait plus trop quoi faire. Et moins on a de jugement, plus on a de lois... Et vice versa.
Je reviens sur cette situation de murale incluant de la nudité sur un mur public de Sherbrooke. Une murale est commandée à un artiste. On y voit, effectivement, des seins de femmes.
Les responsables de la ville ont eu peur d'avoir peur et ont exigé qu'on peigne un tissu par-dessus les seins dénudés. Ils anticipaient que certaines clientèles allaient se plaindre, alors on cache.
C'est le principe que j'évoque dans cette chronique. Il n'y a pas de loi claire encadrant une murale dans un contexte similaire. Notre jugement étant à « off », on se met automatiquement en position repli. Les seins ne seront donc visibles que sur des photos prises avant la deuxième couche de peinture...
Je suis éberlué de constater à quel point on devient plus blanc que blanc avec le temps. Alors qu'il n'y a jamais eu autant de consommation de pornographie via des « sessions privées » sur nos périphériques dits intelligents, alors que les magazines de mode montrent des décolletés hallucinants qui titillent l'imaginaire (et ce, juste à côté des caisses enregistreuses des commerces), alors que les maillots des adolescentes ont à peine assez de volume pour contenir un motif, voilà qu'on s'insurge (ou qu'on a peur que quelqu'un s'insurge) d'un sein nu.
Je continue de croire que l'érotisme, c'est l'art de cacher. Cacher dans le but de stimuler les sens. Si quelqu'un voit dans la murale proposée quelque chose qui correspond à cette description, je veux entendre ses arguments...
Si on ne peut plus croiser un sein dans un contexte artistique, c'est qu'on vit dans un environnement où chaque élément est encadré. Où le citoyen a des droits, mais pas de responsabilités. Où le citoyen n'exerce plus son jugement personnel.
Et comprenez-moi bien, je ne condamne personne, sinon nous tous. Parce que les responsables ont raison dans leur évaluation : effectivement, des gens se seraient plaints. Et plutôt que de faire le débat, on aurait cherché une loi, un règlement, pour éviter d'avoir à débattre et/ou réfléchir.
Et c'est sans cette capacité de jugement qu'on espère former une société...
Clin d'œil de la semaine
Le sein maternel donne la vie. Les lois maternent ensuite.
À quand une loi pour exiger du jugement ?