Les résultats de l'élection complémentaire dans le comté de
Jean-Talon à Québec auront un impact majeur sur la suite des choses dans le
monde politique québécois. Si la victoire du Parti québécois de Paul
St-Pierre-Plamondon pouvait être prévisible, il n'allait pas de soi que cette dernière
soit si marquante. Avec le double des voix sur la candidate de la Coalition
avenir Québec, Marie-Anik Shoiry, le nouveau député péquiste de Jean-Talon,
Pascal Paradis a non seulement rejoué dans le film David contre Goliath, mais
dans cette version de Jean-Talon, David a non seulement battu Goliath, il l'a
pulvérisé. Les autres formations politiques en présence, le PLQ, Québec
solidaire et le Parti conservateur ont tous perdu des plumes et cela augure
d'un possible déplacement des plaques tectoniques politiques au Québec. Il
reste néanmoins que le vote des électeurs et des électrices de Jean-Talon est
d'abord et avant tout une motion de blâme envers le gouvernement Legault. Que
monsieur Legault en profite pour ressusciter de ses cendres le projet de
troisième lien est tout simplement du surréalisme politique. Réfléchissions à
cela ensemble.
Les causes de la défaite caquiste
Bien malin qui pouvait prétendre connaître les causes de la
débandade caquiste dans Jean-Talon. Ce n'est certes pas un désaveu des
politiques économiques du gouvernement Legault. Les gens n'ont pas probablement
voté contre les baisses d'impôt ni contre l'annonce de projets majeurs comme
ceux de la reconversion de l'économie du Québec dans une transition verte. De
manière générale, la population québécoise est plutôt satisfaite de leur
gouvernement même si elle vient de faire connaître un moment d'humeur par ses
ambassadeurs de Jean-Talon. Ce mouvement d'humeur est lié à une conjoncture
économique particulièrement difficile. Hausses du coût de la vie, hausses des
taux d'intérêt, rupture de services en santé et en éducation. Un système de
justice qui craque de partout et bien sûr les effets délétères d'une crise
climatique qui multiplie les catastrophes naturelles et vient affecter durement
les conditions de vie. À tout cela, s'ajoute un sentiment de trahison lié à la
parole reniée concernant le troisième lien. Il faudrait être de mauvaise foi
pour attribuer la responsabilité de ces problèmes uniquement au gouvernement
Legault. Il faut être jovialiste pour croire qu'un gouvernement, quel qu'il
puisse être, pourrait proposer des solutions à court terme pour vaincre
l'inflation, le coût du logement ou la hausse du prix du pétrole. Nous vivons
dans un monde qui est parti en jachère. La crise de confiance qui s'est
manifestée dans Jean-Talon est vécue avec beaucoup plus d'acuité dans toutes les
démocraties occidentales y compris les États-Unis d'Amérique. Les causes de
tout cela sont profondes. Cherchons à y voir clair.
L'Occident en crise...
Ce dont il est question c'est la crise des économies
capitalistes et des démocraties libérales. Le Québec n'est pas une île et ne
fait pas exception. Le gouvernement Legault peut en mesurer l'ampleur dans la foulée
des résultats de la dernière élection complémentaire dans Jean-Talon. La
crise des économies de marché et des démocraties est un sujet vaste et
complexe.
Plusieurs facteurs ont été avancés pour expliquer
cette crise, bien que les opinions varient selon les experts, les régions et
les contextes. Cherchons à comprendre ensemble, si vous me le permettez, en
pointant une liste non exhaustive de certains facteurs couramment évoqués dans
la littérature scientifique.
D'abord, il y a la question des inégalités
croissantes, bien que moins prononcées au Québec et au Canada qu'ailleurs en
Occident. Dans de nombreuses démocraties, la croissance économique n'a pas
profité également à tous. Les inégalités de revenus et de richesse se sont
accrues, entraînant une frustration croissante parmi ceux qui se sentent
laissés pour compte. Il faut constater que la globalisation des économies et la
mondialisation ont contribué à redistribuer la richesse et le pouvoir à l'échelle
mondiale. Cela a entraîné la perte d'emplois dans certains secteurs, en
particulier dans les industries manufacturières des pays développés. Le cas de
la Rust Belt (des états industrialisés au 19e siècle)
aux États-Unis est éloquent à cet égard.
Cela n'a pas été sans conséquences pour les
démocraties. La montée des populismes et des leaders autoritaires dans
certaines régions a mis en péril les principes démocratiques, comme la liberté
de la presse et l'indépendance de la justice. Nous en avons des exemples
évidents en Pologne, en Turquie et en Russie. On peut aussi percevoir ces
tendances mêmes aux États-Unis. Le passage de Donald Trump à la présidence n'a
pas été de tout repos pour la liberté de presse. Parlant de Trump, il n'est pas
étranger à l'apparition massive dans nos démocraties à l'ère de l'information
numérique des fausses nouvelles. L'explosion de ces dernières a permis à la
désinformation de prendre une large place, rendant plus difficile pour les
citoyens de discerner la vérité et de prendre des décisions éclairées.
Cette implosion de l'information et des faits
d'actualité dans la foulée de la croissance des médias sociaux a renforcé les
bulles informationnelles où les individus ne sont exposés qu'à des informations
qui renforcent leurs croyances préexistantes. Nous sommes loin aujourd'hui de
la promesse initiale des réseaux sociaux de donner accès à une variété infinie d'informations et de points de vue ayant
pour objectif d'augmenter notre capacité de vivre ensemble par une discussion
rationnelle dans un espace public habermassien.
Les crises économique et environnementale et la perte de
confiance dans nos institutions
Les chocs économiques, comme la crise financière
mondiale de 2008, ont érodé la confiance dans les institutions économiques et
politiques. L'automatisation et l'intelligence artificielle menacent de
remplacer de nombreux emplois, créant de l'insécurité économique pour de
nombreux travailleurs. Il y a aussi toute la question de l'intelligence
artificielle qui viendra amplifier la perte de confiance dans nos institutions
et nos élites. La crise climatique et d'autres défis environnementaux ont
exacerbé les tensions, car les ressources deviennent plus rares et la
compétition pour celles-ci s'intensifie. La confiance envers les institutions
traditionnelles, qu'il s'agisse de gouvernements, de médias ou des entreprises,
est en déclin. Les démocraties peuvent être mises sous pression par des acteurs
étatiques externes qui cherchent à saper leur cohésion ou leur efficacité.
Les démocraties en crise
Il est important de noter que la relation entre l'économie
de marché et la démocratie est complexe et multidimensionnelle. Tandis que
certaines démocraties peuvent connaître des tensions ou des défis, d'autres
peuvent prospérer ou s'adapter. De plus, il est possible que certaines des
causes mentionnées ci-dessus ne soient que des symptômes d'une crise plus
profonde ou de transformations en cours dans la nature même de la démocratie et
de l'économie mondiale.
Plutôt que de voir dans les événements politiques
récents du Québec, un déplacement des plaques tectoniques politiques
québécoises, j'y vois plutôt le syndrome d'une crise profonde de la démocratie.
À notre échelle, le gouvernement de la CAQ était parvenu à maintenir un lien de
confiance avec la population, ce qui venait en contradiction avec ce qui se
passe partout ailleurs dans les démocraties occidentales. Il faut mettre sur le
compte de notre atavisme national cette confiance conservée envers nos élites
et nos institutions. La parole brisée du gouvernement de la Coalition avenir
Québec sur l'insignifiant projet de troisième lien a rompu l'armure sans
égratignure de François Legault. Qui plus est, la crise du logement, la crise
climatique et la crise du coût de la vie agissent de concert et sont un
véritable détonateur qui a réveillé chez nous les pulsions destructrices envers
l'économie de marché et la démocratie. Le peuple en colère et désabusé a décidé
dans Jean-Talon de faire entendre sa voix. La victoire du PQ n'en déplaise aux
souverainistes et aux nationalistes n'est pas le présage du pays à venir. C'est
plutôt le présage d'une crise politique annoncée...