Nous sommes toujours prisonniers de notre passé, de notre
parcours. Nous croyions à raison que nos expériences, nos succès et nos échecs font
partie de ce que nous sommes. Cela est bien souvent vrai pour chacun d'entre
nous, mais cela ne l'est pas moins pour la société dans laquelle nous vivons.
Ce qui me fascine plus que tout c'est qu'ignorer notre histoire a de lourdes
conséquences sur le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui. C'est Aldous
Huxley, le célèbre écrivain qui a écrit l'un des grands romans du 20e siècle,
Le meilleur des mondes, qui a mieux que quiconque résumer
l'importance de l'histoire dans nos vies. Il a écrit que : « le fait que les
hommes tirent peu profit des leçons de l'histoire est la leçon la plus
importante que l'histoire nous enseigne. »
Je n'aurais pas pu trouver de meilleures citations pour
introduire le sujet de cette chronique, la question de la perte du statut
universitaire du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. Dans la foulée
du dépôt du projet de Loi 15 du ministre de la Santé, Christian Dubé, le
statut universitaire du CHUS disparaît. Il faut dire à la défense du ministre
que cela est attribuable notamment au fait que le CHUS cherche à jouer sur deux
tableaux. Être associé à Santé Québec pour asseoir son pouvoir et conserver son
statut universitaire. Permettez-moi d'expliciter mon point de vue sur cette
question dans cette chronique.
La question
L'histoire est relativement simple. Pas besoin d'appeler
quelqu'un à la rescousse pour en comprendre les tenants et les aboutissants. Le
gouvernement Legault par la voix de son ministre Christian Dubé veut revoir de
fond en comble notre réseau de la santé, ébranler les colonnes du temple afin
de le rendre plus efficace et de répondre aux besoins multiformes de la
population du Québec qui y consacre 50 % de tous ses impôts. La crise de
la pandémie a rendu cela encore plus évident avec tous ces actes médicaux
reportés et avec le gonflement des listes d'attente tout en contribuant à
détériorer davantage, si cela est imaginable, les conditions de travail des
employés du réseau notamment les infirmières et les infirmiers. Le moyen
imaginé c'est de créer une agence de la santé qui serait responsable de toutes
les opérations du réseau alors que le ministère de la Santé et des Services
sociaux ne se concentrerait plus que sur les orientations. En fait, le ministre
veut se donner un opérateur sur le terrain qui ne serait pas paralysé par la
joute politique. En soi, l'idée semble attrayante. Elle a plutôt été bien
accueillie par la population même si l'opposition à cette loi des différents
lobbys notamment ceux des médecins et des syndicats est plutôt féroce. Quoi
qu'il en soit, les débats ont cours et les travaux se poursuivront en
commission parlementaire cet automne.
Or, dans la foulée de ce projet de Loi 15, les agences de
santé existantes sont abolies et remplacées par la nouvelle agence. En Estrie,
cette agence a pour identifiant CIUSSS de l'Estrie
- CHUS. Il est normal de retrouver dans le projet de loi du ministre un
article abolissant le CIUSSS de l'Estrie - CHUS parce qu'il sera remplacé par l'Agence. Là où le bât blesse
cependant c'est que dans d'autres articles on reconnaît la présence
d'institutions à caractère universitaire comme le CHUM, le CUSM, l'hôpital
Saint-Justine et d'autres, mais on ne reconnaît pas le CHUS. Il n'en fallait
pas plus pour que le professeur et doyen de la faculté de médecine, Dominique
Dorion déclare que : « La loi, actuellement, n'écrit pas que le CHU de
Sherbrooke n'existe plus, mais elle n'écrit pas qu'il existe. Les autres CHU
sont tous reconnus. » Par ailleurs, le professeur Dorion s'inquiète à raison
des conséquences de cette non-reconnaissance du statut universitaire pour notre
centre hospitalier. Comme il le dit, cela serait tout sauf anecdotique. Cela
mènerait le CHUS sur la pente insidieuse d'une perte de services, la fin des
investissements en nouveaux équipements et le transfert de plus en plus de cas
vers d'autres hôpitaux spécialisés. Sans compter l'effet sur le recrutement des
médecins et l'impact sur la recherche médicale dans notre région. Cette affaire
est tout sauf banale.
Fausse alerte
Finalement, nous apprenions
mercredi matin que le péril de la perte de la désignation universitaire de
notre Centre hospitalier le plus important était évité. Dans une entrevue à une
radio locale, le professeur et recteur de l'Université de Sherbrooke, Pierre
Cossette a déclaré qu'il avait eu la confirmation du ministre de la Santé
Christian Dubé que le statut universitaire du CHUS sera protégé par le projet
de Loi 15. À cette fin, le ministre a informé le recteur Cossette que la
modification sera introduite dans la prochaine salve d'amendements qui sera
déposée dans quelques semaines. Le recteur Cossette a ajouté sur les ondes de
la radio locale que : « Je le
prends pour une assurance complète, continue-t-il. Je lui ai demandé après la
rencontre si ça voulait dire que je pouvais annoncer que le CHUS resterait un
CHU et il m'a dit que oui. » Ouf ! Nous l'avons échappé belle. Mais quelle leçon
devrions-nous tirer de cet épisode politico-administratif ?
Connaître notre histoire est
une obligation
Dans toute cette affaire, ce qu'il
a de plus inquiétant c'est l'absence de connaissances des enjeux d'une telle
question par la très grande majorité de nos élus, exception faite des autorités
universitaires qui ont effectué leur travail de nous sensibiliser au problème.
Comment se peut-il qu'aucun des députés de notre région tant du gouvernement
que de l'opposition n'ait pas fait preuve de la plus grande vigilance à
l'endroit des conséquences de ce projet de loi pour la région ? C'est un
travail de base du personnel politique entourant ces élus de surveiller toutes
les informations qui touchent de près ou de loin notre région. Ces gens-là se
parlent-ils des intérêts supérieurs de la région ? La mairesse de la ville
n'a-t-elle pas intérêt à surveiller de près toutes les répercussions
potentielles des projets de loi qui touchent sa ville ? Le CHUS vaut peut-être
la peine que l'on s'attarde à ce qu'il vit étant donné son importance tant ne
matière de soins à la population, en recherche ou en retombées économiques.
Y'a-t-il d'autres personnes que
l'ancienne députée de Saint-François et ministre de plusieurs ministères
importants au gouvernement du Québec dans une carrière de plus de 25 ans
pour s'inquiéter de l'avenir du CHUS ? Elle en faisait écho lors d'une entrevue
donnée à une radio mercredi dernier. Serait-elle la seule à savoir que les gens
des grands centres que sont Montréal et Québec n'aiment pas partager leurs
précieuses ressources et leurs équipements avec les régionaux comme nous ?
Personne ne se rappelle les combats épiques menés par Monique Gagnon-Tremblay
et de nombreuses personnalités de la région pour préserver notre faculté de
médecine que Paul Gobeil, autrefois président du Conseil du trésor dans un
gouvernement Bourassa, voulait abolir sous le fallacieux prétexte qu'il y avait
une faculté de médecine de trop au Québec. Sans compter qu'il faut se rappeler
que la présence de l'Université de Sherbrooke à Longueuil a nourri des
rivalités plus grandes que nature entre nous et les gens de Montréal.
Tout cela pour dire que se
rappeler notre histoire et nos dossiers constitue un devoir pour tous nos élus.
Qui se souvient du rôle majeur du maire Jean Perrault à l'époque pour maintenir
l'Hôtel-Dieu au centre-ville de Sherbrooke ? Il n'y a pas à dire se souvenir
d'où l'on vient est essentiel pour savoir où l'on va sinon nous risquons de
devenir collectivement des ignares aveugles...