Au lendemain d'une convention politique fort bien réussie, la candidate démocrate Hillary Clinton et son colistier Tim Kaine ont, dès vendredi dernier, pris la route d'une campagne électorale qui sera longue et remplie de surprises. Déjà, Donald Trump et Mike Pence, les candidats républicains à la présidence et à la vice-présidence, sont à l'œuvre pour rechercher l'appui des électeurs et les précieuses manchettes des médias nationaux. Il ne faut pas en douter avec deux candidats mal-aimés par la population, la campagne électorale qui commence a des chances d'être aussi chaudement disputée qu'elle sera susceptible de nous réserver des surprises. Ce sera à coup sûr une campagne électorale palpitante. Réflexions sur la joute politique américaine au temps de la canicule...
La politique américaine, un monde fort différent du nôtre
Le processus électoral américain est pour nous, Canadiens, un monde étranger. La culture politique américaine est singulièrement différente de la nôtre. Outre les sommes d'argent colossales investies par les différents candidats sans limites de dépenses, la mécanique complexe des primaires américaines, l'étrange spectacle des conventions politiques de chacun des partis (qui sont de longs « infocommercials »), la principale différence est la place démesurée qu'occupent les lobbies dans le processus électoral. Se retrouver dans cette complexité est un exploit si nous souhaitons avoir une connaissance fine des enjeux politiques qui confrontent nos voisins du sud.
Des États-Unis transformés
L'actuelle campagne électorale nous donne droit à un curieux spectacle. D'une part, les républicains, Parti par excellence du patriotisme et de l'optimisme, se plaisent à présenter une image noire des États-Unis. Un pays dévasté par le chômage, divisé par la race et aux prises avec une horde d'immigrants illégaux qui sont responsables de la faillite de l'économie américaine. Sans compter la faillite de la politique étrangère des démocrates sous la présidence de Barack Obama et de la secrétaire d'État Hillary Clinton qui a mené aux dires de Donald Trump à la naissance de l'État islamique.
D'autre part, les démocrates plus libéraux que jamais qui présentent les États-Unis d'Amérique comme un grand pays aux multiples possibilités d'avenir, mais qui sont confrontés à des défis de taille qu'ils vaincront en se mettant ensemble. Les démocrates ont volé à leur adversaire républicain le monopole de l'optimisme et du discours guerrier.
Outre ces différences fondamentales avec la tradition politique américaine, les États-Unis font face aux problèmes des tueries massives et des désordres raciaux dans les grandes villes américaines. Les droits civiques sont plus que jamais menacés et, même si l'économie américaine récupère de la pire crise économique héritée de l'administration de Georges W. Bush, les résultats tardent à se faire sentir pour plusieurs membres de la classe moyenne des états industriels. D'où la colère et le ressentiment de l'homme blanc de la classe moyenne que Donald Trump cherche à exploiter durant sa campagne.
Les États-Unis voient aussi leur puissance économique déclinée dans le monde au profit de l'économie chinoise et des états émergents comme l'Inde. Leur puissance militaire, même si elle demeure incontestée, est de plus en plus inadaptée au type de guerres auquel est confronté le monde contemporain. Le terrorisme rampant du désespoir est difficile à combattre. Un ennemi sans territoire identifié est difficile à cerner. Il y a aussi l'enjeu du libre-échange qui semble battre de l'aile tant en Europe qu'en Amérique, du moins aux États-Unis. Le monde se transforme, les États-Unis également et les solutions d'hier ne sont plus celles d'aujourd'hui. D'où la volonté de changement de bien des populations et particulièrement de la population américaine.
Quels changements?
La question qui confronte la population américaine est la même qui a interpellé les Canadiens lors du dernier scrutin qui a conduit à l'élection des libéraux de Justin Trudeau. Quels sont les changements souhaitables?
On dit souvent que le diable se cache dans les détails. C'est ce qui se produit quand on cherche à définir les changements possibles. Chez nous, le débat n'a pas vraiment eu lieu puisque le consensus était de se débarrasser du gouvernement Harper et des conservateurs. La situation est fort différente aux États-Unis.
Chez nos voisins, la question du changement souhaité doit-elle mener à un plus grand isolationnisme, à un repli sur soi et à une détestation de l'Autre comme le propose Donald Trump en prônant la fin du libre-échange, l'érection d'un mur entre les États-Unis et le Mexique, l'expulsion des musulmans du territoire américain et le retrait des États-Unis du monde de la politique étrangère? Ces arguments reposent sur la peur et la division du peuple américain.
L'autre version du changement proposé est celle que soutiennent les démocrates d'Hillary Clinton qui prônent un programme d'investissement massif dans les infrastructures et l'économie ainsi que le renforcement des droits constitutionnels des minorités. Un programme plus à gauche que jamais présenté par les démocrates. Un programme qui signifie un État interventionniste, ce qui est étranger à la culture politique américaine. Convaincre les électeurs américains de choisir un parti et un programme à la Justin Trudeau est un immense défi pour Clinton et les démocrates. Ce sera une véritable révolution. Ce n'est pas nous les Canadiens qui s'en plaindraient si cela advenait.
Une société bloquée
Quoi que l'on puisse penser, la course actuelle à la présidence américaine est tout sauf une lutte de personnalités. Certes, c'est ainsi que cela sera présenté par les médias et probablement vécu par la majorité des Américains. Néanmoins, cette élection repose sur un choix de société par les Américains qui aura des répercussions non seulement pour eux, mais pour la planète entière. Si la patrie de la démocratie libérale choisit le repli sur soi; si les champions des droits individuels se mettent à construire leur pays sur la division et la détestation de l'Autre; si enfin les États-Unis d'Amérique décident de rentrer chez eux et de s'isoler du monde, cela aura un effet d'entraînement sur bien d'autres démocraties en Europe et même chez nous au Canada.
La situation est cependant beaucoup plus complexe qu'elle nous paraît au premier coup d'œil. Même si Hillary Clinton défait Donald Trump, ce qui est probable malgré ce qu'en pensent bien des commentateurs, il reste que le Sénat et la Chambre des représentants demeureront aux mains des républicains et de ses détestables extrémistes du Tea Party. Le blocage de la société américaine tient beaucoup à cette impossibilité pour la présidence à travailler de bonne foi avec les deux chambres. C'est ce qui explique l'absence de législations sur les armes à feu ainsi que l'absence d'une nouvelle politique d'immigration. La campagne politique débute entre Clinton et Trump, mais la paralysie de la démocratie américaine persistera à moins que l'électorat américain décide de donner à sa future présidente les moyens de ses ambitions. Clinton, Trump, la joute politique commence...