« Le monde est fou, c'est ce qu'on en dit, mon chum pis moé, mon chum pis moé »
Le chum en question, c'est le squelette du Géant Beaupré. Le contexte? Une chanson de Beau Dommage. Le gars est gardien de nuit dans le musée où est exposé le squelette de ce géant. À 8 pieds 3 pouces, il avait de quoi surprendre! Mort à 23 ans, son squelette a été récupéré et exposé au musée.
C'est de bon goût, d'exposer ça? Allez savoir. Votre réponse est aussi bonne que la mienne.
Je me souviens qu'au musée du Séminaire de Sherbrooke, il y avait, en cadres superposés (de mémoire), les radiographies du Géant Beaupré.
De bon goût d'exposer ça? Allez savoir...
Mais la chanson qu'on en a faite est touchante. Elle parle très peu du géant, de la maladie des glandes je-ne-me-souviens-pas-trop-lesquelles qui a causé ce gigantisme. Il a été, essentiellement, une bête de foire, une curiosité de la nature.
La chanson est touchante parce qu'elle raconte l'histoire du gardien de nuit du musée, au tournant des années 1970, qui avait des conversations imaginaires avec le gentil géant qui était là, en os, puisque dépourvu de sa chair. Ce n'est pas une histoire ésotérique de squelette qui reprend vie, nenon! Le musée est un repère de tranquillité pour le gardien qui s'y réfugie et prend connaissance de la vie extérieure via la radio. Et il est « bien content d'être à l'abri, d'être ben au chaud, loin de ce monde-là... »
Souvent, au gré de mes navigations sur les médias sociaux, je m'enfarge dans toutes sortes d'affaires plus spectaculaires les unes que les autres. Tout aussi inutiles, les unes que les autres. C'est facile, de nos jours, de voir plein de choses pas normales. Les choses les plus laides «ever», les prouesses stupides les plus dangereuses, les anomalies physiques les plus grotesques.
Chaque fois que mes yeux trébuchent sur des inepties toujours de plus en plus connes, la ritournelle de Beau Dommage joue dans ma tête. Et provoque un certain malaise. Le malaise de celui qui peut voir, se moquer, juger et condamner n'importe quoi, n'importe qui. Nous sommes les mêmes voyeurs que ceux qui allaient voir des femmes à barbe et des hommes-troncs dans des cirques. Seuls les moyens ont changé.
Le Géant Beaupré (je mets la majuscule à Géant parce que c'est le seul prénom que je lui connais!) a vécu une vie sous l'œil curieux de plein de gens qui n'en revenaient pas. Poche, comme vie.
Souvent, je me dis qu'à force de mettre des caméras partout, de surveiller tout le monde et d'être surveillés par tout le monde, nous sommes en train de faire de notre vie un cirque. Parce que lentement, le droit à la vie privée perd du terrain face au droit à la sécurité. Et qu'au nom de cette sécurité, on filme tout. La connerie ultime américaine de croire que chaque citoyen peut et doit porter une arme à feu pour assurer sa protection se transpose sur notre mode de vie par le biais de caméras de surveillance et de millions de caméras qu'on traîne partout (nos téléphones!) et qui nous permettent de diffuser n'importe quoi en temps réel. En toute impunité. Ou presque.
Pour être certains de ne rien manquer de la vie, on permet à nos bidules électroniques de nous suivre en temps réel. Partout, à la trace! Je n'ose pas imaginer le nombre de fois où on me filme dans des endroits publics. Isssshhhhh...
Chaque fois que je pense à tout ça, j'entends la toune du Géant Beaupré et j'ai une bonne pensée pour lui. Il a vécu traqué par les regards toute sa vie. Mort, il se retrouve au musée où « des fois, rarement, y a des gens qui viennent pour le voir ». Même mort, il n'a pas trouvé le repos complet...
Ma question demeure entière : il est où mon musée. Mon endroit où « chus ben content d'être à l'abri, d'être ben au chaud, loin de ce monde-là »?
Clin d'œil de la semaine
Si on me demandait d'écrire tout ce que je fais de mes journées et de remettre ça à un tiers que je ne connais pas, je refuserais. Il est intelligent, mon téléphone! Il me fait faire ce que je refuserais autrement...