Voici la troisième de trois chroniques sur des souvenirs et des enseignements reçus alors que j'étais au secondaire, au Séminaire de Sherbrooke. J'y repense cette année parce cela fait 35 ans que l'aventure est terminée pour nous!
N'allez pas croire que je suis malpoli en utilisant l'expression « le père ». Nenon! On disait le père Tom et le père Hamel parce que c'étaient des prêtres. Et un peu nos pères, le jour, à l'école, il faut bien le dire. Des pères qui n'en laissaient pas trop passer. Mais qui jasaient avec nous. Qui étaient à l'écoute quand même. Et qui dégageaient quelque chose. En tous les cas, quand ils se choquaient, on dégageait, ça c'est sûr!
Je revois le père Tom, debout, dans la salle des jeunes, à surveiller ce qui se passe. Il se tenait là, à regarder autour. Il surveillait. L'air sévère. Des mains grosses de même...
« Son air bourru est une façade, il ne doit pas être si dur, au fond», me disais-je pour me rassurer. Même aujourd'hui, je ne suis pas sûr du tout. Je n'ai jamais osé franchir la façade, pas plus que je n'ai jamais risqué de tester le fond, pour dire vrai...
Le père Tom nous accueillait le matin et montait la garde à chaque occasion que nous avions de nos retrouver dans la salle commune.
De mémoire, il n'avait pas à répéter beaucoup pour se faire entendre.
Des légendes urbaines circulaient, en lien avec la démonstration de son autorité. Ça le rendait encore plus redoutable. Rien d'avéré à ce jour. Mais, juste au cas, on se tenait un peu plus tranquille.
Avec le père Tom, j'ai appris que je n'étais pas tout seul dans cet univers qui était le mien et celui de mes confrères. J'ai compris, plus tard, qu'il en était de même en société. J'ai appris que la niaiserie que je venais de dire (et j'en ai dit, croyez-moi...) était subitement moins drôle quand j'avais à la répéter devant lui. Le même enseignement que j'ai le goût de donner à celles et ceux qui ont beaucoup de courage pour lancer des insultes, derrière leur clavier d'ordinateur, mais qui se dégonfleraient lamentablement s'ils étaient en face de la personne visée.
Le père Hamel, lui, c'était différent. Il était cool. La bouche un peu déformée par une moue semblable à celle d'Elvis, il avait un humour particulier. Nous, on se disait que si on pouvait négocier avec le père Hamel plutôt que le père Tom, on avait plus de chances que ça marche.
Mais n'allez pas croire que cool veut dire mou. Pantoute! Quand c'était non, c'était non. Et on savait pourquoi.
Je me rappelle qu'à cette époque (devenue douce avec les années qui m'en séparent), on se rendait, une fois deux par année, dans la grande salle (le théâtre*) pour le visionnement d'un film. Généralement, c'était un vendredi après-midi.
Par un bon vendredi matin, une rumeur s'était mise à circuler dans les corridors du séminaire. On allait voir un film cet après-midi-là. C'était la fête dans nos têtes et dans nos cœurs! Mais voilà, tout cela n'était que rumeur. Il fallait confirmer. On a demandé, presque à tour de rôle, au père Hamel, sur l'heure du midi : « Père Hamel, c'est-tu vrai qu'on a film cet après-midi? » « Non », répondait-il. Armé de son humour unique, il avait décidé de semer une petite pagaille.
« Père Hamel, est-ce qu'il y a un film cet après-midi? » « Oui ».
Voilà, c'était parti. Dans la salle des jeunes, on s'obstinait fort, tous armés du même argument : « Le Père Hamel me l'a dit! » « Ben, moi aussi, tu sauras! »
Tout l'épisode s'est terminé par une annonce à la radio étudiante : « Soyez clairs, quand vous posez des questions. « Y a-t-il un film cet après-midi? La réponse c'est oui. À la télé, au cinéma, il y en a. « On a-tu un film cet après-midi? La réponse, c'est non. Bon après-midi en classe. »
Plusieurs années plus tard, j'ai eu à présenter un projet à Jean-Guy Farah, un des hauts dirigeants de La Tribune, où je travaillais à l'époque. Je voulais que mon affaire passe, alors j'ai étoffé le document. Il me l'a retourné, un peu cavalièrement, il me semblait, en me disant : « Je ne l'ai pas lu. Sois clair. Il faut que ça entre dans une page. Sinon, c'est que ton idée n'est pas arrêtée. »
J'ai repensé au Père Hamel. À la clarté prescrite. Et je me suis dit qu'il était temps que je mette la leçon en pratique.
Clin d'œil de la semaine
On est rarement tout-à-fait clair. Même si on se pratique depuis des années. Mais ce n'est pas si grave. Les médecins et les avocats passent leur vie à pratiquer et on ne leur en tient pas rigueur...
*l'actuel Théâtre St-Laurent du séminaire n'est, en fait, que le balcon de ce qu'était notre théâtre à l'époque.