Problème de consommation. Véritable problème de consommation.
L'alcoolique sent sa vie devenir moins lourde quand les effets de l'engourdissement de l'alcool qu'il ingurgite commencent à faire effet. Pendant un temps, il est allègre, devient volubile, s'ouvre même à autrui. Autrui souvent mal choisi et imperméable à sa situation, mais bon... Il faut dire que l'alcool a le don de modifier les images et la couleur réelle des choses.
L'effet de l'alcool est éphémère. Et la réalité reprend ses droits, dissipant les dernières brumes de bonheur artificiel qui résistaient tant bien que mal.
Problème de consommation, dira-t-on.
À la vue des reportages sur le fameux vendredi noir, je me suis dit qu'on avait un puissant problème de consommation.
Le bidule, la patente, la chose, l'essentielle affaire dont on rêve depuis si longtemps (parfois, trois jours, c'est une éternité!) est en super-spécial! Lumière souvent bien artificielle dans un vendredi qui n'a pas de noir que le nom.
Parce que c'est ça, au fond. Du moins il me semble...
On se sert de la consommation pour mettre du piquant dans un quotidien pressurisé où la performance guide les pas, les gestes et les actions. Et on se dit que la fameuse télé 4K de je-ne-sais-plus-combien-de-pouces va nous faire voir la vie mieux qu'elle ne l'est. En prime, elle nous permettra de montrer à nos amis que la réussite est enfin arrivée sur le pas de notre porte.
On attend le vendredi noir avec la certitude, quelque part, que nous sommes en train de « fourrer le système ». Que la consommation qu'on fait ce jour-là est très louable puisque l'économie est réelle.
L'alcoolique est sûr que dans l'engourdissement que lui procure l'alcool, il y a une parcelle de vérité qui lui est vitale. Le gugusse, la patente, la chose dont on a tant et tant besoin est là, au rabais. Et l'événement créé est tellement fort qu'il fait oublier les questions banales de base : est-ce que j'en ai vraiment besoin? Est-ce que j'en ai les moyens?
Au Canada, c'est plus de 1 milliard de dollars qui sont dépensés en une journée. Et, ce jour là, plus rien ne compte. L'économie locale? Pfff... L'économie dite circulaire? Cause toujours... L'économie responsable? Gauchiste de mes deux...
1 milliard de dollars dépensés par des familles qui sont maintenant, en moyenne, endettées à 167% de leur revenu annuel.
Mais l'achat va nous faire du bien. Pour un temps. Le temps de dégriser et de nous retrouver dans la monotonie pressurisée de nos quotidiens. Et on cherchera la prochaine affaire. La prochaine source de bonheur artificiel au rabais.
Mais bon. Le Boxing Day s'en vient.
Il y a de l'espoir!
Je sais, je suis sévère un brin. Mais je persiste et signe.
La veille de ce Black Friday, je me suis retrouvé dans la lumière tamisée de la cathédrale St-Michel, avec une quarantaine de personnes. Et on a allumé une chandelle à la mémoire de six personnes décédées en cours d'année 2017 et qui ont reçu la triste étiquette de « corps non réclamé ».
Partis dans l'oubli. Oubli complet.
Et je me dis que ce sont peut-être des personnes qui n'arrivaient pas, pour toutes sortes de raisons, à marcher dans les pas de cette consommation qui définit le citoyen contemporain.
Quand je ferme les yeux, je revois la lumière des chandelles de l'oubli.
Elle est lumière d'équilibre.
Clin d'œil de la semaine
Si seulement le 50% annoncé pouvait s'appliquer au nombre de personnes qui vivent dans la solitude...