Juillet 2011. Une période propice aux vacances. C'était quand, la dernière fois? Lors de la semaine de relâche. Et avant la relâche? La période de Noël. Facile de s'en souvenir, cela correspond avec les menaces de grève des cols bleus de la ville de Sherbrooke.
C'est en marchant dans les rues de la ville, pour prendre un peu d'air sur l'heure du dîner, que le malaise ressenti depuis des mois s'est clarifié. Derrière moi, j'entends le vrombissement d'un camion lourd. Avance, arrête, repart... C'est la cueillette des ordures ménagères. Le camion s'arrête devant chaque bac, ouvre ses bras d'acier, fait une accolade au bac, le soulève, le vide de son contenu et le dépose. Lourdement. Vraiment. Je sursaute, même. C'est que les bras se sont ouverts alors que le bac n'est pas au sol. Il manquait peut-être une vingtaine de centimètres. Aussitôt l'étreinte d'acier relâchée, les bras commencent à reculer et le camion repart. Mais trop vite. À chaque maison, c'est le même manège. Quand le camion bouge, les bras accrochent le bac. Celui-ci pivote sur lui-même. Certains tombent. Dans ce cas-là, deux. Sur cinq bacs visités.
Le malaise est survenu là. Un peu pour les bacs, mais bon, je me suis dit qu'à quelques jours d'une grève générale illimitée, l'humeur ne devait pas être à son meilleur...
En fait, c'est plutôt le malaise du citoyen qui faisait surface. Un citoyen qui n'est pas col bleu et qui tient plusieurs rôles dans le conflit ouvert entre la ville et ses employés.
Comme des milliers d'autres, je deviens citoyen juge. Celui qui est interpellé par les deux parties. Le principe est simple : le premier qui gagne la confiance du citoyen dispose d'une arme stratégique importante.
Je suis aussi citoyen payeur de taxes. Celui qui ne peut pas juste se foutre des répercussions monétaires d'un tel combat.
Je suis également citoyen client qui aura à faire appel aux cols bleus un de ces quatre. J'ai donc intérêt à me tenir tranquille. À ce niveau, d'ailleurs, la stratégie syndicale démontre une forme de bipolarité. Une semaine, on nous présente, dans les médias, des images du comité de négociation, l'air sombre, menaçant. Les bras sont croisés, le regard est intimidant. En voyant ces photos, je me suis demandé si c'était au maire ou à moi qu'ils voulaient foutre la trouille. Puis, la semaine suivante, le même comité de négociation se fait souriant, chaleureux, invoquant au passage des principes de philosophie pour démontrer leur ouverture chaleureuse face à la ville et aux citoyens. Dur de s'y retrouver.
Je suis, aussi et finalement, un citoyen ordinaire. Qui vit tous les jours dans sa ville. Qui, comme bien d'autres, a subi une perte d'emploi, il y a quelques années, dans le cadre d'une restructuration administrative. Celui qui vit dans un contexte économique général moins facile. Et qui a plein d'exemples de gens, autour de lui, qui font des concessions monétaires importantes pour conserver leur emploi.
Il est là, le malaise.
Le citoyen ordinaire, le payeur de taxes et le client en moi ne peuvent faire abstraction du contexte général. C'est l'univers dans lequel ils baignent. Me reprocher de penser que trois pour cent d'augmentation moyenne par année, sur sept ans, ce n'est quand même pas pire, ce ne serait pas chic. Je comprends bien que ça fait quatre ans que les négociations sont commencées. On a même changé de maire en route. Je ne souhaite pas que les cols bleus soient moins bien traités parce que d'autres vivent des situations difficiles. Pas du tout. Tout cela dit, il n'en demeure pas moins que je ne peux faire abstraction, quand vient le temps de me faire une tête dans le dossier, du contexte général.
Le citoyen juge en moi vit un malaise. Il est juge et partie, ce qui est très inconfortable. Il se sent brassé, de part et d'autre, comme un bac noir...
Clin d'œil de sa semaine
Accouchera-t-on d'une convention signée entre la ville et ses cols bleus?
« Docteur, l'accouchement sera difficile? »
« Très difficile. Le col ne veut pas se dilater, malgré qu'on l'ait provoqué. Souhaitons juste que ce ne soit pas un cas de siège... »