Ça fait déjà pas mal longtemps de ça.
Pas que je sois vieux, nenon, mais quand même, il y a plusieurs années...
À tout bout de champ, je servais une réponse répétitive à mes garçons quand ils me demandaient d'acheter quelque chose. « Non, on n'a pas d'argent... »
Je voulais qu'ils sachent que rien n'est gratuit. Y compris l'argent. Que celui-ci se gagne. Qu'il ne fallait donc pas tout gaspiller. Ou dépenser. Ou investir, c'est selon.
Un jour, j'ai réalisé que ma phrase n'avait pas le bon impact sur eux. Ils étaient tout jeunes, alors, ils se sont inquiétés du fait que nous n'ayons pas plus d'argent. Pour moi « on n'a pas d'argent... » voulait dire «on n'a pas d'argent pour ça ».
J'ai rectifié le tir et je crois que le message a mieux passé.
Un jour, alors qu'ils avaient 8 ou 9 ans, je leur disais qu'on ne pouvait pas acheter la console Play Station tout de suite parce que je n'avais pas d'argent. Pas d'argent pour ça, évidemment... Ils m'ont regardé de leurs grands yeux vifs et m'ont dit, tout bonnement : « Ben, papa, va au guichet! »
Ben oui, comment n'y avais-je pas pensé?
Le guichet, pour eux, c'était une sorte de jeu vidéo. Il suffisait d'insérer la carte, de pitonner quelques chiffres, et, hop!, le tour était joué, les billets sortaient!
J'ai essayé l'explication du guichet vide, mais ça ne tenait pas la route, puisque, le monsieur d'après, lui, pouvait retirer de l'argent à partir de la même machine. J'ai dû leur faire comprendre qu'une carte pouvait être vide ou pleine. C'est l'image que j'ai trouvée... Bien des années plus tard, j'ai entendu le plus jeune dire: « Avec cet achat-là, ma Visa est pleine...» Visiblement, l'image tenait la route!
Ces semaines-ci, les ministres des Finances d'Ottawa et de Québec nous parleront argent. Budget, en fait. Ils nous serreront la ceinture en se plaignant qu'ils font des choix difficiles. Ils se consoleront eux-mêmes en affirmant, hors de tout doute, que leurs choix sont courageux. Une médaille de bravoure, avec ça?
Chaque fois, c'est pareil. L'enrobage de mots dans lequel ils nous servent les chiffres me déplaît au plus haut point. Ils parleront d'efforts. Des efforts qu'ils demandent au peuple, et les efforts que le gouvernement fera. L'effort du contribuable sera d'environ 30%, alors que l'État assumera tout le reste! Bon deal, non?
Ce qui me choque dans cette façon de jouer avec les mots, c'est qu'il n'y a qu'un joueur, dans tout ça : le contribuable. Quand on lui demande un effort, c'est qu'on augmente les taxes ou les impôts. Quand c'est le gouvernement qui fait l'effort, c'est que le même contribuable perd, en plus, des services. Mais, vous allez voir, les ministres des Finances des deux paliers seront drapés de leur cape de courage et de légitimité et ils liront toutes les phrases destinées à faire passer une pilule amère.
Ils nous diront aussi que, sans eux, les résultats seraient tellement pires! Ils nous diront aussi que, sans leur clairvoyance et leur sentiment de responsabilité aigu, nous serions dans une situation bien plus précaire. Ce serait juste chouette de l'entendre de quelqu'un d'autre que d'eux-mêmes, il me semble...
Le dépôt du budget servira à justifier le retrait que le gouvernement souhaite faire à son seul guichet automatique : le contribuable.
Clin d'œil de la semaine
« Ben papa, dis que ta carte est vide! »
J'y pense, les gars, j'y pense...