Nos relations avec la France sont passées par bien des chemins sinueux depuis qu'elle nous a abandonnés aux Anglais en 1760. Jamais nous ne devons oublier que l'un des cerveaux les plus brillants du 18e siècle, Voltaire a écrit que nous n'étions que « quelques arpents de neige ».
Au profit d'une conquête par l'ennemi de la France, l'Angleterre, nos relations ont été pendant longtemps refroidies par ces arpents de neige et par cette révolution où on n'hésitait pas à couper les têtes. Les relations se sont refaites au profit de la visite du navire la Capricieuse commandée par le capitaine Belvèze qui a été un moment décisif de nos relations retrouvées.
En 2006, Les Presses de l'Université Laval ont publié un livre fort intéressant sur la venue de la Capricieuse à Québec et Montréal en 1855 sous la direction d'Yvan Lamonde et Didier Ponton. Ce livre révèle dans un esprit critique et de façon documentée les péripéties de la venue du Capitaine Belvèze chez nous et les tenants et les aboutissants de cet événement dans nos relations avec la France.
Ces jours-ci, La France est en période électorale. Elle s'apprête à virer à droite. Marine Le Pen, la Pasionaria de l'extrême droite et du repli sur soi semble voguer vers un solide appui en France. François Fillon, cet ex-premier ministre de Sarkosy livre une lutte étonnante à Alain Juppé pour obtenir l'investiture de la droite, verse lui aussi dans un discours de repli et de dureté pour le modèle social français. Après le Brexit, les États-Unis, la France tournera-t-elle aussi le dos aux valeurs libérales ? En quoi cela peut-il nous intéresser nous ici au Québec? Plongée dans les racines profondes de notre identité de Québécois...
Nos racines
Au moment où la question de l'identité québécoise fait rage, il n'est pas inutile de se rappeler qui nous sommes. Nous sommes de souche française. C'est indéniable. Notre joie de vivre, nos coups de gueule, notre propension de « petit Joe connaissant » sont manifestement liés à notre héritage français et à notre caractère latin. Mais, en même temps, nous sommes différents des Français, nous avons aussi été modelés par les traditions britanniques.
D'ailleurs, beaucoup de nos ancêtres viennent de Perche en Normandie et qui connait l'histoire de la France et de l'Angleterre de l'époque médiévale sait que les institutions britanniques telles que nous les connaissons soit le régime parlementaire, le recensement, la Cour suprême sont des institutions qui ont connu leurs balbutiements sous Guillaume le Conquérant. Il était aussi connu sous le nom de Guillaume le bâtard et il était de Normandie. Ceci explique cela. Quand on parle de l'attachement des Québécois aux institutions britanniques, on ne doit pas faire l'impasse sur cette filière normande qui nous relie à Guillaume le Bâtard.
Nous sommes aussi et surtout des Nord-Américains. Un Québécois c'est un Français, un Français d'Amérique. Nous vivons au rythme de l'Amérique. Nous sommes totalement sous l'emprise de cette grande culture qu'est la culture américaine et elle teinte nos vies et nos façons d'être.
Bref, nous sommes de souche française, de tradition britannique et nous vivons au rythme de l'« American way of life ». Cela fait de nous des êtres singuliers surtout si l'on ajoute à cela le facteur V pour l'emprise du Vatican et de l'Église catholique romaine sur nous pendant longtemps.
Cela a d'ailleurs un jour brillamment établi par Yvan Lamonde dans son livre publié en 2001 chez l'éditeur Nota Bene intitulé : « Allégeances et dépendances. Une histoire d'une ambivalence identitaire ». Ceux qui veulent lire un commentaire critique de cet ouvrage, je vous renvoie à l'excellent compte-rendu de l'historien et professeur à l'Université de Montréal, Jacques Rouillard, commentaire publié dans Recherches sociographiques.
On ne peut donc penser que ce qui se passe au Royaume-Uni, aux États-Unis ou en France ne nous concerne pas. Il s'agit là de pays avec lesquels nous sommes en relation et dont nous sommes la synthèse.
La France et la montée de la droite
J'ai déjà commenté dans ces chroniques précédentes les événements liés au Brexit au Royaume-Uni et plus souvent les élections américaines qui ont porté Donald Trump à la présidence américaine. Sans faire des amalgames douteux, il y a une filiation dans ces événements apparemment distincts les uns des autres. C'est le refus de la postmodernité, le refus de l'ouverture à l'autre, le refus de la mondialisation des marchés et du grand brassage des populations et jusqu'à un certain point le refus de la science.Ce qui se passe en France en ce moment sur le plan politique participe du même mouvement.
Le peuple français croule sous une dette collective trop lourde pour la croissance faible ou inexistante de son économie. La politique d'ouverture des frontières vient changer le paysage des villes et des communes où les signes religieux des autres prennent toute la place dans l'espace public et si l'on ajoute à cela les attentats terroristes de Paris, de Nice et de Charlie Hebdo, on peut comprendre la montée grandissante du sentiment d'insécurité dans cette France, jadis la terre de toutes les libertés et de la joie de vivre.
Après avoir connu de jours meilleurs sous Mitterrand, la gauche française est méconnaissable. Elle ne réussit pas à rejoindre le cœur des Françaises et des Français. François Hollande est un piètre président. La France ne se reconnaît plus en lui. La France ne se reconnaît plus elle-même. Combien de jeunes et de moins jeunes Français qui ne veulent plus qu'une chose : quitter la France. Je suis toujours ébahi de voir comment ce grand pays qu'est la France, ce berceau de notre civilisation, génère autant de critiques de ses habitants.
Les Français n'aiment plus la France. C'est du moins la perception que j'en ai.Quoi de plus prévisible que la montée d'une Marine Le Pen dans de telles conditions? Un pays en détestation de soi ne peut aimer l'autre. Je crois que c'est dans ce contexte qu'il faut comprendre la prochaine élection française et la montée irrésistible de la droite. Un mouvement d'ailleurs bien engagé ailleurs en Occident notamment au Royaume-Uni, en Allemagne, en Autriche et dans plusieurs autres pays européens. Même les États-Unis d'Amérique se joignent à cette mouvance avec l'élection de Trump. Il y a de quoi être peiné pour cette France que j'aime tant.
La France et nous
Les relations du Québec et de ses élites avec la France n'ont pas toujours été au beau fixe. J'ai rappelé l'abandon de la Nouvelle-France dans la citation de Voltaire. Il y a eu aussi cette réconciliation momentanée dans la foulée de la venue de La Capricieuse du capitaine Belvèze.
Puis, la Révolution française qui fut très mal vue chez nous par nos élites cléricales. La crise religieuse du début du 20e siècle à la faveur de la loi Briand sur la laïcité de l'État fut aussi très mal perçue dans le Québec d'alors sous le joug étouffant de l'Église catholique romaine.
Il faudra attendre la venue du général de Gaulle et son cri « Vive le Québec libre » pour voir les relations du Québec et de la France prendre une nouvelle avenue. Celle de la collaboration étroite. Les programmes d'échanges, la diplomatie active du Québec avec la bienveillante protection de la France, puis nos artistes et notre littérature ont fait le reste. De petits cousins exotiques, nous sommes devenus des Québécois connus et reconnus au moins par l'intelligentzia française.
L'avenir de la France
Aujourd'hui, fort de nombreuses amitiés françaises, je ne peux rester insensible à tout le drame qui se joue ces mois-ci sur la scène politique française. Je souhaite que la France retrouve sa grandeur d'antan et qu'elle puisse à nouveau nous inspirer nous les Québécois issus de cette grande civilisation. Nous les Québécois de souche d'ascendance française ne pouvons qu'être tristes de voir ce qui se passe en France ces jours-ci.
Nous sommes des spectateurs attentifs. Je souhaite à la France un avenir plus radieux. Je souhaite enfin retrouver la France de Trenet, la douce France...