J'ai eu l'occasion de l'écrire auparavant dans EstriePlus.com, et ce, dans de nombreuses chroniques. Donald Trump est un président hors norme. Son style de gestion, sa popularité auprès d'une part significative de la population américaine demeure un mystère pour tous les analystes de la politique américaine. Scandales, accusations de conflits d'intérêts, demi-vérités, attaques constantes contre les médias, rien n'y fait. Donald Trump nous offre un style de leadership atypique et imprévisible.
On comprend aisément que cela n'est pas aisé de travailler avec cette administration pour les pays alliés tant en matière de politique étrangère qu'en ce qui concerne le développement économique. Le Canada est particulièrement fragilisé dans ce nouvel univers politique américain puisque les États-Unis d'Amérique sont notre pays voisin, notre ami, notre allié et notre plus important partenaire économique.
Cela se complique encore davantage dans l'actuelle renégociation du traité de l'ALENA dont plusieurs emplois canadiens dépendent. Nous sommes à la remorque des sautes d'humeur du président Trump dans de nombreux dossiers économiques vitaux comme le bois d'œuvre, l'aluminerie, l'aciérie et même l'industrie automobile et l'industrie aéronautique.
Jusqu'à présent, le gouvernement libéral de Justin Trudeau a bien tiré son épingle du jeu dans le nouvel univers chaotique de Donald Trump. Incursion dans le dossier des relations bilatérales canado-américaines.
La façon Trump
Quiconque veut bien comprendre l'univers de Donald Trump doit se référer à son livre publié en 1987, The art of deal. Dans ce livre, Donald Trump donne sa recette d'une bonne négociation parmi laquelle figurent les éléments suivants : penser grand, protéger ses arrières en prenant soin de bien préserver sa position, créer le chaos en maximisant les options possibles tout en utilisant au maximum sa force en n'ayant pas peur de combattre pour son point de vue. On reconnaît bien le style Trump dans ces éléments.
C'est ainsi qu'il se comporte depuis qu'il est président des États-Unis. Pour nous en convaincre, nous n'avons qu'à voir comment il a géré le dossier avec la Corée du Nord, celui de l'Obamacare et le dossier de l'ALENA. En ce sens, les dernières déclarations du président Donald Trump, sur les tarifs que son pays impose sur l'acier et l'aluminium et le « chantage » non masqué qu'il utilise à l'endroit du Mexique et du Canada en le liant à la renégociation de l'ALENA, sont du « trumpisme » à l'état pur.
Dans ce contexte, les options d'un pays comme le Canada sont limitées. Les États-Unis d'Amérique sont onze fois plus gros que nous. Nous sommes une souris dans un lit d'éléphant. Notre position de négociation est faible. Le gouvernement de Justin Trudeau doit sauver la chèvre et le chou tout en préservant les intérêts des Canadiennes et des Canadiens, de nos travailleurs et de nos entreprises. Les enjeux sont énormes de la renégociation de ce traité plutôt bénéfique à l'économie canadienne.
La réalité de Trump
Les représentants du Canada, des États-Unis et du Mexique se sont rencontrés à six reprises dans le cadre de la renégociation du traité de l'ALENA, mais en fait on sait bien peu des enjeux réels des négociations si ce n'est que Donald Trump veut un traité plus juste et plus équitable pour les entreprises et les travailleurs américains.
Le courant protectionniste américain prend appui sur la base électorale de Donald Trump dans les États de la « rustbelt », là où il y avait jadis des aciéries, des mines de charbon et des industries automobiles. Trump attribue au traité de l'ALENA le déclin du secteur manufacturier américain et il laisse croire que changer ce traité redonnera au secteur manufacturier américain son lustre d'antan. Un peu court comme analyse et cela est même parfois contredit par les faits. Qu'à cela ne tienne, la seule vérité qui compte dans ce dossier c'est celle que nous révèle Donald Trump quotidiennement sur son fil Twitter.
Les enjeux de la renégociation de l'ALENA
Si on prend la peine de se pencher sur les véritables enjeux de cette renégociation, on peut en relever six : la gestion de l'offre, la règle d'origine dans le secteur automobile, le mécanisme de règlements de conflits, la taxation des achats en ligne, la clause crépusculaire et l'accès au marché public.
Nous sommes familiers avec la question de la gestion de l'offre. En gros, les Américains souhaitent avoir un libre accès au marché canadien pour des produits comme le lait, la volaille et les œufs. Acquiescer à cette demande américaine viendrait mettre fin au programme de gestion de l'offre avec ses systèmes de quotas de production et de fixation des prix tout en laissant place à des denrées agricoles produites avec des pesticides. Inacceptable pour les Canadiens et les Québécois.
La question des règles d'origine dans le secteur automobile est plus complexe. L'industrie automobile est totalement intégrée aujourd'hui à l'échelle du continent américain. Il existe un va-et-vient des pièces produites au Canada, au Mexique et aux États-Unis. Les pièces nécessaires pour fabriquer une automobile sont usinées dans les trois pays membres de l'accord. L'administration Trump exige que 50 % des pièces soient faites aux États-Unis. Cela aussi est inacceptable pour notre gouvernement.
Le mécanisme de règlements de conflits qui est un tribunal binational pour juger des différends liés à l'imposition des droits antidumping et des droits compensateurs comme dans le dossier de la CSeries et Boeing. Les États-Unis qui ont souvent perdu leur cause dans le cadre de la mise en œuvre de cette procédure en souhaitent l'abolition. Inacceptable pour le Canada.
La taxation des achats en ligne est un autre sujet de discorde entre nos pays dans le cadre de la renégociation du traité de l'ALENA. Au Canada, nous pouvons acheter des produits en ligne qui viennent de l'étranger et les droits de douane sont perçus dès qu'un achat dépasse 20 $. Aux États-Unis, cette limite est de 800 $. Donald Trump souhaite le même plafond. Ce qui serait catastrophique pour notre marché au détail et pour les commerces canadiens. Cela aussi est totalement inacceptable.
Enfin, les États-Unis souhaitent ajouter une clause crépuscule. Ce qui signifierait que l'entente serait limitée dans le temps, cinq ans est le terme actuellement proposé, est qu'au terme de cette période il faudrait à nouveau une entente entre les signataires pour que le traité demeure en vigueur. Cela est inacceptable pour le gouvernement canadien parce que cela créerait beaucoup d'incertitudes pour les investisseurs et les gens d'affaires du continent.
Enfin, les États-Unis souhaitent avoir un plus grand accès à nos marchés publics tout en restreignant notre accès au marché américain en faisant de son « Buy American Act » la tête de pont de sa politique.
De manière générale, la volonté de Donald Trump est de signer un accord au seul avantage de son pays. Sa dernière trouvaille est de faire du chantage en nous menaçant d'imposer des droits compensateurs sur l'acier et l'aluminium. Le Canada a obtenu un répit, mais à la condition que la renégociation du traité de l'ALENA soit dans le sens de la volonté américaine.
Sortir du cadre légal
Le gouvernement Trudeau aura fort à faire pour en arriver à une entente avec Donald Trump. Il appuie sa négociation sur des prémisses fausses, fait preuve d'une mauvaise foi crasse et utilise le chantage pour parvenir à ses fins. Nous comptons peu à ses yeux et notre pouvoir de négociation est celui d'un pays de trente millions d'habitants face à un pays de trois cent trente millions d'habitants. Nous sommes dans les tenailles du style Trump qui cherche à sortir du cadre légal des traités ou de l'OMC pour faire plaisir à sa base électorale.
Les politiques de Trump sont une catastrophe annoncée pour les économies occidentales qui risquent de retomber en récession et de vivre des pressions inflationnistes. Le Canada fait de son mieux dans les circonstances, mais il sera difficile d'obtenir gain de cause face au style Trump : le chaos.