Ces derniers mois, un débat a cours dans nos milieux. Faut-il oui
ou non changer l'appellation actuelle de la région administrative 05
Estrie pour une nouvelle soit Cantons-de-l'Est. Ce débat qui fait présentement
l'objet de consultation dans la foulée du rattachement à la grande région de
Sherbrooke, appelons là ainsi pour l'instant, des MRC de Brome-Missisquoi et de la Haute-Yamaska qui quittent
ainsi la Montérégie. La date d'entrée en vigueur de ce changement de limites
territoriales est le 28 juillet 2021. Cela est plutôt heureux pour
notre région qui passera ainsi à un territoire plus vaste et plus homogène.
Par ailleurs, cette révision des limites administratives du Québec a été
faite en raison du travail de concertation et de développement plus difficile
alors que ces deux MRC devaient travailler avec deux régions. En effet, dans
certains cas, elles étaient desservies par des directions régionales ou des
centres de services gouvernementaux situés en Estrie. La réalisation de
certains dossiers devenait alors plus complexe. La nouvelle région ainsi
constituée a donc l'occasion de modifier son nom d'origine. Ce qu'a demandé la
table des MRC de l'Estrie qui souhaitait voir le nom des Cantons-de-l'Est apparaître
plutôt que celui de l'Estrie. Une consultation publique est menée et le débat a
commencé faisant voir une population divisée sur la question. Tentative de
compréhension d'un débat plutôt inutile.
Cantons-de-l'Est
ou Estrie : le débat
À
l'origine de ce débat, il y a la volonté des promoteurs du tourisme représenté
par Tourisme Cantons-de-l'Est qui véhicule depuis des années la marque Cantons-de-l'Est
dans la promotion de la région qu'il dessert. Cela inclut également les deux
nouvelles MRC qui se joignent à nous en juin prochain. Il n'est pas étonnant
que cet organisme et ses créatures comme Vision attractivité fassent la
promotion de l'appellation Cantons-de-l'Est. Selon cet organisme, l'appellation
Cantons-de-l'Est fait davantage rêver et elle est plus efficace pour attirer de
nouveaux travailleurs. Vision attractivité a commandé une étude de la firme
Dialogs pour nous en convaincre. Selon cette étude commandée par Vision attractivité et réalisée par la firme Dialogs en
2019 - avant la pandémie ─, le nom Estrie réfère à la richesse économique alors
que le nom Cantons-de-l'Est réfère à la richesse sociale de la région. Aussi,
le nom Cantons-de-l'Est génère plus d'émotions et est davantage associé au
style de vie et à la qualité de vie. À partir de cette étude, un certain nombre
de municipalités et de MRC se sont positionnées pour l'une ou l'autre de ces
appellations.
D'autre
part, un certain nombre de voix issues de la mouvance nationaliste se sont fait
entendre afin de demander de maintenir l'appellation Estrie invoquant le
caractère anglophone et colonisateur de l'appellation Cantons-de-l'Est. Par
ailleurs, on s'insurge du déséquilibre des forces en présence dans le débat.
C'est ce qu'a dénoncé dans un quotidien local le 4 février dernier
Etienne-Alexis Boucher, président de la Société nationale de l'Estrie : « Il y
a des organisations bien financées et bien structurées qui mobilisent
l'ensemble de leurs ressources humaines, organisationnelles et financières afin
de promouvoir le changement de nom. C'est un peu à nos yeux un combat à la
David contre Goliath où vous avez des gens très bien placés à des positions
clés au niveau politique qui promeuvent ce changement-là », ajoute M. Boucher.
« On voit que les forces en présence sont déséquilibrées et ça transparait dans
la consultation. »
Les
nouvelles MRC qui se joignent à nous ont plutôt choisi de ne pas se prononcer
sur la question. On aurait pu s'attendre que les nouvelles voix viennent de ces
territoires. Mais il n'en fut rien. Nous avons droit donc à un débat entre
Estriens sur une marque dont le lobby principal est le monde touristique. La
population quant à elle a peu de choses à dire là-dessus surtout au sortir
d'une grave crise sanitaire et d'un climat de guerre. Elle a bien raison cette
population, car ce débat est plutôt futile. N'empêche qu'il faut rétablir un
fait : l'appellation Cantons-de-l'Est n'est pas le reflet de notre
soumission au colonialisme anglais.
Un
peu d'histoire...
Notre
région s'est lentement peuplée sous l'impulsion d'une émigration forcée
provenant de la Grande-Bretagne. Ce fait nous est confirmé par un membre de
l'escorte de Lord Durham venu enquêter au Bas-Canada au lendemain des troubles
de 1837-1838 appelée la rébellion des patriotes. Edward Gibbon Wakefield écrira
en 1830 que les buts de la colonisation systématique sont, pour La
Grande-Bretagne, de soulager les pauvres du royaume ─ par leur émigration
forcée ─ et de résoudre le problème de peuplement et de développement des
colonies. Voulant aussi réduire le fait français au Canada du temps, la Couronne
britannique a vendu chez nous au profit de grands propriétaires britanniques
comme la British American Land Company
des terres non cultivées situées près de la frontière américaine dans ce que
l'on a alors appelé les Eastern Townships, cela s'est accentué avec la venue
des loyalistes britanniques dans la foulée de la révolution américaine.
Comme
l'écrit Micheline Cambron, cela est venu confirmer la définition britannique de
la colonisation : « laquelle entre en conflit avec le modèle narratif de
la fondation qui avait dominé sous le régime français ? Le choc est d'autant
plus grand que les vieilles paroisses, structurées à partir des seigneuries, ne
suffisent plus à absorber la population française, dont la croissance démographique
est forte. L'anglicisation des villes et une première phase d'industrialisation
effraient et, par ailleurs, l'émigration vers les États-Unis prive le
Bas-Canada d'une partie de sa population et de certaines ressources financières »
(Micheline Cambron, « Colonisation, trois
récits sans futur » dans Anne Caumartin et coll., Je me souviens, J'imagine Essais historiques et littéraires sur la
culture québécoise, Montréal, Presses universitaires de Montréal, 2021, p,
55) Etienne-Alexis Boucher n'a pas tort donc de lier l'appellation Eastern
Townships à la colonisation britannique. Un point pour son argumentaire. Mais
il a tort de faire croire que Cantons-de-l'Est est la traduction de Eastern
Townships. Expliquons cela.
Une
grande enquête est commandée par l'Assemblée législative en 1849 et on
identifie alors quatre grandes régions propices à la colonisation pour les
Canadiens français, dont les Eastern Towships de l'Est. Les réactions sont
vives, le parlement s'émeut. Un appel est lancé par 132 curés missionnaires
en faveur de la colonisation des Townships
de l'Est dans un texte intitulé : Le
Canadien émigrant, Pourquoi le Canadien-français quitte-t-il le Bas-Canada ?
C'est dans ce contexte que paraît en 1862 le roman d'Antoine-Guérin Lajoie
intitulé Jean Rivard, le défricheur. C'est dans ce roman très
canadien-français qu'apparaît pour la première fois l'appellation « Cantons-de-l'Est »
celle-ci n'est donc pas la traduction d'Eastern Townships, mais l'adaptation
libre de cette expression par l'un de nos premiers romanciers. On a donc tort
de lier cette appellation à une vulgaire traduction de Eastern Townships.
Alors on choisit quoi ?
Replacer
les termes du débat n'est pas une position. Je dois vous dire que moi ça ne me
fait ni chaud ni froid que l'on retienne une appellation ou une autre. À bien y
penser, ma préférence va à l'appellation Estrie puisque j'écris dans un média
qui s'appelle EstriePlus. Je n'aimerais pas écrire dans Cantons-de-l'Est Plus.
Mais là n'est pas le débat. Le vrai débat c'est le pouvoir que l'on donne ou
pas aux régions et cela m'intéresse beaucoup plus. Alors vous, votre préférence
Estrie ou Cantons-de-l'Est ?