On ne peut prendre une longue pause de
l'actualité aujourd'hui. À Paris, place de la République, on danse sur le
cadavre d'une figure controversée de la politique française, Jean-Marie Le
Pen. Aux États-Unis, le président désigné Donald Trump et son complice Musk
n'ont de cesse d'insulter le Canada, son premier ministre et nous les
Canadiens. En France, la tambouille de l'adoption d'un budget et la valse des
partis paralysent la vie politique française. En Allemagne, au Royaume-Uni, ce
n'est guère mieux. Les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient continuent de
faire des victimes innocentes. Pendant ce temps, chez nous, la crise politique
est à son zénith. Justin Trudeau, à son corps défendant, démissionne de son
poste de premier ministre, léguant derrière lui un Parti Libéral en lambeaux et
Poilievre piaffe d'impatience de devenir calife à la place du calife pour
mettre en place son programme de démantèlement du Canada tel que nous le connaissons.
On aurait pu imaginer un pire départ pour commencer la nouvelle année.
Faisons fi de tout ce bruit, de nos motifs
d'indignation nombreux pour nous concentrer aujourd'hui sur le bilan du
gouvernement de Justin Trudeau depuis son élection en 2015. Ce bilan est
beaucoup plus musclé que plusieurs le laissent entendre. Au Canada, l'élection
de Justin Trudeau en 2015 a vraiment suscité l'espoir et il a accompli de
grands travaux pour améliorer notre pays. Il a aussi un passif lié à la gestion
de son conseil des ministres et à son incapacité à prendre des décisions
tranchées dans le vif. Justin Trudeau ne passera pas à l'histoire comme le plus
grand premier ministre que notre pays ait connu, mais il ne serait pas le pire
non plus. D'entrée de jeu, réglons la question de Trudeau, l'homme des
déficits.
Trudeau, homme de ruptures avec de vieilles conceptions
La plus grande rupture de Justin Trudeau fut avec
cette vieille idée des banquiers que la lutte au déficit était la plus grande
tâche politique.
Stephanie Kelton a rédigé un ouvrage fort
intéressant sur ce sujet en 2021 intitulé : Le mythe du déficit. Dans son
écrit, Stéphanie Kelton fait une analyse critique des discours dominants qui
présentent les populations marginalisées comme déficientes, tant sur le plan
économique que social. Dans sa thèse, Kelton déconstruit l'idée selon laquelle
les groupes minoritaires, en particulier les immigrés, les femmes et les
personnes issues des quartiers populaires, seraient responsables de leur propre
pauvreté ou de leur propre échec. Elle examine comment cette conception du
déficit est utilisée pour justifier les politiques publiques qui excluent et
stigmatisent ces populations. Kelton propose que cette logique de déficit
empêche de voir les véritables causes structurelles de l'inégalité sociale,
notamment les inégalités économiques, la discrimination et le manque d'accès
aux ressources. La théorie invite à repenser les politiques d'inclusion et à
valoriser les capacités et les ressources des individus au lieu de les définir
uniquement par leurs manques. C'est la voie qu'a empruntée le premier ministre
Justin Trudeau. Il a popularisé une façon originale d'envisager le déficit d'un
État en fonction du pourcentage sur le PIB et surtout de mettre l'accent sur
l'importance pour le Canada de venir en aide à sa population, les classes
moyennes. Cette rupture n'a jamais été acceptée par le commentariat politique
et par bien des politiciens qui se vautrent dans les vieilles idées plutôt que
d'embrasser le nouveau monde dans ses changements. Je ne suis pas de ceux qui
croient que les déficits sont une engeance. Les dépenses de l'État sont des
outils pour améliorer la vie des gens et elles ne sont surtout pas assimilables
à un budget personnel ou d'une famille comme le font croire les thuriféraires
des banquiers et des comptables.
Cela dit, le parcours politique de Justin
Trudeau, premier ministre du Canada depuis 2015, marque une période
significative dans l'histoire du pays. Son héritage est important pour notre
pays.
Justin Trudeau, fils de l'ancienne figure
politique emblématique du Canada, Pierre Elliott Trudeau, a grandi sous les
projecteurs de la politique canadienne. Cependant, son chemin vers le pouvoir
n'a pas été une simple continuité de l'héritage de son père. Après une carrière
dans l'enseignement, le milieu de l'activisme et une première tentative
infructueuse en politique, Justin Trudeau a été élu député de Papineau en 2008.
C'est en 2013 qu'il est désigné chef du Parti libéral du Canada, après la
défaite des libéraux aux élections fédérales de 2011.
Sous sa direction, le Parti libéral a
progressivement regagné du terrain face aux conservateurs de Stephen Harper,
notamment en misant sur un message axé sur la réconciliation nationale,
l'inclusivité et des politiques progressistes. En 2015, Trudeau et les libéraux
remportent une victoire écrasante, avec une majorité absolue à la Chambre des
communes.
Réformes sociales et économiques
L'un des premiers aspects de l'héritage de Justin
Trudeau en tant que premier ministre est sa politique de réformes sociales. En
2015, il a introduit une série de mesures visant à lutter contre les inégalités
sociales et économiques. Son gouvernement a lancé une importante révision
fiscale, réduisant l'impôt sur le revenu des Canadiens à faible et à moyen
revenu, tout en augmentant les impôts pour les plus riches. Cette réforme a été
présentée comme un moyen de rééquilibrer les inégalités économiques du pays et
d'alléger la pression fiscale sur les classes populaires.
Le gouvernement de Trudeau a également mis
l'accent sur l'égalité des genres, une priorité pour son administration. Dès le
début de son mandat, il a formé un cabinet paritaire, incluant autant de
ministres femmes que d'hommes, ce qui était une première pour le Canada. Cette
initiative symbolique a été saluée comme un pas en avant vers une meilleure
représentation des femmes en politique. En 2018, il a aussi lancé un plan pour
réduire l'écart salarial entre les sexes, en faisant de l'égalité de
rémunération pour un travail de valeur égale une priorité pour les entreprises
publiques et parapubliques.
En matière de lutte contre la pauvreté, le
gouvernement de Trudeau a mis en place une stratégie nationale de lutte contre
la pauvreté visant à réduire le nombre de Canadiens vivant dans des situations
précaires. Parmi les mesures phares de ce plan figurait l'augmentation de
l'allocation canadienne pour enfants (ACE), une prestation fiscale visant à
aider les familles à faible revenu. Cette politique a eu des effets notables,
notamment en réduisant les taux de pauvreté chez les enfants et en renforçant
le filet de sécurité sociale du pays.
Réconciliation avec les Premières Nations
L'un des aspects les plus significatifs de
l'héritage de Justin Trudeau est sa tentative de réconcilier le Canada avec ses
peuples autochtones. Dès son arrivée au pouvoir, Trudeau a mis de l'avant son
engagement à résoudre les questions historiques et contemporaines qui touchent
les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Dans son discours inaugural, il
a annoncé la fin des politiques des gouvernements précédents en matière de
relations avec les peuples autochtones, affirmant : « Le gouvernement
libéral sera celui de la réconciliation. »
Il a également adopté une approche pragmatique et
de partenariat, en investissant dans des projets de développement et
d'infrastructures dans les communautés autochtones. Par exemple, le
gouvernement Trudeau a alloué des fonds importants pour améliorer l'accès à
l'eau potable, un problème de longue date dans de nombreuses réserves
autochtones. Il a aussi mis en place un processus pour enquêter sur les
disparitions et sur les meurtres de femmes et de filles autochtones, qui
avaient été largement ignorés pendant des années.
Cependant, malgré ces efforts, le gouvernement
Trudeau a aussi fait face à des critiques. De nombreuses communautés
autochtones estiment que les promesses de réconciliation se heurtent encore à
la réalité des problèmes non résolus. Des tensions persistent sur des dossiers
comme la gestion des ressources naturelles et les droits fonciers. La crise du
logement, la violence envers les femmes et les filles autochtones, ainsi que la
question du financement des services de santé et d'éducation restent des défis
majeurs pour le gouvernement.
Politique environnementale
Sous la direction de Trudeau, la question
environnementale est devenue une priorité, bien que souvent perçue comme une
contradiction dans son approche. Dès 2015, il a annoncé un plan ambitieux pour
lutter contre les changements climatiques, en réaffirmant l'engagement du
Canada à respecter l'Accord de Paris sur le climat. Le gouvernement a mis en
place une taxe sur le carbone visant à inciter les entreprises à réduire leurs
émissions de gaz à effet de serre.
Cependant, son héritage dans le domaine
environnemental est également marqué par la controverse. En dépit des
initiatives pour réduire les émissions de carbone, Trudeau a également soutenu
des projets de pipelines, comme le pipeline Trans Mountain, un projet
d'expansion qui a soulevé des protestations et des tensions avec les communautés
autochtones et les militants écologistes. Cette incohérence entre les
engagements climatiques et les projets d'infrastructure de combustibles
fossiles a terni son image auprès de certains segments de la population,
notamment les jeunes militants pour le climat.
Politique étrangère et position internationale
Sur le plan international, Justin Trudeau a
cherché à positionner le Canada comme un acteur mondial progressiste et engagé,
à la fois en matière de droits de la personne, de développement international
et de diplomatie. Il a pris des mesures pour renforcer les relations avec les
alliés traditionnels du Canada, notamment en réaffirmant son soutien à l'OTAN
et en travaillant à des accords commerciaux, comme l'Accord
États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC), qui a remplacé l'ALENA.
L'un des autres aspects de sa politique étrangère
a été son approche multilatérale et humanitaire, en particulier concernant les
réfugiés. En 2015, son gouvernement a mis en place un plan ambitieux pour
accueillir 25 000 réfugiés syriens en réponse à la crise humanitaire au
Moyen-Orient, un geste qui a été largement salué, mais qui a aussi suscité des
critiques de ceux qui estimaient que le pays devrait d'abord s'occuper de ses
propres problèmes internes.
Sur la scène mondiale, Justin Trudeau a essayé de
promouvoir le Canada comme un modèle de tolérance, d'ouverture et de
diplomatie, un contraste avec la politique plus isolationniste de son
prédécesseur, Stephen Harper.
Défis et critiques
L'héritage de Trudeau, bien qu'ambitieux, n'est
pas sans critiques et sans défis. Les scandales, comme celui de SNC-Lavalin,
qui a touché son gouvernement en 2019, ont nui à son image de leader
incorruptible. Le scandale a porté atteinte à sa réputation de champion de la
transparence et de la lutte contre la corruption, avec des accusations
d'ingérence politique dans une affaire judiciaire. Cette affaire a mis en
lumière des tensions entre la politique et la justice au sein du gouvernement,
un aspect de son mandat qui a été vivement critiqué par l'opposition et
certains membres de son propre parti.
En outre, sa gestion de la COVID-19, bien que
marquée par des mesures de soutien économique et des politiques sanitaires, a
également fait l'objet de critiques concernant la lenteur de la distribution
des vaccins et la gestion des restrictions. Les critiques ont également porté
sur l'approvisionnement en matériel médical et l'impact financier de la
pandémie sur certains secteurs.
Mais ses dernières manœuvres concernant sa
ministre des Finances Chrystia Freeland, son rabais de taxe improvisé sur la
TPS et son projet de faire des chèques de 250 $ à tous les Canadiens
l'auront emporté. Il a dû démissionner à la suite du départ fracassant de
Chrystia Freeland et aux divisions dans son parti autour de son leadership. Il
laisse en héritage un parti en lambeaux et sert le pays sur un plateau d'argent
au chef conservateur, Poilievre.
En conclusion, l'héritage de Justin Trudeau est mi-figue, mi-raisin. Ses
efforts en matière de réconciliation avec les peuples autochtones, ses
politiques fiscales progressistes, son engagement pour l'égalité des genres et
son approche diplomatique sur la scène internationale constituent des aspects
clés de son héritage. Cependant, ses décisions controversées, ses incohérences
en matière de politique environnementale et les scandales qui ont émaillé son
mandat ont également terni son image. Son legs global dépendra en grande partie
de la suite des événements. Chose certaine, nous assisterons pour un temps à
une éclipse temporaire ou permanente des voies ensoleillées promises en 2015...