Les
situations font qu'on rencontre des gens. Des gens d'ici. Des gens d'ailleurs.
Ça
m'est arrivé cette semaine. Des gens qui débarquaient de la France. Une belle
rencontre.
Là-bas,
nous disaient-ils, ils se servent des cafés pour organiser des rencontres lors
desquelles les gens peuvent échanger sur des sujets divers. La vie, la mort, la
société. Ils profitent de ces lieux de rencontre naturels pour créer des
moments de discussion un peu plus structurés. Une façon de libérer la parole,
disaient-ils.
Un
peu sceptique, je me suis demandé pourquoi il fallait libérer la parole, alors
que nous évoluons dans un bain quotidien de libre expression!
Les
médias sociaux ne nous donnent-ils pas une occasion d'exprimer ce qui nous
habite? Le tout sans contrainte de temps, sans exiger de déplacement de notre
part, sans bloquer des heures précieuses dans un horaire déjà nettement
surchargé?
Comme
les choses se superposent dans nos têtes, parfois, il m'est venu cette image de
la semaine précédente: dans un cimetière, un regroupement de quelques centaines
de personnes de la communauté haïtienne s'est formé pour porter en terre un des
leurs. Attristés, certes, mais résolument solidaires. Des gens qui avaient pris
soin de tout arrêter dans leur quotidien, qui avaient revêtu leurs plus beaux
vêtements et qui, à certains moments, chantaient d'une voix commune un air tout
doux, mais rendu puissant par la multiplication des voix regroupées.
Une
communauté qui s'exprimait. Une communauté qui se regroupait.
C'est
en croisant les images de ces funérailles à la description entendue des cafés-rencontres
de la France que je me suis posé ces questions pourtant simples: et nous, nos
cafés, ils sont où? Et elle s'exprime comment, notre communauté, lors des
funérailles?
Soudainement,
le concept de libérer la parole n'est plus si abstrait!
C'est
bien vrai que notre parole est libre au sens où on peut l'exprimer comme on le
veut, quand on le veut. Mais une communication réelle demande un émetteur et un
récepteur. Elle prend son sens dans l'interaction entre des humains.
Libérer
la parole, c'est aussi entendre l'autre sur un même sujet. Sentir que des
humains sont réunis autour d'une même préoccupation. Libérer la parole, c'est
constater ce que nos mots ont comme impact sur les autres.
Et
il y a plus. Bien plus!
Se
retrouver avec d'autres membres de notre communauté vient briser l'isolement
qui prend un espace démesuré dans notre tissu social.
Alors,
voilà tout mon questionnement. Ils sont où nos endroits de rencontre, de nos
jours? Les cafés dont les Français parlent, ils existent chez nous? Vous savez,
ces endroits où on s'arrête fréquemment pour garder contact avec d'autres
humains? Comme le parvis de l'église servait à le faire à une autre époque?
Si
je reprends mon image des cafés et des funérailles, je réalise que quand on
s'arrête pour un café, on préfère largement les commandes à l'auto qui permettent
l'accomplissement de la performance souhaitée de nos journées.
Et
quand on va à des funérailles, c'est souvent un très court arrêt comprimé entre
deux choses bien plus importantes qu'on a à faire.
C'est
un constat. Pas un jugement. Je ne dis pas que c'est mieux en France ou en Haïti
qu'ici. Je constate.
La
communication faite entre des humains physiquement regroupés est source de
réconfort et crée un sentiment de sécurité, de calme et d'inclusion. Tout le
contraire des médias sociaux qui génèrent une anxiété et un isolement
maintenant bien documentés. S'ils sont des outils de communication utiles, ils
ne remplacent pas la communication réelle.
Et
une communauté qui sait se rassembler laisse moins de gens derrière et est bien
plus solide. Faites le test : faire tomber quelqu'un qui est seul dans un
endroit donné est relativement facile. Mais faire tomber un groupe de personnes
bien appuyées les unes aux autres est pas mal plus difficile.
La
force du groupe, c'est quand la faiblesse des uns est largement compensée par
la force des autres.
Clin
d'œil de la semaine
"Le
groupe s'habitue plus vite à son malheur que l'individu à sa peine."
John
Webster