En novembre prochain, les citoyennes et les citoyens de Sherbrooke seront appelés à se donner un nouveau conseil municipal. Bien sûr, on pourrait aborder cette question sous l'angle du spectacle. Perrault sera-t-il sur les rangs contre Sévigny? Les gens voteront-ils contre les partis ou pour le Renouveau? Qui sortira victorieux des luttes électorales entre les conseillers sortants qui se voient opposer l'un à l'autre à la suite de la réduction du nombre de districts électoraux?
Des débats intéressants, mais que je laisserai aux commentateurs de la chose politique dont c'est le métier premier de le faire. Quant à moi, comme je l'avais annoncé dans une chronique le 25 janvier dernier dans EstriePlus.com, je souhaite apporter une contribution à la réflexion de cette ville que j'ai adoptée il y a maintenant plus de 40 ans. Je ne cacherai pas que dans mon for intérieur je me sentirai toujours un Montréalais, mais j'ai quand même beaucoup d'intérêt pour Sherbrooke qui est mon chez-moi. Exploration d'hypothèses d'avenir possible pour Sherbrooke.
Une série de chroniques sur notre avenir
Dans une série de quatre chroniques débutant aujourd'hui et s'échelonnant jusqu'au 9 août, j'entends réfléchir tout haut à l'avenir de cette ville à l'aube de ses futurs choix électoraux. Une réflexion qui ne s'inscrira pas dans les sentiers partisans, mais qui cherchera à dégager des voies d'avenir. L'identité de celles et de ceux qui seront aux commandes de notre ville importe, mais beaucoup moins que la vision d'avenir qu'ils proposeront.
Le taux de taxation, le niveau de dépenses, les contrôles budgétaires sont des sujets importants pour les citoyens, mais pas autant que le choix de l'avenir qui leur est proposé. Cette série de chroniques sur Sherbrooke cherchera à alimenter la réflexion sur ce sujet. Je débuterai par des interrogations sur ce qu'est une ville au 21e siècle en m'appuyant sur des réflexions de géographes, de politologues et d'urbanistes. Puis, ma seconde chronique tentera de situer le développement de Sherbrooke dans son développement historique. La troisième chronique tracera le bilan de ce que nous sommes devenus depuis le regroupement imposé des villes du grand Sherbrooke par la ministre Louise Harel du gouvernement Bouchard avec le concours actif de l'ancien maire Jean Perrault pour qui cette nouvelle ville était un projet incontournable.
Enfin, je tenterai de proposer une liste de défis qui se posent à l'avenir de notre ville dans ma toute dernière chronique. Une sorte d'aide-mémoire pour les candidats en campagne électorale qui s'amorcera bientôt. Je souhaite contribuer à la réflexion sur l'avenir de cette ville en dehors des sentiers partisans. J'espère que vous serez sensibles à ces questionnements et qu'ils contribueront à notre réflexion collective.
La construction d'un récit urbain
Toute entité politique de nos jours se doit de se façonner une histoire commune. Toutes les occasions sont bonnes pour se donner un récit commun. On le voit bien cette année à Montréal alors que le 375e anniversaire est un effort politique pour présenter Montréal comme un territoire unifié avec une histoire commune pour tous ses habitants. L'histoire joue un rôle important dans la création d'une identité. Le 375e anniversaire de Montréal, tout comme fut le 400e Québec, sont une voie politique royale pour la classe politique de mobiliser les acteurs d'une ville autour d'un objectif commun. Le 375e anniversaire de Montréal voit le Politique utiliser le véhicule de la Culture pour créer un récit historique unificateur et pour chercher à poser un programme commun concernant l'avenir.
À Sherbrooke, nous n'avons pas eu de tels moments fondateurs d'une identité commune à tous les Sherbrookois. On a bien eu une tentative avec les fêtes du bicentenaire de Sherbrooke au lendemain de la fusion, mais outre l'œuvre de Jean-Pierre Kesteman sur l'histoire de Sherbrooke et la série de peintures commandées par la Ville à des artistes d'ici, on ne peut pas dire aujourd'hui que le bicentenaire de Sherbrooke a marqué les mémoires. C'est bien là une des sources du problème de cette ville, c'est que nous n'avons pas d'histoire commune et de récit commun.
Le potentiel est là. Nous ne sommes pas assez convaincus de celui-ci pour y investir les sommes nécessaires. Pourtant, il y aura un récit à partager qui pourrait faire la fierté de toutes les Sherbrookoises et de tous les Sherbrookois. La première ville à municipaliser son électricité, la cohabitation avec la communauté anglophone, l'enjeu des Cantons de l'Est dans l'affrontement entre les patriotes et le gouvernement colonial, la distanciation d'une bourgeoisie sherbrookoise d'avec la grande bourgeoisie canadienne de l'époque, l'empreinte des loyalistes chez nous. L'industrialisation et l'urbanisation de Sherbrooke et de sa région avaient une trajectoire différente même si elle participait au même mouvement que celui perçu à l'échelle canadienne.
Le regroupement des villes en 2001 pour former une nouvelle ville fut à mon sens une occasion manquée de se donner un récit commun et des projets fondateurs qui auraient pu marquer le destin de Sherbrooke et la distinguer parmi les autres villes du Québec.
Sherbrooke, une ville sans vision structurée
Le géographe français Claude Raffestin a proposé dans un livre publié en 1980, intitulé Pour une géographie du pouvoir, une conception du rapport entre la ville et ses composantes territoriales. C'est une vision politique qui nous est bien résumée par Juan-Luis Klein dans un livre publié plus tôt cette année aux Presses universitaires du Québec intitulé : Montréal, La cité des cités : « Elle situe les villes entre deux pôles. Il y aurait d'un côté les villes au sein desquelles les acteurs convergent sur la base d'une histoire commune ou d'une vision stratégique. [...] De l'autre côté, il y aurait des villes plutôt morcelées au sein desquelles les acteurs ne convergent pas et poursuivent leurs intérêts propres sans égard pour les intérêts collectifs. » (Klein, Juan-Luis et Richard Shearmur, Montréal, La cité des cités, Québec, Presses de l'Université du Québec, 2017, p. 2 [Collection Géographie contemporaine]).
Vous aurez compris que pour moi Sherbrooke se situe dans la deuxième catégorie. La catégorie d'une ville qui n'a pas de récit commun, pas de vision commune et qui voit ses projets être réalisés au gré des humeurs du moment et en regard des intérêts des uns et des autres. C'est ce que j'entends lorsque j'écris parfois qu'il n'y a pas de vision politique claire de l'avenir de cette ville.
Le manque de persévérance de Sherbrooke
Cette vision commune a déjà cherché à émerger par plusieurs projets, mais notre manque de persévérance n'a pas pu permettre qu'elle puisse véritablement naître et surtout être partagée par nos élites et par la population. Pensons par exemple à cette grande idée de faire de Sherbrooke une ville universitaire ou encore une ville de l'innovation. Des énergies et des efforts importants ont été consentis à ces visions, mais qui aujourd'hui se soucie de ces idées dans des projets concrets et surtout mobilisateurs? Il manque à Sherbrooke une identité forte commune. Pourtant, on se contente de tenter de bâtir cette identité autour de projets mobilisateurs comme aujourd'hui Well inc. ou hier La Cité des Rivières ou encore une stratégie de développement économique des filières-clés.
Toutes de bonnes idées, mais qui manquent d'une vision articulée pour harnacher le tout dans un récit commun et partagé. La première tâche urgente du prochain conseil municipal consistera à nous donner un récit commun partagé de notre avenir. C'est un grand défi puisqu'aujourd'hui nous sommes plutôt devant l'absence d'un récit commun partagé...