Cette semaine, un véritable bras de fer a eu lieu entre Bell et Québecor. Avec pour toile de fond les séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey. Le patron de Québecor a mis en œuvre ses menaces de couper le signal des matchs de hockey des séries éliminatoires comme mesure de représailles envers le géant Bell qui refuse de payer la même redevance au Groupe TVA qu'elle se verse elle-même pour les siennes.
Qui plus est, un cadre réglementaire vieillot fait en sorte que le réseau RDS est avantagé eu égard à TVA Sports. Cela dans un contexte où les cotes d'écoute sont bien meilleures sur TVA sport que sur RDS. Cela se traduit par des revenus moindres pour le Groupe TVA. Tous les éléments d'une crise sont présents. L'impatience légendaire et la brutalité des méthodes du grand boss PKP ont mené à la crise vécue cette semaine par le CRTC. Excursions pascales dans les méandres de la réglementation du CRTC.
Le fond du problème
Les revenus des chaînes spécialisées proviennent de deux sources : la publicité et les revenus tirés des redevances. Or, le réseau TVA sport est nouvellement arrivé dans le marché contrairement au réseau de Bell RDS. Ce dernier doit donc trimer dur en matière de programmation originale, investir de fortes sommes pour attirer chez lui les personnalités les plus transcendantes du monde du sport et offrir une programmation variée et accrocheuse qui attirera des auditeurs pour gonfler ses revenus publicitaires. Or, le modèle publicitaire des médias est en crise. On le constate avec l'imprimé, la radio et c'est aussi le cas pour la télévision. Avec une assiette publicitaire réduite, le combat est plus cruel encore pour obtenir les précieux dollars des commanditaires. Ici aussi, les ravages provoqués par la présence des multinationales étrangères tels les Google et Facebook font leur œuvre. S'il n'y avait que cela.
Pour accéder à un réseau spécialisé, il faut s'y abonner et payer des frais. On peut le faire en transitant par un câblodistributeur ou encore par un réseau Internet comme Apple TV ou Amazon TV. La plupart des gens, même si cette tendance montre une certaine décroissance, sont abonnés à leur câblodistributeur. Or, Bell offre RDS dans ses bouquets de base et n'y inclut pas, par exemple, les réseaux concurrents. Ce qui fait en sorte que Bell a plus d'abonnés et que TVA Sports a de meilleures cotes d'écoute.
Depuis 2012, les chaînes spécialisées de Bell sont en recul, RDS a perdu 28 % de ses abonnés alors que TVA Sports est en très forte progression. Bell profite du fait qu'elle a plus de chaînes spécialisées qui font partie des forfaits de base des câblodistributeurs, une simple question d'ancienneté, ce qui fait que bien des gens sont abonnés aux chaînes spécialisées sans l'avoir demandé. Vidéotron pour sa part met RDS et TVA Sports sur le même pied d'égalité. Il faut les choisir pour les recevoir. En ce qui concerne les revenus, ce système vieillot fait en sorte que Bell reçoit 68 cents par abonné alors que TVA ne reçoit que 56 cents malgré la plus grande popularité de sa chaîne. C'est cette « injustice » que n'ont cessé de dénoncer Québecor et le Groupe TVA depuis des semaines dans sa campagne de publicité et de relations publiques savamment menées sous le nom de « Juste valeur ». Ce qui est vrai pour l'affrontement entre RDS et TVA Sports est aussi vrai entre LCN et RDI de Radio-Canada.
Devant des négociations qui piétinaient, Pierre Karl Péladeau a décidé de couper le signal des matchs de hockey aux abonnés de Bell lors du début des séries éliminatoires du hockey. Heureusement que les Canadiens n'étaient pas de la course, cela aurait été un drame national encore plus grand. Il n'en fallait pas plus pour que la crise éclate, que les tribunaux soient mis à partie et que le CRTC doive tenir des audiences spéciales sur la question la semaine dernière.
LE CRTC et l'avenir de la radiotélédiffusion au Canada
Qui dit CRTC réglementation, dit aussi lenteur. Ça fait des années que le gouvernement du Canada doit revoir la réglementation de la radiodiffusion au pays. Outre les problèmes de TVA et Bell, il y a toute la question des injustices envers nos diffuseurs nationaux qui ont des applications comme illico, Tout.tv, Crave et GEM et qui doivent subir une concurrence déloyale de Netflix qui ne paie pas ses impôts ni ses taxes comme tout le monde au Canada. Ce n'est qu'un début, il y aura bientôt une application disponible d'Amazon et de Disney. Il est temps que le gouvernement canadien bouge sur cette question s'il souhaite qu'il y ait encore dans dix ans des entreprises canadiennes rentables dans le secteur de la radiodiffusion et du cinéma. Heureusement, il y a des élections cette année au Canada. Voici un beau sujet qui n'est pas sans nous rappeler la crise UBER dans l'industrie du taxi au Québec.
En attendant, le CRTC a été fidèle à lui-même. Il a rendu une décision mi-figue, mi-raisin en donnant une grosse tape sur les doigts à Pierre Karl Péladeau sans se rendre aux demandes de Bell qui voulait ni plus ni moins la fermeture de TVA Sports et la disparition du concurrent qui lui a subtilisé les droits de radiodiffusion des matchs de Hockey de la LNH. RDS a cependant préservé ses droits sur la radiodiffusion des matchs des Canadiens de Montréal puisque Bell est l'un des actionnaires du CH. Pas de quoi se surprendre.
Le problème demeure cependant entier. La survie des chaînes spécialisées de TVA sont toujours à risque élevé et sur le fond de la question le CRTC demeure muet. Il semble choisir l'attente plutôt que l'action et privilégier les droits acquis au détriment de la performance et des résultats. Cela pourrait nous jouer de bien vilains tours devant la concurrence étrangère dans l'avenir. Le gouvernement Trudeau doit se prononcer et agir et dicter au CRTC de revoir les règles vieillottes qui président l'industrie de la radiodiffusion au Canada.
Pierre Karl Péladeau a raison
Il ne m'est pas arrivé souvent de donner raison à Pierre Karl Péladeau, mais dans ce dossier précis, celui de l'avenir de la télévision au Québec et au Canada, il mène un combat juste qui mérite notre appui. Sans compter que si vous avez jeté un œil sur les audiences du CRTC, vous aurez remarqué que la direction de Bell est unilingue anglophone, exception faite, d'une porte-parole qui était dans le corridor. Au cours des deux dernières années, Bell a coupé grassement ses cadres québécois et dans la plupart des secteurs c'est maintenant de Toronto que l'on décide d'une large part du contenu culturel offert au Québec francophone. Ne serait-ce que pour cela, préserver l'influence du Québec francophone dans le contenu culturel offert aux Québécoises et aux Québécois, il faut donner notre appui au combat mené pour une juste valeur de Pierre Karl Péladeau.
Il faut aussi appuyer les efforts titanesques de TVA pour donner de l'information de qualité sur son réseau LCN. PKP a droit à l'appui du Québec dans ce combat et il ne méritait nullement, malgré le fait qu'il a contrevenu à la réglementation du CRTC, l'opprobre du CRTC dans son combat contre Bell. Il ne méritait pas de recevoir une inconduite de partie...