Avez-vous regardé le Bye Bye hier ? Chose certaine, comme
le veut la tradition, vous en parlerez ou entendrez parler
abondamment.
Au cours des prochains jours, les médias et
les réseaux sociaux regorgeront de critiques et de commentaires sur
ce que l'on aura aimé ou pas du Bye Bye 2024. On s'avisera
sûrement de critiquer les comédiens, le choix des sujets, la
réussite ou non de certaines imitations. Pas de doute que la
faillite de notre système de santé, le troisième lien, les
déboires des gouvernements Legault et Trudeau, l'arrivée de Trump
au pouvoir, les déboires du Canadien de Montréal, la saga
Northvolt, les déboires de Justin Trudeau ainsi que des références
aux turpitudes du gouvernement Legault ont des chances d'occuper une
place de choix dans cette revue de fin d'année. C'est toujours
amusant quand on regarde une émission du Bye Bye de
confronter la lecture de l'actualité qui en est faite avec la nôtre.
Bien sûr, il y a aussi la façon dont cela sera abordé. Chose
certaine, critiquer le Bye Bye, c'est la routine du jour de
l'an. Business as usual. Mais si l'on se demandait, plutôt que de
jouer au critique spécialisé du Bye Bye de cette année,
d'où vient cette tradition de se réunir en famille pour voir les
faits marquants de l'année.
Le Bye Bye de
Radio-Canada
Certains diraient à juste titre de la
revue de fin d'année, le Bye Bye, qu'il est une tradition bien
ancrée, perpétuée par la Société Radio-Canada depuis
1968.
Voici l'historique que l'on peut retrouver
sur Wikipédia :
« L'émission a été
présentée toutes les années de 1968 à 1998. Toutefois, en raison
de la démission des membres de l'équipe du Bye Bye 1997,
le spécial n'a pas été présenté cette année-là. Cependant, une
rétrospective des meilleurs Bye Bye avait été diffusée.
En 1998, Daniel Lemire prend en charge toute la structure du Bye Bye.
Ce fut le dernier spécial jusqu'à ce que Radio-Canada engage
Véronique Cloutier pour une nouvelle formule en 2003. L'année 2004
ayant été difficile pour Cloutier, Radio-Canada a décidé de ne
pas renouveler l'expérience.
À la demande populaire et
constatant qu'il n'y avait plus de domination télévisuelle la
veille du Jour de l'an, Radio-Canada engage le groupe Rock et Belles
Oreilles (RBO) pour concevoir une nouvelle mouture du Bye Bye,
celui de 2006, afin de souligner les 25 années d'existence du
groupe. C'est aussi RBO qui a conçu le Bye Bye 2007.
Toutefois, en 2008, Radio-Canada s'est tournée à nouveau vers
Véronique Cloutier pour animer et produire cette revue télévisée
de fin d'année.
Avant de recevoir l'appellation Bye
Bye, le concept a été présenté sous un autre nom,
soit Salut '57 !, diffusé le 31 décembre 1956, le
31 décembre 1957 et puis pendant trois autres années, de 1959
à 1961, c'est l'émission Au p'tit café qui se charge de
la revue de l'année qui se termine. D'autres comme Zéro de
conduite, Ça va éclater ! et Les
Couche-tard furent aussi utilisés pour les spéciaux de fin
d'année présentés par les télédiffuseurs.
La
comédienne et humoriste Dominique Michel a participé à pas moins
de dix-sept Bye Bye dans toute sa carrière, incluant le
spécial de 1997, 30 fois Bye Bye. Ce fut ainsi son
dernier Bye Bye.
Cela conforte sûrement celles et
ceux qui ont répondu que le Bye Bye est une tradition
purement télévisuelle implantée par la Société Radio-Canada.
Mais ce n'est pas toute la vérité. S'il est vrai que la formule
des Bye Bye télévisuels est issue de Radio-Canada et de
la télévision, la tradition des revues d'actualité est un pur
produit du début du théâtre et du début de la scène à Montréal
au 19e siècle. Voyons cela de plus près.
Montréal,
Québec, Canada, 1900
Les premières revues
d'actualité occupent une large place sur la scène culturelle
montréalaise au début du 20e siècle. La population se prend
d'affection pour ces nouveaux produits culturels et on y retrouve
autant un public ouvrier qu'un public de classes bourgeoises. C'est
d'ailleurs à partir de ces revues d'actualité que se créera au
Québec une véritable tradition théâtrale.
Les revues
d'actualité sont des spectacles hétéroclites composés de
plusieurs sketchs, chansons, saynètes et monologues. De façon
générale, ces revues traitent d'événements d'actualité de la vie
sociale de l'époque et elles mettent en vedette des politiciens et
des personnalités connues. On y retrouve aussi des personnages
insolites inventés de toutes pièces comme le personnage Maison à
louer, Scandale de l'électricité. Règle générale, la trame
narrative est assurée par une commère ou un compère qui raconte au
public présent une histoire en se servant de lieux et de
personnages.
La meilleure revue de cette époque selon les
auteurs est Le diable en ville d'Alexandre Sylvio. La
presse relate ce spectacle de la façon suivante : « Le
diable est revenu sur terre pour se rendre compte de ce qui s'y
passe, étant donné du grand nombre de mortels qu'il reçoit dans
son domaine. Il fait le tour de la ville et avec ses deux personnages
qui l'accompagnent, on visite l'Hôtel Mont-Royal, on rencontre
l'heure normale, l'amateur de radio, une salle de théâtre, un
cinéma. Les situations sont cocasses et l'humour est au
rendez-vous. » On retrouve là l'essence même des Bye
Bye d'aujourd'hui, même si le produit culturel a beaucoup
évolué.
Des racines françaises
« Ces
revues d'actualité ont des racines proprement françaises. Elles ont
été les principales attractions culturelles à Montréal de 1900 à
1930 et ont accompagné la venue de la modernité au Québec. On doit
les premières revues d'actualité locale à des Français établis à
Montréal tels les frères Delville, Numa Blès et Lucien Boyer. Par
la suite, on retrouve une influence américaine par le biais des
spectacles de variétés et du burlesque. Alexandre Sylvio
produit Y'en a dedans en 1927. Ce spectacle aligne saynètes,
dialogues, sketchs, parodies, chansons en solo ou en duo, en plus
d'un burlesque de la vie moderne intitulé le progrès en l'an 50. »
(Lacasse et coll., p. 103).
Les revues d'actualité
connaîtront un immense succès et elles seront supplantées à la
fin des années 30 par la radio et le théâtre qui commencent à
prendre de l'importance sur les scènes de Montréal. Ce n'est que
vers la fin des années 1950, plus précisément en 1957, que
ces revues d'actualité reprendront forme à la télévision avant de
devenir la tradition des Bye Bye que nous connaissons si
bien aujourd'hui.
Le Bye Bye 2024
Au
moment où j'écris cette chronique, je ne sais pas si le Bye
Bye 2024 sera une bonne cuvée. Je sais cependant qu'il
fera selon toute vraisemblance une large place à la guerre en
l'Ukraine, au conflit au Moyen-Orient, à l'élection de Donald
Trump. Reste à voir le traitement que l'on fera des problèmes des
réfugiées, de l'inefficacité du Parlement du Canada. Je crois
aussi que les bonbons de Trudeau pour les fêtes avec la réduction
de TPS seront à l'honneur. Comme le dit François Legault. On verra.
Chose certaine, l'édition du Bye Bye 2024 fera
l'objet de moult commentaires de la part de tous les observateurs,
comme le sont toutes les émissions de télévision qui ont encore le
privilège d'avoir une cote d'écoute de plus d'un million de
téléspectatrices et de téléspectateurs. Ce que je sais cependant,
c'est que ce Bye Bye 2024 est issu d'une vieille
tradition de revue d'actualité qui a dû faire face en leur temps à
de nombreuses critiques et même à la censure de l'Église
catholique. Une Église qui n'aimait pas beaucoup le théâtre léger
et l'humour grinçant de pièces comme Le diable en ville.
Autres temps, autres mœurs, me direz-vous.
Ce qu'il faut
retenir, c'est que si la critique est parfois dure envers nos
créateurs culturels, nous pouvons au moins nous consoler du fait que
nous n'avons plus la censure de l'Église, bien que nous ayons
maintenant celle d'une nouvelle gauche irascible. En ce début
d'année 2025, rappelons-nous combien la liberté d'expression
est une valeur chère pour nous tous...
SANTÉ, Bonheur et
Prospérité pour 2025 !
Lectures recommandées :
Germain Lacasse, Johanne Massé et Bethsabée Poirier, Le diable
en ville, Alexandre Sylvio et L'émergence de la
modernité populaire au Québec, Montréal, Presses
universitaires de Montréal, 2012, 306 p.
N. B.
Le texte de cette chronique a déjà été publié, mais cette
version est remaniée.