Regarderez-vous le Bye Bye dans deux jours ? Puis,
quelques jours plus tard si ce n'est le lendemain les médias regorgeront de
critiques et de commentaires sur ce que l'on aura aimé ou pas du Bye
Bye 2022. On s'avisera sûrement de critiquer les comédiens, le
choix des sujets, la réussite ou non de certaines imitations. Pas de doute que
la faillite de notre système de santé la campagne électorale provinciale, les
discours wokistes, le racisme systémique, ainsi que des références aux ennuis
de Trump aux États-Unis risquent d'occuper une place de choix dans cette revue
de fin d'année. C'est toujours amusant quand on regarde une émission du Bye
Bye de confronter la lecture de l'actualité qui en est faite avec la
nôtre. Bien sûr, il y a aussi la façon dont cela sera abordé. Chose certaine,
critiquer le Bye Bye, c'est la routine du jour de l'an. Business
as usual. Mais si l'on se demandait, plutôt que de jouer au critique
spécialisé du Bye Bye de cette année, d'où vient cette
tradition de se réunir en famille pour voir les faits marquants de l'année.
Le Bye Bye de Radio-Canada
Certains diraient à juste titre de la revue de fin d'année, le Bye
Bye, qu'il est une tradition bien ancrée perpétuée par la Société
Radio-Canada depuis 1968.
Voici l'historique que l'on peut retrouver sur Wikipédia :
« L'émission a été présentée toutes les années de 1968 à 1998.
Toutefois, en raison de la démission des membres de l'équipe du Bye
Bye 1997, le spécial n'a pas été présenté cette année-là. Cependant,
une rétrospective des meilleurs Bye Bye avait été diffusée. En
1998, Daniel Lemire prend en charge toute la structure du Bye Bye.
Ce fut le dernier spécial jusqu'à ce que Radio-Canada engage Véronique Cloutier
pour une nouvelle formule en 2003. L'année 2004 ayant été difficile pour
Cloutier, Radio-Canada a décidé de ne pas renouveler l'expérience.
À la demande populaire et constatant qu'il n'y avait plus de domination
télévisuelle la veille du Jour de l'an, Radio-Canada engage le groupe Rock et
Belles Oreilles (RBO) pour concevoir une nouvelle mouture du Bye Bye,
celui de 2006, afin de souligner les 25 années d'existence du groupe.
C'est aussi RBO qui a conçu le Bye Bye 2007. Toutefois,
en 2008, Radio-Canada s'est tournée à nouveau vers Véronique Cloutier pour
animer et produire cette revue télévisée de fin d'année.
Avant de recevoir l'appellation Bye Bye, le concept a été
présenté sous un autre nom, soit Salut '57 !, diffusé le
31 décembre 1956, le 31 décembre 1957 et puis pendant trois autres
années, de 1959 à 1961 c'est l'émission Au p'tit café qui se
charge de la revue de l'année qui se termine. D'autres comme Zéro de conduite,
Ça va éclater ! et, Les Couche-tard furent aussi utilisés pour les spéciaux de
fin d'année présentés les télédiffuseurs.
La comédienne et humoriste Dominique Michel a participé à pas moins de
dix-sept Bye Bye dans toute sa carrière, incluant le spécial
de 1997, 30 fois Bye Bye. Ce fut ainsi son dernier Bye Bye. »
Cela conforte sûrement celles et ceux qui ont répondu que le Bye
Bye est une tradition purement télévisuelle implantée par la Société
Radio-Canada. Mais ce n'est pas toute la vérité. S'il est vrai que la formule
des Bye Bye télévisuels est issue de Radio-Canada et de la
télévision, la tradition des revues d'actualité est un pur produit du début du
théâtre et du début de la scène à Montréal au 19e siècle.
Voyons cela de plus près.
Montréal, Québec Canada, 1900
Les premières revues d'actualité occupent une large place sur la scène
culturelle montréalaise au début du 20e siècle. La population
se prend d'affection pour ces nouveaux produits culturels et on y retrouve
autant un public ouvrier qu'un public de classes bourgeoises. C'est d'ailleurs
à partir de ces revues d'actualité que se créera au Québec une véritable
tradition théâtrale.
Les revues d'actualité sont des spectacles hétéroclites composés de
plusieurs sketchs, chansons, saynètes et monologues. De façon générale, ces
revues traitent d'événements d'actualité de la vie et sociale de l'époque et
elles mettent en vedette des politiciens et des personnalités connues. On y
retrouve aussi des personnages insolites inventés de toutes pièces comme le
personnage Maison à louer, Scandale de l'électricité. Règle générale, la trame
narrative est assurée par une commère ou un compère qui raconte au public
présent une histoire en se servant de lieux et de personnages.
La meilleure revue de cette époque selon les auteurs est Le
diable en ville d'Alexandre Sylvio. La presse relate ce spectacle de
la façon suivante : « Le diable est revenu sur terre pour se rendre compte
de ce qui s'y passe, étant donné du grand nombre de mortels qu'il reçoit dans
son domaine. Il fait le tour de la ville et avec ses deux personnages qui
l'accompagnent, on visite l'Hôtel Mont-Royal, on rencontre l'heure normale, l'amateur
de radio, une salle de théâtre, un cinéma. Les situations sont cocasses et
l'humour est au rendez-vous. » On retrouve là l'essence même des Bye
Bye d'aujourd'hui même si le produit culturel a beaucoup évolué.
Des racines françaises
« Ces revues d'actualité ont des racines proprement françaises. Elles
ont été les principales attractions culturelles à Montréal de 1900 à 1930 et
ont accompagné la venue de la modernité au Québec. On doit les premières revues
d'actualité locale à des Français établis à Montréal tels les frères Delville,
Numa Blès et Lucien Boyer. Par la suite, on retrouve une influence américaine
par le biais des spectacles de variétés et du burlesque. Alexandre Sylvio
produit Y'en a dedans en 1927. Ce spectacle aligne saynètes, dialogues,
sketchs, parodies, chansons en solo ou en duo, en plus d'un burlesque de la vie
moderne intitulé le progrès en l'an 50. » (Lacasse et coll., p. 103.)
Les revues d'actualité connaîtront un immense succès et elles seront
supplantées à la fin des années 30 par la radio et le théâtre qui commence
à prendre de l'importance sur les scènes de Montréal. Ce n'est que vers la fin
des années 1950, plus précisément en 1957, que ces revues d'actualité
reprendront forme à la télévision avant de devenir la tradition des Bye
Bye que nous connaissons si bien aujourd'hui.
Le Bye Bye 2022
Au moment où j'écris cette chronique, je ne sais pas si le Bye
Bye 2022 sera une bonne cuvée. Je sais cependant qu'il fera selon
toute vraisemblance une large place à la Guerre de l'Ukraine, au Convoi de la
liberté qui a pris en otage la ville d'Ottawa, les élections au Québec, le
Toastgate, les errances de notre télé. Parlera-t-on de Simon Jolin-Barette et
de sa guerre avec la juge en chef ? Comment traitera-t-on des gourous de la
nouvelle censure aux sensibilités élevées à toute injustice réelle ou
fantasmée ? De nombreuses options s'offrent aux scripteurs du Bye Bye qui
ont l'embarras du choix en ce qui le concerne. Chose certaine, l'édition
du Bye Bye 2022 fera l'objet de moult commentaires de la
part de tous les observateurs comme le sont toutes les émissions de télévision
qui ont encore le privilège d'avoir une cote d'écoute de plus d'un million de
téléspectatrices et de téléspectateurs. Ce que je sais cependant c'est que
ce Bye Bye 2022 est issu d'une vieille tradition de
revue d'actualité qui a dû faire face en leur temps à de nombreuses critiques
et même à la censure de l'Église catholique. Une Église qui n'aimait pas
beaucoup le théâtre léger et l'humour grinçant de pièces comme Le
diable en ville. Autres temps, autres mœurs me direz-vous.
Ce qu'il faut retenir c'est que si la critique est parfois dure envers
nos créateurs culturels, nous pouvons au moins nous consoler du fait que nous
n'avons plus la censure de l'Église, bien que nous ayons maintenant celle d'une
nouvelle gauche irascible. En ce début d'année 2022, rappelons-nous
combien la liberté d'expression est une valeur chère pour nous tous...
SANTÉ, Bonheur et Prospérité pour 2023 !
Lectures recommandées : Germain Lacasse, Johanne Massé et Bethsabée Poirier, Le
diable en ville, Alexandre Sylvio et L'émergence
de la modernité populaire au Québec, Montréal, Presses universitaires
de Montréal, 2012, 306 p.
N. B. Le texte de cette chronique a déjà été publié, mais cette version
est remaniée.