Dans les derniers jours de l'année 2017, la Sûreté du Québec (SQ) a rendu public le résultat de son enquête, menée conjointement avec plusieurs autres corps de police dont la Gendarmerie Royale du Canada. Enquête, rappelons-le, qui était sous la direction de Me Madeleine Giauque du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI).
Cette enquête visait à prouver ou à infirmer la véracité des dires du président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal. Yves Francoeur avait déclaré sur les ondes de la station 98,5 à l'émission de Paul Arcand que des enquêtes sur des députés et ministres libéraux avaient été paralysées à la suite de pressions politiques auprès du directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). Cela vous étonnera-t-il, rien de cela n'était vrai.
Ce qui n'a pourtant pas empêché les médias d'en faire ses manchettes pendant des jours et des semaines et d'avoir nui et entaché des réputations tout en sapant la confiance du public dans ses institutions. Ce n'est pas rien. En cette année électorale, 2018 sera l'année d'une élection provinciale au Québec en octobre prochain, il m'apparaît important de faire le point sur cette « nouvelle culture du complot » qui gangrène les débats démocratiques au Québec. Plongée dans les marécages du cynisme et de la mauvaise foi.
La culture du complot
Ce n'est pas d'hier que l'arène politique est le lieu de coups bas de toutes sortes et que l'on s'attaque à l'intégrité de ses adversaires. Cela existe depuis toujours. Ce qu'il y a de nouveau de nos jours c'est que de plus en plus de citoyennes et de citoyens de bonne foi croient à tous ces bobards. Il ne se passe pas une journée sans que nous voyions apparaître dans le cycle des nouvelles des informations fausses que la rumeur et les réseaux sociaux accréditent auprès d'une clientèle de plus en plus nombreuses. Ainsi, il n'y aurait pas de réchauffement climatique. Cela n'est qu'un complot des adversaires de la démocratie américaine pour affaiblir la puissance des États-Unis. Ce bobard est dit et redit par le président des États-Unis d'Amérique, Donald Trump. Comment voulez-vous que personne n'y prête attention?
Autre bobard, plus local celui-là, le gouvernement du Québec est corrompu jusqu'à la moelle. Ce qui explique que ses institutions le soient aussi. Il y a une sainte alliance entre les riches, les puissants et les gouvernements pour entuber le peuple, la classe moyenne tant prisée de nos jours par les partis politiques de tous les paliers. Pourtant, la corruption mise à jour par la Commission Charbonneau ne touchait qu'une fraction des acteurs des milieux qu'elle a étudiés et des mesures énergiques ont été prises par les gouvernements tant libéral que péquiste pour y mettre fin. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui la cause est entendue. Les gens qui s'investissent encore en politique valent encore moins que les Hells Angels qui sont plus populaires que les politiciens. Cela commande réflexion, ne trouvez-vous pas?
Nous vivons à une époque où toutes les opinions sont jugées équivalentes, surtout si celles-ci proviennent de représentants du bon peuple. Cela est encore plus dommageable à cause de la prévalence des réseaux sociaux qui enferment les gens dans des bulles avec leurs congénères qui partagent les mêmes opinions. Nous aimons avoir raison et nos amis Facebook nous le disent en nous « lisant » deux fois plutôt qu'une.
Dans un tel contexte, il n'est guère étonnant de voir triompher en cette ère de l'individualisme galopant l'ère du complot. Le cynisme est partout et la confiance des citoyennes et des citoyens envers leurs institutions et leur gouvernement n'a jamais été aussi tiède. Que faire?
Rétablir le dialogue
Avant de rétablir la confiance, il faut établir un véritable dialogue démocratique dans l'espace public québécois. Ce dialogue doit être vécu par l'épreuve des faits et de la science. Il est impératif que les médias d'information soient plus disciplinés que jamais dans le choix de ce qu'ils publient ou non afin de faire place à des faits vérifiés et vérifiables. Pour cela, il faudrait que ces médias cessent de s'adonner au spectacle ambiant en publiant et en diffusant des nouvelles qui font vendre plutôt que réfléchir.
La classe politique a aussi ses responsabilités. Celle-ci doit manier le verbe avec soin et accepter d'abandonner les effets de toge momentanés pour leur substituer plutôt l'aridité des choix difficiles qui se posent à nous comme société. Il faut abandonner la langue de bois traditionnelle pour lui substituer celle de l'échange démocratique. Le jeu politique ne tient plus quand la confiance n'est plus là et que l'on assiste au triomphe du cynisme. C'est à ce prix que l'on pourra rétablir la confiance des citoyennes et des citoyens dans le Politique.
Rétablir la confiance
À une époque pas si lointaine, la politique était vue comme le principal moteur de changement de la société. On respectait celles et ceux qui faisaient le choix difficile de nous représenter comme élu. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Plusieurs facteurs peuvent expliquer le phénomène. Par exemple, l'impuissance relative des gouvernements qui nous représentent à agir sur notre quotidien devant la puissance d'un monde économique sans cœur et omnipuissant. Quand on ferme des entreprises rentables pour faire monter les actions d'une compagnie à la bourse, on n'a pas à s'interroger longtemps sur la perte de crédibilité du monde économique.
Les gouvernements ont aussi pêché par leur incapacité, soit par veulerie soit par des concours de circonstances, à tenir leur engagement pris lors des campagnes électorales. On peut bien jouer au jeu des mathématiques des pourcentages des engagements tenus, mais ce qui importe c'est de voir le sort réservé aux engagements les plus symboliques aux yeux de l'électorat. Le gouvernement libéral de Justin Trudeau a trahi son engagement le plus important de la dernière campagne électorale soit de réformer le mode de scrutin. Cela poursuivra Justin Trudeau tout au long de sa carrière politique. Soit, on peut croire à la bonne foi, mais cela n'a pas été concluant. L'abandon de cet engagement a été plus perçu comme un jeu de politique partisane que comme le résultat d'une véritable incapacité à agir.
Nous, les citoyennes et les citoyens, avons aussi notre part à accomplir pour rétablir la confiance dans notre fragile équilibre démocratique. Nous devons participer au processus démocratique. Nous devons nous investir dans les débats, manifester et parler haut et fort. Nous devons aussi cesser de prêter foi aux bobards et de croire aux comploteurs de toute nature qui ne peuvent rien apporter de souhaitable à notre vie démocratique. Nous devons surtout élire des représentants dignes de l'être en exigeant d'eux non seulement de l'intégrité, mais aussi des compétences éprouvées. Il n'est pas normal en 2018 d'élire des gens incompétents comme ce fut le cas aux États-Unis avec l'élection de Donald Trump.
En prêtant de l'importance au cynisme ambiant, aux faux lanceurs d'alerte, nous devenons tous à notre façon des fossoyeurs de la démocratie...