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  CHRONIQUEURS / L'Agora

L’insoutenable façon de gouverner!

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Nos démocraties sont en crise, nous le savons que trop bien. Le dépôt récent du rapport de la Commission Charbonneau vient nous le rappeler. Apprendre de façon indiscutable que la démocratie municipale et la démocratie syndicale ont été gangrénées par l'appât du gain et la corruption n'est pas rien. Comprendre comment tout cela a pu être possible selon des stratagèmes bien orchestrés est fort utile. Découvrir que nous étions aux mains des mafieux fut insoutenable.

Ce que nous voulions surtout savoir, et c'est là que la question du financement des partis politiques entre en scène, c'est si cette gangrène avait atteint les plus hauts niveaux de pouvoir de l'État québécois. Sur cette question précise, les observateurs et les journalistes sont restés sur leur faim. Les commissaires Charbonneau et Lachance ne nous ont pas beaucoup aidés puisqu'ils n'ont pas réussi à s'entendre sur cette question. D'où la dissidence du commissaire Lachance. Analyse d'une commission chouchou qui finit son mandat en queue de poisson...

Le cirque d'abord...

Le 5 février 2014, j'écrivais ici une chronique très dure sur la Commission Charbonneau intitulée Charbonneau, le cirque. Permettez-moi de me citer : « La Commission d'enquête de la juge Charbonneau tourne au cirque... Une procureure de la commission irrévérencieuse qui fait preuve d'irrespect et d'impatience envers le témoin. Elle se permet même de claquer des doigts comme pour rappeler à l'ordre un animal domestique. Non, Me Sonia Lebel n'a pas fait honneur à sa profession la semaine dernière... Il y a aussi les ratés inacceptables d'un service d'enquête et de recherche qui laissent filtrer des informations qui ne sont pas documentées par la suite avec le résultat déplorable que cela peut avoir sur des réputations. On n'a qu'à se rappeler la liste de personnalités lancée au printemps 2013 fréquentant le club privé 357 C... Madame Charbonneau manque à ses devoirs élémentaires dans son rôle actuel. Elle n'avait pas le droit de laisser passer les remarques ironiques et les claquements de doigts de Me Lebel. Pas plus qu'elle ne doit nous faire connaître son approbation ou sa désapprobation envers les témoins qu'elle entend. » 

J'écrivais aussi que le mandat premier de la Commission Charbonneau était de « Traquer les stratagèmes, les débusquer et proposer des recommandations pour chercher à faire en sorte que de tels abus soient plus difficiles à l'avenir, voilà son rôle. »

Enfin, je concluais en écrivant : « À l'ère des réseaux sociaux et des réseaux d'information continue, la juge Charbonneau a une immense responsabilité. Elle doit faire preuve de prudence et chercher à revigorer le tissu démocratique québécois. La démocratie ou le vouloir-vivre ensemble n'est pas la propriété des hommes et des femmes politiques, encore moins des partis politiques. Faire la lumière sur un système qui dépossédait notre société de son système démocratique était une nécessité. Néanmoins, pour atteindre cet objectif, il faut que cette commission soit autre chose qu'un cirque qui alimente le cynisme et qui dépossède les Québécoises et les Québécois de leur vie publique commune. »

Je dois avouer qu'à la lecture des recommandations de la Commission Charbonneau (je n'ai pas lu tout le rapport, mais des passages et les recommandations), je suis satisfait des résultats de la commission Charbonneau. Malgré ses travers que j'avais dénoncés, il faut conclure qu'elle a fait œuvre utile et que ses recommandations sont sérieuses et bien documentées.

Des recommandations utiles :

On a beau dire sur le caractère spectaculaire des travaux de la Commission, mais il faut d'emblée reconnaître que ses recommandations sont utiles et qu'elles visent le nœud du problème de manque d'éthique et de corruption dans nos processus collectifs. Je n'ai pas la compétence pour discuter des mérites de chacune. Je laisse cela aux bons soins des juristes. Néanmoins, on me permettra deux remarques.

La première est que j'ai de la difficulté avec toutes les recommandations qui visent à retirer des mains de nos élus des responsabilités de dépenses de nos deniers au profit de la fonction publique. On entend par là que les fonctionnaires sont à l'abri de la corruption et des problèmes d'éthique. Ce qui apparaît comme une fausseté à sa face même. Faut-il rappeler que nul élu ne peut autoriser une dépense au gouvernement du Québec? Ce sont les membres de la fonction publique qui doivent poser les gestes administratifs. Par la recommandation sur la création d'une Autorité pour gérer les infrastructures de transport, la commission Charbonneau avalise l'idée reçue que les élus n'agissent qu'en fonction d'intérêts inavouables et partisans plutôt qu'en vue de l'atteinte du bien commun. À quoi servent les élus? Pourquoi, dans cette lignée, ne pas abolir les gouvernements et demander à des fonctionnaires de décider de notre avenir à partir de critères objectifs décidés par je ne sais qui?

La seconde remarque est sur la question des lanceurs d'alerte. Je veux bien que l'on protège ces gens qui ont à cœur l'intérêt commun et l'intégrité des processus, mais encore faut-il s'assurer que cela ne serait pas que le fait de petites vengeances et d'inimitiés personnelles où le lanceur d'alerte règlera ses comptes avec quelqu'un. Si vous n'êtes pas convaincus de la possibilité de dérapage, je vous invite à lire des historiens français qui décrivent l'atmosphère sociale en France dans l'après-guerre dans le sillon de la dénonciation des collabos. On a des leçons à tirer de l'histoire il me semble.

La dissidence de monsieur Lachance

On a beaucoup écrit et parlé sur la dissidence du commissaire Lachance sur la question du lien ou pas de l'obtention de contrat et le financement des partis politiques et tout particulièrement les liens entre les firmes d'ingénieurs et le Parti libéral du Québec. Quoi qu'en disent les journalistes et les partisans du PQ, aucun lien n'a été établi entre l'obtention de contrat et une contribution au financement des partis politiques. Monsieur Lachance a eu raison de ne pas accompagner la juge Charbonneau dans sa théorie des liens indirects et sa lecture puriste des liens entre contributions politiques et contrats. Je comprends que les gens soient déçus puisqu'ils voulaient que l'on fasse la preuve des liens entre le PLQ et la mafia et que l'on mette les dirigeants libéraux de l'époque en prison. Ce qui ne sera pas le cas, car les libéraux sont des gens aussi honnêtes que les partisans des autres formations politiques.

Il est vrai cependant que toutes les formations politiques, tous les acteurs ont ignoré les signaux d'avertissement indiquant que quelque chose n'allait pas avec le financement des partis politiques préférant se draper dans des litanies que tout était fait selon les règles de l'art. Ce n'était manifestement pas exact.

Qui plus est, il ne faudrait pas que l'on se réfugie derrière une hypothétique « pas vu, pas pris » pour ne pas donner suite aux recommandations de la commission Charbonneau. Il est important que l'on se donne des outils pour éviter qu'à l'avenir on se retrouve à nouveau dans une situation similaire. Il est aussi primordial que nos organismes de contrôle et de surveillance fonctionnent et fassent le travail pour lequel on les paie. Ce que je retiens à la fin de cette saga c'est que nous avons eu droit pendant longtemps à des comportements erratiques de nos gouvernants et qu'aujourd'hui, il faut que cela change sinon nous vivrons d'une façon permanente une insoutenable façon de gouverner...


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