C'était il y a une éternité, en France, les Gilets jaunes perturbaient toute la société française. Je me suis rappelé ces événements parce que j'ai lu ces derniers temps le livre de Michel Onfray intitulé Grandeur d'un petit peuple publié récemment aux Éditions Albin Michel. Dans son essai, Onfray voue un grand respect aux sans-grades, aux laissés pour compte de la mondialisation qui ne souhaitaient que retrouver leur bonne vieille France d'avant le traité de Maëstricht. Cette crise des Gilets jaunes n'était pas un conflit classique entre la droite et la gauche, entre les progressistes et les souverainistes, mais entre gouvernants et gouvernés. Une crise entre l'Élite et ceux qui subissent leurs décisions.
Cette crise, comme nous l'avons vu, n'a mené nulle part si ce n'est d'aggraver plus encore la rupture sociale et économique en France. La crise actuelle de pandémie ne fait qu'accélérer les choses et les événements. Néanmoins, ce que nous avons en commun avec cette crise chez nous c'est notre mépris affiché dans nos lois et nos systèmes économiques pour les gagne-petit, pour les plus démunis. Nos anges gardiens, exception faite des médecins et des cadres du réseau de la santé, sont de faibles salariés devenus du jour au lendemain des héros, mais sous-payés. Réflexion libre sur les inégalités sociales et économiques.
La valeur des uns et des autres
C'est un débat vieux comme la terre. Combien vaut tel travail par rapport à tel autre ? Est-il normal qu'un gardien de zoo gagne plus qu'une éducatrice de garderie ? Et tutti quanti... Le vrai débat à tenir n'est pas de cette nature. Tous les types d'occupation sont importants, bien que différents dans leur caractère essentiel ou non, selon les contextes. Si aujourd'hui, les épiciers et leurs employés, les dépanneurs et les stations-service, les travailleurs sociaux, les aides-ménagères, les préposés aux soins et de nombreux autres ont pris de l'importance à nos yeux c'est parce que la crise actuelle a mis en évidence leur contribution essentielle à nos vies. D'ailleurs, on ne peut que féliciter le gouvernement Legault de l'avoir reconnu de manière tangible en mettant en place des mesures temporaires d'urgence qui viennent bonifier la rémunération de plusieurs employés qui voyaient qu'il était plus rentable de cesser de travailler et de se prévaloir de la prestation d'urgence du gouvernement fédéral de 2000 $ par mois.
On doit souhaiter que ces mesures prises dans l'urgence viennent se pérenniser après la crise, car il est anormal que des gens qui travaillent dur pour nous ne puissent obtenir un salaire décent et qu'ils en soient réduits à vivre dans la pauvreté.
La question des déficits à l'avant-plan
Outre les conséquences sur les inégalités sociales de traitement salarial pour certaines catégories d'emplois mises crument en lumière par l'actuelle crise, la crise de la COVID-19 vient bouleverser de façon fondamentale l'ordre économique existant. On ne parle pas ces temps-ci des abris fiscaux et des paradis fiscaux qui avantagent une minorité, mais ces sujets reviendront rapidement à l'ordre du jour au lendemain de cette pandémie. Les déficits de nos États seront pharaonesques au lendemain de cette crise. Cela se traduira par des débats sur ce que l'État doit financer ou pas. La tendance de certains de vouloir que le Québec et le Canada retrouvent l'équilibre budgétaire sera plus que jamais omniprésente dans les débats politiques à venir. Nous retrouverons les mêmes thèmes qui apparaitront sous de nouveaux habits.
La question du financement de la santé, de l'éducation et de la sécurité demeurera sans aucun doute au cœur des missions de l'État. Par exemple, je soupçonne que des voix fortes se feront entendre pour que les États investissent dans la recherche fondamentale sur les virus et leur transmission. Au lendemain de la crise du SRAS, sous l'effet des coupes budgétaires de l'ère Harper et du retour à l'équilibre des libéraux au Québec, on a cessé d'investir dans ce type de recherche. Les humains étant ce qu'ils sont, il est évident que de solides pressions du public se feront entendre pour que l'État soit présent dans le financement de telles recherches.
On voudra aussi que l'on investisse des sommes avenantes pour que nous ayons en main des stocks de matériel médical qui aujourd'hui font l'objet de l'actualité parce que l'on craint la pénurie. Sans compter que l'on vient de prendre conscience que la délocalisation de la production de tels équipements pour des pays étrangers en des temps de crise vient ajouter des difficultés supplémentaires dans la gestion d'une crise comme celle que nous connaissons. La volonté de l'administration du président Trump qui vient d'interdire l'exportation de masques N-95 vers le Canada en constitue un triste exemple.
Produire mieux et consommer moins
Sur le plan de la production des biens et des services, la présente crise vient mettre en lumière tous les excès de notre société d'hyperconsommation. Est-il raisonnable par exemple d'exporter nos déchets plutôt que de les transformer sur place dans le cadre d'une économie circulaire ? Doit-on utiliser nos forces de production forcément réduites pour produire des choses inutiles et redondantes au nom de la fiction du besoin des consommateurs qui sont souvent inventées par le marketing et la publicité ? N'est-il pas temps de mettre nos énergies en commun pour vivre pleinement notre souveraineté alimentaire plutôt que de consommer des produits d'ailleurs ? Peut-on envisager encore longtemps de vivre dans une économie mondialisée où les bas salaires et les conditions de travail indécents sont à la base du prix plus abordable qui nous est offert dans notre marché de consommation ? Quelques questions qui prouvent bien que nous avons matière à nous interroger sur l'avenir au lendemain de cette crise sanitaire.
Rien ne sera plus comme avant
J'entends parfois des gens dire ou écrire qu'après la pandémie, rien ne sera plus comme avant. Permettez-moi d'en douter. Je suis d'avis que la présente crise est une formidable occasion pour s'interroger et pour recommencer nos vies sur de nouvelles bases, mais je ne suis pas convaincu que ce sera le cas. De puissants lobbies qui représentent des secteurs économiques qui existaient avant cette crise ne disparaîtront pas comme par enchantement. À preuve, même pendant cette crise, les lobbies du pétrole sont fort actifs. Vivre une vie différente que celle que nous avions avant est possible si nous décidons de profiter de l'occasion pour revoir les bases économiques de notre société qui carbure à l'économie du carbone au profit d'une nouvelle économie verte qui nous amènera à une véritable transition vers une économie d'énergies nouvelles. Bien sûr, nous avons encore besoin du pétrole, mais nous pouvons nous en délester plus rapidement. Le développement d'une véritable économie numérique est aussi d'actualité, ce qui pourrait favoriser le télétravail et réduire nos déplacements et ainsi diminuer notre empreinte carbone.
Par ailleurs, il serait peut-être temps de penser instaurer un salaire minimum garanti qui viendrait remplacer la pléiade de programmes sociaux existants et favoriser ainsi une plus grande égalité entre toutes et tous. Chose certaine, nous pouvons profiter du moment pour éviter que s'approfondisse l'aliénation entre les élites et la population qui ont donné des mouvements comme celui des Gilets jaunes évoqués au début de cette chronique. Nous avons une chance de réfléchir à notre avenir en des termes différents. Souhaitons que nous puissions nous saisir de l'occasion. Ce n'est qu'à ce prix que l'on pourrait voir ce que changera la pandémie...