Avertissement !
Si vous êtes du genre à vous demander si les joueurs de
football parlent contre vous lorsqu'ils tiennent un caucus au centre du
terrain, bien tassés les uns contre les autres, en cercle fermé, eh, bien, certains
passages de cette chronique pourraient vous insécuriser pas mal !
J'y vais de front.
Vous serez très probablement filmé aujourd'hui si vous
franchissez les limites de votre terrain privé.
En fait, des caméras de surveillance sont maintenant dispersées
un peu partout. Parfois visibles, mais très souvent cachées.
Des voitures en sont munies. Des caméras qui captent et
conservent tout ce qui se passe devant.
Des résidences personnelles en sont équipées aussi, bien des commerces,
bref, il y a des caméras partout.
Comme pour en ajouter une bonne couche, partout où un
événement survient, où quelqu'un monte le ton, vous pouvez être à peu près
certain que quelqu'un aura le réflexe de filmer la scène. Une affaire de
quelques secondes ! C'est devenu un réflexe pour plusieurs
personnes, il semble bien.
Est-ce que la sécurité est la seule motivation dans tout
cela ?
Ce serait trop facile comme appréciation, je trouve.
Pour moi, il y a plus. Et plus sournois !
Derrière la caméra
Quand on réussit à dégainer son téléphone cellulaire plus
vite que son ombre et qu'on est prêt à filmer en permanence. J'imagine qu'il y
a d'abord la volonté de se mettre soi-même en position de force par rapport à
tout ce qui peut nous arriver dans la vie. Il y a un sentiment de puissance qui
accompagne le fait d'être derrière la caméra !
Il y a aussi la possibilité de jouer les héros dans une
situation donnée. Pensons seulement au terrible incident ayant coûté la vie à
George Floyd aux États-Unis. Évidemment, aux yeux de la justice, les vidéos
amateurs ont pesé très lourd dans la balance argumentaire.
Mais, il y a plus pernicieux aussi. Drapé dans la cape
héroïque de celui qui veut protéger tout le monde, se cache visiblement
quelqu'un qui prend un malin plaisir à essayer de piéger l'autre. Au nom de ma
sécurité (et de celle des autres si jamais je dois aller plus loin dans les
justifications !), je suis
le justicier à caméra qui fera régner l'ordre et la sécurité...
Quand je vois quelqu'un filmer un retour de marchandise dans
un commerce, ça me trouble. Je me demande bien quelle en est la justification...
C'est comme tenir pour acquis, en entrant dans le commerce,
que les choses iront mal et que je pourrai en témoigner pour ternir des
réputations d'affaires. Il y a un vice dans ce type de geste qui me semble
évident.
C'est que la caméra donne un pouvoir et vient complètement
changer la donne d'une interaction entre des personnes.
Devant la caméra, alors...
Quelqu'un vous demande quelque chose en braquant son
cellulaire sur vous. Vous savez que vos faits et gestes seront enregistrés.
Votre état d'esprit change. Vous tombez en mode défensif. À raison, cela dit,
parce que c'est une forme d'agression. Dans votre esprit, vous savez très bien
qu'il y a un risque que la personne vienne couper un tout petit bout de
conversation, sortir la séquence du contexte plus global et faire en sorte
qu'un moment d'impatience sur une conversation beaucoup plus longue risque de
devenir viral sur les médias sociaux.
Oui, mais la sécurité est améliorée, non ?
Rien de plus relatif, à mon avis.
Autant une image peut être valable pour appuyer un
argumentaire, autant les effets pervers peuvent être globalement néfastes pour
la vie en société.
L'utilisation de caméras, lorsque leur présence est
clairement identifiée, a probablement un effet dissuasif sur quelqu'un de
malfaisant.
Mais, je m'interroge de plus en plus sur les caméras qu'on
porte sur soi, celle de notre cellulaire ou d'autres types qu'on porte à sa
boutonnière et qui peuvent tout enregistrer en temps réel.
Je m'interroge sur l'aspect éthique de la chose. Si j'ai le
droit de vivre de façon sécuritaire et que, pour ce faire, je porte une caméra
en presque permanence, je me dis que la personne visée a le droit de ne pas
toujours être filmée aussi.
Tout ça crée un univers paranoïde où chacun se méfie de
chacun encore plus et où tout le monde évite les interactions entre humains, au
simple cas où ce serait filmé.
On ne règle pas un conflit ou un différend avec la caméra
braquée sur l'autre.
Pour moi, à la base de la base, il y a cette
conviction : la seule et unique manière de régler une situation
conflictuelle est encore d'en parler ouvertement. Caméras éteintes. Un échange
vrai. Avec médiateur, à la limite, mais un vrai échange. Plus les gens se campent
les uns contre les autres, moins les chances de trouver une solution sont
bonnes.
Clin d'œil de la semaine
Il y a plein de nouveaux superhéros qui gravitent autour de
nous. Leur arme ? Une caméra. Leur grand pouvoir ? Les
médias sociaux...