Sagement, j'ai attendu. J'ai appris, au fil des années et des expériences, que la réaction à chaud n'est pas toujours la meilleure. Le temps a cette faculté dynamique de filtrer les émotions, permettant ainsi de laisser poindre les éléments rationnels.
Il y a une semaine que ça mijote. Et rien n'y fait. Ça ne passe pas.
Le dossier de la liberté de posséder des armes à feu de façon libre, sans registre, revient à la surface de façon spectaculaire. On devait tenir une manifestation proarmes devant les locaux de Polytechnique. Quatorze personnes y ont perdu la vie.
Quatorze personnes.
Tout étant dans tout, il y a, dans le lot des proarmes, des gens plus durs que d'autres. Un armurier a même mis en ligne une vidéo qui en appelle à la mobilisation contre le registre des armes à feu et, surtout, pour la liberté de porter une arme. Jusque-là, ça va, il a bien le droit d'exprimer son point de vue. Même quand il utilise un ton intimidant, je me dis, c'est limite, mais bon. Mais quand il parle des gens de Polytechnique en utilisant le qualificatif « polypleurniches », je m'enflamme.
Nous vivons dans une société où le chacun-pour-soi domine le quotidien. Nos téléphones intelligents viennent épaissir les parois de notre petite bulle en captant notre attention, en marchant, en attendant, en mangeant au restaurant, sur un petit écran. Le principal effet est de nous déconnecter du moment présent.
Et par-dessus ce chacun-pour-soi, il y a cette couche supplémentaire : la liberté sans limites. Notre liberté individuelle. Liberté devenue tellement puissante qu'elle éclipse le principe de la société libre.
Il me semble que, peu importe le sujet, l'argument ultime, l'argument massue, est toujours le même : je revendique mon droit à ceci ou cela. Point. J'ai le droit.
J'ai des responsabilités? Pas au courant. Mais j'ai le droit.
Quand on nous dit qu'il est temps qu'on arrête de s'acharner sur ces pauvres propriétaires d'armes à feu en les obligeant à inscrire les armes qu'ils détiennent dans un registre, je décroche complètement.
Personnellement, je n'imagine pas une société dans laquelle il y a une arme partout, dans chaque pièce, dans chaque poche de veston.
Déjà que la haine, le mépris et la violence verbale (ou écrite) inondent les médias sociaux, je me dis que si le clavier est une arme offensive dont plusieurs se servent allègrement en vomissant du venin à qui mieux mieux, il est peut-être souhaitable que l'arme qu'est le clavier ne devienne pas une arme à feu.
Vous trouvez que j'exagère?
Faites le test. Allez lire deux ou trois nouvelles sur le site de RDS, page du Canadien. Au bas du texte de n'importe quel journaliste, il y a toujours des commentaires. Jetez un œil là-dessus.
Pourquoi prendre cet exemple-là? Parce qu'il n'y a pas d'enjeu réel sur notre société. Le hockey, c'est un jeu. Un business, c'est sûr, mais un jeu, surtout. Et le ton monte automatiquement. Et les insultes pleuvent. Imaginez maintenant que le sujet soit plus grave. Imaginez seulement que la liberté individuelle soit un peu remise en cause.
Il pleuvrait des projectiles, madame, monsieur ...
L'arme à feu ne vient pas avec une programmation du cerveau qui accentuerait le jugement personnel.
Le registre, pour moi, c'est une façon qui sert, bien que de façon imparfaite, à baliser la possession et, ultimement, l'utilisation d'armes à feu.
On peut bien argumenter que si chacun avait une arme, la sécurité de ce chacun serait bien meilleure, c'est une question de point de vue.
Mais que le principal argument soit de dire qu'il faut arrêter d'ostraciser ces pauvres propriétaires d'armes à feu, qu'on fasse comme si le fait d'enregistrer son arme équivaut à être identifié comme un criminel, il y a un pas qu'il ne faut pas franchir.
On nage en pleine démagogie.
Je nous rappelle que nous ne sommes plus au Far West, pour reprendre l'image mythique. Nous ne vivons plus à l'époque où se faire justice fonctionnait. Nous avons mis en place des règles et des principes de société qui, bien qu'imparfaits eux aussi, ont le mérite de voir plus haut que son petit chacun pour soi...
Clin d'œil de la semaine
« Je te demande le respect », dit-il, tenant résolument son fusil sur la tempe de son interlocuteur...