Pour
bien centrer le sujet du jour, j'omets volontairement l'aspect religieux de la
fête de l'Action de grâce.
Depuis
centaines d'années, on célèbre, d'une manière ou d'une autre, le fait que les
récoltes sont faites, que les légumes et les fruits sont ramassés et prêts à
être conservés de façon à assurer notre subsistance jusqu'aux prochaines
récoltes, celles de l'an prochain.
C'est
donc une fête qui célèbre le labeur et cette paix d'esprit qu'apporte un
garde-manger assez rempli pour que la vie se poursuive.
Une fête
pour apprécier les fruits du travail fait dans les derniers mois. Une fête
comme un temps d'arrêt propice à apprécier ce qui nous entoure, ce qui est à
notre portée. Une fête, donc, pour dire merci. Une Thanksgiving, dit-on en
anglais.
Merci au
sens où on prend conscience que notre travail ne suffit pas. Qu'il faut avoir
l'humilité de ne pas se penser plus fort que la nature. Cette même humilité qui
devrait nous alarmer sur notre rapport à l'environnement et à autrui.
C'est
ça, pour moi, l'Action de grâce.
Mais
comme 2020 semble une année différente entre toutes, je crois que je retiendrai
un peu mon merci. Ou plutôt que j'ajouterai, après mon merci, une virgule.
Une
virgule qui laisse tout ouvert après avoir prononcé le mot merci. Comme
dans : « merci, mais je suis anxieux un brin ». Pas mal, même! En
fait, j'ai franchement peur.
Peur que
mes voisins États-Uniens s'entretuent après les prochaines élections.
J'exagère?
J'aimerais bien...
Si Trump
perd, pourra-t-il retenir les élans de ceux qu'il crinque comme ce n'est pas
permis depuis quelques mois? Pourra-t-il amoindrir l'impact de ses insultes, de
ses mensonges, de ses appels à la mobilisation?
Sans
oublier que ses partisans sont tous armés et qu'ils ont montré leurs armes
souvent publiquement pour protéger leur liberté.
Il a
semé la haine et la division et voilà qu'il multiplie les déclarations
concernant les lacunes du système électoral. Si ses partisans farouches croient
que c'est le système qui a été trafiqué pour les faire perdre, il leur reste
quoi, pour drainer leur haine et leur colère? Les manifestations armées?
J'espère
avoir peur pour rien. Mais Trump a rendu banal et acceptable le fait
d'insulter, de dénigrer, de réduire l'autre. Il reste à en venir aux coups...
S'il
gagne, il ne va que magnifier cette division et cette haine pendant quatre ans.
J'ai une
impression qu'on est pris au piège.
Revenons
ici. Même si ce qui se passe aux États influence pas mal ce qui se passe ici...
Donc, je
dirai « merci, mais je souhaite un peu d'équilibre dans notre société ».
Depuis
la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la croissance économique constante a
modifié complètement nos sociétés. L'enrichissement personnel, dopé par un
marketing puissant destiné à créer, pour chacun, la notion de « confort de
son foyer », a transformé le citoyen en individu. Individu comme dans
individuel. Des gens individuellement bien installés, mais qui ont perdu, trop
souvent, le sens de la communauté.
2020,
c'est beaucoup ça. Comme un merci mitigé.
Même
s'il est invisible, le Coronavirus ébranle les colonnes du temple. Je nous
regarde et on ressemble à des cordes de violon qui arrivent de moins en moins à
s'accorder entre elles, mais qui continuent à se tendre, risquant une cassure à
tout moment.
L'Action
de grâce 2020 est spéciale.
Mais
elle provoque un moment de réflexion.
Je dis
merci pour ce qui m'entoure. Merci pour ce qui m'est accessible. Mais j'essaie
de ne pas oublier qu'en société, chaque privilège vient avec la responsabilité
de bien l'honorer.
Merci,
donc, mais j'essaierai d'être un peu plus digne de la générosité qui m'est
offerte.
En la
reconnaissant, d'abord...
Clin
d'œil de la semaine
« Merci
pour toute cette nature généreuse, j'apprécie! »
« Ouin...merci
tant que tu voudras...c'est juste que c'est pas à toi! »