Ça sent les élections en ville. Les hostilités sont bel et bien lancées et pas toujours de brillante façon. L'élection du nouveau conseil à la ville de Sherbrooke se fera en novembre prochain, à partir de nouveaux territoires, avec moins de conseillers et bien sûr avec au moins deux partis politiques, le Renouveau sherbrookois du maire sortant, Bernard Sévigny et le parti Sherbrooke citoyen issu de la mouvance de démocratie Sherbrooke.
Ces derniers jours, j'ai eu l'occasion de débattre sur les réseaux sociaux, avec certains, de la pertinence des partis politiques municipaux et surtout de la pertinence de ce nouveau parti qu'est Sherbrooke citoyen que d'aucuns accusent de cacher sa véritable nature de gauche et donc de se présenter devant la population de Sherbrooke sous de fausses représentations. Analyse préliminaire d'un match électoral imprévisible...
Les enjeux de la prochaine campagne électorale
Une ville comme Sherbrooke, l'une des grandes villes du Québec, doit être le théâtre de vrais débats lors d'une campagne électorale. La présence de partis politiques favorise la tenue de débats. Cela est sain pour la démocratie qu'il y ait des partis politiques. C'est pourquoi il apparaît futile d'avoir des débats sur les bienfaits de candidats indépendants eu égard à celles et ceux qui sont membres d'un parti. Voter pour des candidats indépendants ou pour des membres d'un parti n'est pas un véritable enjeu. L'enjeu ce sont les idées défendues par les candidates et les candidats et surtout, la vision portée par ces gens quant à l'avenir de notre ville.
Il est étonnant que l'on débatte encore de la présence de partis politiques sur la scène municipale. Ils sont là et ils resteront. D'ailleurs, ces partis ne sont pas liés comme en France ou aux États-Unis aux partis politiques nationaux. Chez nous, les partis politiques s'apparentent plus à des mouvements qu'à des partis politiques. Qui dit mouvement dit aussi absence de lignes partisanes. Pour dire vrai, si l'on étudie attentivement les décisions prises par le conseil municipal sortant, il est très rare que des décisions aient été prises selon une ligne de parti. Qui plus est, lorsqu'il n'y avait pas de parti sous Jean Perrault, les votes se prenaient à la suite des pressions du cabinet du maire auprès des élus en échange de quelque chose que le conseiller désirait. Bref, le conseiller libre, au-dessus de la mêlée, ne pensant qu'aux intérêts supérieurs des citoyens, est plus un mythe qu'une réalité.
On peut se réjouir de l'arrivée sur la scène politique de cette bande de jeunes et moins jeunes citoyennes et citoyens impliqués sous l'étiquette de Sherbrooke citoyen. Je ne suis pas l'un de leurs membres ni un sympathisant. Je ne suis pas nécessairement en accord avec toutes leurs positions, mais je trouve rafraichissant leur présence. Comme je trouverais aussi intéressant que celles et ceux qui se sont regroupés sous la bannière non officielle des candidats indépendants contre le Renouveau sherbrookois qui sont plutôt des libéraux se regroupent aussi et forment un parti. Nous aurions alors un vrai débat électoral. Mais cela n'arrivera pas. Être ou ne pas être d'un parti ou être un candidat indépendant n'est donc pas un enjeu de cette élection à venir. Les enjeux sont ailleurs.
La ville comme lieux d'affrontement entre des visions différentes du monde
Si l'on en croit certains qui s'expriment sur les réseaux sociaux, le régime du maire Sévigny et de Serge Paquin est dépensier et la gestion de la ville laisse à désirer. L'administration Sévigny-Paquin se lance dans des projets sans queue ni tête comme une salle de spectacle jeunesse au centre-ville, le projet Well inc. ou encore nos contributions économiques à des projets comme ceux de l'aéroport, d'Espace-inc. ou plus globalement dans des frais engagés dans le développement économique, culturel et social de la ville. Des projets qui coutent cher et qui ne donnent aucun résultat. Il serait préférable de mettre cet argent dans la réfection des rues et pour améliorer la sécurité dans notre ville. Des propos soutenus par une vision du monde où le tout au marché et au privé est la toile de fond.
Pourtant, une étude des principaux indicateurs parmi les grandes villes du Québec a fait la démonstration, j'y ai fait écho ici dans une chronique récente, que la ville de Sherbrooke est plutôt bien gérée et que notre taux de taxation figure avantageusement bien parmi les villes comparables au Québec.
Au fond, ce dont il est question c'est la vision de la nature et du rôle d'une ville dans notre vie.
Qu'est-ce qu'une ville?
Pour les tenants d'une contribution fiscale minimaliste, une ville est là pour entretenir nos rues, assurer la sécurité des citoyens et voir à gérer la collecte des matières recyclables et compostables. Dans cette vision, tous les investissements pour des équipements collectifs culturels ou sportifs devraient être laissés au privé. Si le privé ne voit pas d'avantages pécuniaires à offrir un service c'est que le besoin n'est pas là. Cette façon de voir le monde du tout au privé n'est pas largement partagée par la population. Cette vision néo-libérale de la ville est partie intégrante au débat. C'est une vision dépolitisée de la ville et qui a son Dieu : le marché et son prophète: le privé.
Il y a aussi la vision technocrate moderne, avatar d'une gouvernance néo-libérale plus timide que l'idéologie du tout au marché. Cette vision s'appuie sur une approche managériale.
Dans son traité de municipalisme, le professeur Jonathan Durand Folco écrit : « Le discours sur la gouvernance urbaine, avec son approche managériale, ses parties prenantes privées, publiques et associatives, professe évidemment le dialogue, la co-construction et la collaboration. Or, cette "nouvelle raison du monde", qui apparaît comme une façon créative, flexible et dynamique de gouverner la ville, reproduit dans les faits les rapports de domination des élites économiques et politiques qui continuent de décider largement des grandes orientations du développement urbain. La ville se présente au commun des mortels comme une administration gérée par les autres, par une minorité d'experts, d'urbanistes et de gens "compétents" qui devraient prendre en charge la gestion et le pilotage des processus complexes de l'administration municipale. »(Jonathan Durand Folco, À nous la ville. Traité de municipalisme, Montréal, Écosociété, 2017, p. 10).
On reconnait bien notre ville dans cette description.
Enfin, il y a une autre vision possible. Celle de la refondation de la ville comme lieu de transformation sociale et politique. Une approche qui se distancie de l'approche néo-libérale du tout au marché et au privé et de l'approche managériale d'experts et de co-construction sociale.
Faire de notre ville une véritable communauté politique c'est faire le choix d'un projet d'émancipation où les citoyens seront au cœur de cette résurrection de la ville comme espace politique et comme vecteur d'une transformation démocratique de la vie sociale, culturelle, politique et économique de Sherbrooke.
La fondation d'un parti politique comme Sherbrooke citoyen est une occasion supplémentaire de débat quant à l'avenir de notre ville. Reste à voir si ce parti sera capable de porter une vision nouvelle pour notre ville qui s'inscrira en rupture avec les visions néo-libérales du tout au marché et au privé ou encore de l'approche managériale de co-construction sociale dominée par les experts. La présence dans cette élection d'une candidate comme madame Hélène Pigot, issue de la mouvance de Québec solidaire, devrait permettre de choisir entre ces options fort différentes de l'avenir de notre ville.
Sherbrooke deviendra peut-être une communauté politique à l'issue de cette élection et ce sera grâce aux partis politiques en présence. Je crois que le plus important c'est de penser Sherbrooke comme une communauté politique...