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Ô ma sœur la violence

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Photo : Retour sur les émeutes de Québec au printemps 1918.
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 4 avril 2018

Pas plus tard que la semaine dernière, j'écrivais ici à propos de Léo Ferré et de sa singulière poésie. L'un de ses textes les plus forts à mes yeux est celui intitulé : La violence et l'ennui, un texte qui a paru en 1980. Cette dernière semaine, la violence a rappelé qu'elle était partout avec le procès du tueur de la mosquée de Québec qui a reconnu sa culpabilité en ânonnant de plates et vaines excuses.

Ce terroriste a causé lâchement la mort de six personnes et en a blessé huit autres. La ville de Québec a été le théâtre de cette grande violence à l'endroit de nos frères de confession musulmane. Lieu réputé pourtant paisible. La même ville fut aussi, il y a cent ans, emportée par une violence indicible lors des émeutes à Québec où il y a eu quatre morts, de 35 à 70 blessés et pas moins de 62 arrestations. L'armée canadienne a ouvert le feu avec une mitraillette sur la foule rassemblée.

Là aussi, nous avons des victimes innocentes qui revendiquaient le droit de ne pas aller se faire tuer dans des guerres européennes. Retour sur les émeutes de Québec au printemps 1918. (Jean Provencher, Québec sous la Loi des mesures de guerre : 1918, Montréal, Lux éditeur, 2014, 131 p.)

La violence présente chez les humains

Le terroriste qui s'est reconnu coupable de la tuerie de la mosquée de Québec ne nous a pas dit pourquoi il avait commis ce geste. Il a évoqué un démon intérieur qui aurait gagné le combat sur sa volonté. Une sorte d'état latent présent en nous comme l'évoque Léo Ferré dans son texte La violence et l'ennui :

« Nous d'une autre trempée et d'une singulière extase
Nous de l'Épique et de la Déraison
Nous des fausses années Nous des filles barrées
Nous de l'autre côté de la terre et des phrases
Nous des marges Nous des routes Nous des bordels
intelligents

Ô ma sœur la violence, nous sommes tes enfants
Les pavés se retournent et poussent en dedans

J'ai l'impression démocratique qui me fait des rougeurs
À l'extrême côté du cœur et des entrailles
J'entends par là mes tripes à la mode de mai

Je vous commande d'être brefs et couillosifs 

J'ai le sentiment bref de ceux qui vont mourir
Et je ne meurs jamais à moins que
Je sais des assassins qui n'ont pas de victime
Qui s'en vont faire la queue pour voir le sang d'écran
Et cette pellicule objective qui pellicule sur le vif

Surtout, ne pleure pas
Les larmes c'est le vin des couillons »

Non seulement cette violence est présente en nous, mais elle suscite de l'intérêt chez les autres, une sorte de voyeurisme malsain que les médias aiment bien selon les mots de Ferré « pelliculer sur le vif ». Nous n'avons jamais compris pourquoi l'armée canadienne en 1918 a ouvert le feu à l'aide d'une mitraillette sur la foule à Québec, tuant ainsi quatre personnes.

La Pâque de 1918

Dans un texte publié sur le site de Radio-Canada où Alain Rochefort rencontre en entrevue l'historien Jean Provencher et résume bien la situation en quelques mots : « Printemps 1918. Le monde est plongé dans l'horreur de la Grande Guerre. Réputée pour sa tranquillité, Québec sombre aussi dans le chaos. Durant la Semaine sainte, cinq soirées d'émeutes sans précédent frappent la capitale. Des violences provoquées par des opposants à la conscription qui se soldent par les salves d'une mitrailleuse de l'armée canadienne dans Saint-Sauveur, le 1er avril. Les balles ont tué quatre résidents de ce quartier ouvrier, dont un adolescent de 14 ans et deux jeunes au tournant de la vingtaine. L'utilisation d'une vraie mitrailleuse [par l'armée], c'était la première et, je l'espère, la dernière fois que ça se produisait à Québec. »

La violence s'est abattue sur la ville de Québec sous fond de haines raciales et de racisme sectaire d'une partie de l'opinion publique canadienne-anglaise entretenue par le discours belliciste du gouvernement conservateur de Robert Borden.

Pourquoi donc toute cette violence?

Cela tient beaucoup au contexte historique de l'époque comme nous le rappelle le sociologue Fernand Dumont dans la préface qu'il a signée au livre de Jean Provencher : Ce texte mérite d'être cité, car rien ne peut mieux résumer le contexte de l'époque : « 1917, 1918, en Ontario, quelques années plus tôt, le Règlement 17 a attenté aux droits des écoles françaises. La guerre mondiale se poursuit, interminable. Le recrutement, la conscription font déferler, chez les anglophones canadiens, les vieilles haines raciales; on réclame l'emprisonnement de ceux qui se sont opposés à la Loi du service militaire; on demande même la suppression du journal Le Devoir et l'exécution d'Henri Bourassa. Aux élections de 1917, les électeurs se sont opposés massivement au gouvernement conscriptionniste et se trouvent pratiquement sans représentation au sein du pouvoir. Des mouvements divers surgissent un peu partout. Des bagarres, des attentats ont lieu à Montréal. Ces manifestations ne se limitent pas à la métropole; elles s'étendent à Shawinigan, par exemple. Et voilà que la ville de Québec est atteinte à son tour ». (Jean Provencher, Ibid. Préface de Fernand Dumont à l'édition de 1971).

Comme nous le raconte Jean Provencher dans son récit de ces émeutes et les nombreux témoignages que l'on y retrouve, le Québec est profondément pacifiste et contre la violence. Nos compatriotes du siècle dernier ne voulaient pas aller se faire tuer en Europe. Cela remet aussi en question notre capacité de vivre ensemble dans le respect des grandes cultures fondatrices de ce pays. Jamais les humbles familles des quatre Québécois tués injustement et violemment par l'armée canadienne de Sa Majesté n'ont été dédommagées et elles n'ont jamais reçu d'excuses officielles de la part du gouvernement du Canada. Devrait-on oublier et cesser de parler de cet événement?

Refuser l'oubli

Dans sa préface Fernand Dumont a aussi abordé la question de l'oubli. « Que l'on n'en parle plus? On sera reconnaissant à Jean Provencher d'en reparler. L'histoire ne doit pas ressusciter des haines mortes... les peuples ne doivent pas accepter que l'on relègue à l'oubli les témoignages anciens de leur servitude. » (Loc. cit.)

Il est heureux que des médias comme Radio-Canada et d'autres nous rappellent cet événement. D'ailleurs, les émeutes de Québec de 1918 ont déjà fait l'objet de livres, ceux de Fernand Dumont et de Jean Provencher, d'une pièce de théâtre du Théâtre du Trident de Québec sous la direction artistique du comédien, le regretté Paul Hébert, Québec, Printemps 1918. La pièce fut jouée à Québec et fit l'objet d'un téléthéâtre dans le cadre de l'émission phare de l'époque à Radio-Canada, Les Beaux dimanches. La pièce a été traduite en anglais par l'écrivain américain Leo Skir qui trouvait que la pièce rappelait les événements du 4 mai 1970 à l'université d'État Kent en Ohio où quatre étudiants furent tués par la garde nationale pour s'être opposés à l'intervention américaine militaire armée au Cambodge.

Puis dans les années 1980, des citoyens se sont levés et mobilisés pour ramasser des fonds, 80 000 $ était nécessaire. Aujourd'hui, nous dit l'historien Jean Provencher dans l'avant-propos de la réédition de son livre chez Lux Éditeur, il existe un monument, une œuvre d'art commémorative signée par l'artiste Aline Martineau qui a été érigée en 1998 et la Ville de Québec a créé la place du Printemps-1918.

Sauvegarder notre mémoire

Se souvenir est essentiel pour se rappeler ce que nous sommes et où nous voulons aller. D'ailleurs, notre aversion pour la guerre et l'aliénation de la société québécoise est bien présente dans notre littérature. Il faut évoquer ici l'excellent roman de l'auteur à succès Roch Carrier, son premier publié en 1968, intitulé : La guerre, Yes Sir! Le premier tome d'une trilogie ; La trilogie de l'âge sombre. Un roman qui renvoie le Québec à la thématique « de l'opposition entre dominants et dominés, entre faibles et forts, entre francophones et anglophones ». (Aurélien Boivin, La Guerre, yes Sir! Ou la guerre des autres/la guerre, yes Sir!, Montréal, Stanké, 1981, 140 p., Montréal, Québec français, no 96, p. 85).

Il faut se souvenir de l'attentat de la mosquée de Québec et partager la douleur de nos frères et nos sœurs de confession musulmane, mais il faut aussi se rappeler de l'« émeute de Québec du printemps 1918 » et inviter nos compatriotes québécois arrivés plus récemment à comprendre et à partager cette douleur universelle qui réside dans l'âme québécoise et qui tourne autour de cette strophe de Léo Ferré qui nous habite tous dans un langage universel, Ô ma sœur la violence...


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