Un ami à moi, du
milieu des affaires, est un grand admirateur du premier ministre du Canada,
Stephen Harper. Lors d'un récent souper, il me reprochait d'être injuste envers
son favori et de ne pas l'évaluer à sa juste valeur.
Pour cet ami,
Stephen Harper n'est rien de moins que le plus grand premier ministre que le
Canada ait eu. Le prenant aux mots, je lui ai dit que lors de ma prochaine
chronique dans EstriePlus, je lui dirais pourquoi je suis en désaccord avec lui
et j'expliquerais les motifs qui m'amènent à conclure que Stephen Harper ne
mérite pas d'obtenir un nouveau mandat des Canadiens à titre de premier
ministre. Je m'exécute...
Le génie de
Stephen Harper
On ne devient pas premier ministre du Canada sans être un
personnage remarquable. Mon ami sera heureux de lire ici que je trouve des
qualités à Stephen Harper. Sa plus grande qualité est de loin son génie
politique. Stephen Harper est un homme d'une grande intelligence politique. Il
est combattif, aime prendre des risques et ne craint pas d'adopter des
positions politiques en fonction de ses valeurs profondes. Il a une
compréhension fine des enjeux politiques au Canada. Il a très bien compris le
désabusement des gens envers l'État et a aussi compris que les nouveaux
arrivants pouvaient venir gonfler les rangs de celles et ceux qui ne voulaient
plus d'un gouvernement interventionniste dans leurs vies.
Stephen Harper a surtout bien assimilé le fait qu'il ne
pouvait pas devenir premier ministre de ce pays sans un large support, ni se
faire réélire plus d'une fois sans être en mesure de conserver ses appuis et
même de les faire croître. Ceux qui ne font que démoniser Stephen Harper
démonisent le Canada et les Canadiens. Cela démontre seulement leur
mécompréhension du Canada.
Des vents
favorables...
Stephen Harper ne voulait pas qu'être premier ministre du
Canada. Il voulait changer le Canada. Il faut dire qu'il a bénéficié de vents favorables.
Profitant de ceux-ci, il a cherché à apporter des changements profonds dans la
gouvernance canadienne en matière de pratiques du fédéralisme, de politique
extérieure et en matière de justice pénale. Il a aussi voulu remettre à l'ordre
du jour les liens de notre pays avec la monarchie anglaise. Stephen Harper
incarne le politicien le plus opportuniste pour profiter de la nouvelle
conjoncture politique que les politicologues canadiens-anglais, John Ibbitson
et Darrell Bricker, ont baptisé « The
Big Shift ».
Ce « grand virage » du Canada se caractérise selon
ces auteurs par la délocalisation massive de la population canadienne, d'est en
ouest sous l'impulsion d'une immigration massive en provenance de la région
Asie-Pacifique au cours des deux dernières décennies. Ces nouveaux arrivants
sont plus prudents et plus conservateurs que les immigrants européens des 19e
et 20e siècles. Leurs valeurs conservatrices s'unissent à celles de
bien des Canadiens qui veulent moins de gouvernement, un plus petit
gouvernement et qui souhaite le rétablissement de la loi et l'ordre.
Cette nouvelle coalition politique conservatrice est opposée
aux vieilles élites politiques laurentiennes ou si vous préférez du Canada
Central (Québec et Ontario) et elle a le vent dans les voiles en ce moment
grâce à la force du nombre et à la popularité du néo-libéralisme en Occident.
C'est de ce contexte que s'est nourri Stephen Harper pour changer le Canada.
L'agenda de
Stephen Harper
Il ne faut pas se méprendre Stephen Harper est en politique
pour gagner. Il veut être premier ministre pour gouverner et pour changer le
Canada. Stephen Harper déteste les libéraux et l'ordre libéral. Il utilise tous
les moyens à sa disposition pour réduire à néant l'œuvre du « natural
governing party ». Pour lui, l'État canadien doit être démantelé. Le moins
que l'on puisse dire c'est qu'il a joliment réussi à démanteler de larges pans
de l'œuvre libérale des 150 dernières années, incluant les années du
gouvernement de Brian Mulroney, le plus libéral des chefs conservateurs de
l'histoire de ce pays.
Avec Harper, plus de lois pénales, des peines plus lourdes
pour les criminels, moins de culture, moins de Radio-Canada, plus de pétrole,
moins de Kyoto, moins de dépenses, moins d'impôt et surtout moins de respect
des institutions canadiennes.
Durant ses différents mandats, Stephen Harper a démontré un
profond mépris pour nos institutions canadiennes. Que ce soit le Parlement
qu'il traite comme une matière négligeable, le Sénat qu'il ridiculise par son
inaction, les provinces et territoires qu'il refuse de rencontrer en groupe, La
Cour suprême envers laquelle il manifeste régulièrement son irritation et son
désaccord avec ses jugements ou encore Statistiques Canada dont il a réduit
substantiellement les budgets et aboli le recensement long qui permettait de
mieux comprendre les problématiques auxquelles étaient confrontés les citoyens
de ce pays.
Les changements liés à notre politique étrangère sont encore
plus radicaux. Les gouvernements de monsieur Harper ont transformé la politique
de paix et de Casques bleus de Leaster B. Pearson en politique guerrière. Le
Canada est devenu plus belliqueux que les États-Unis dans beaucoup de dossiers
de politique internationale. Qui plus est, nous sommes plus que jamais liés aux
politiques de l'État d'Israël dans la poudrière que représente le Moyen-Orient.
Réélire
Harper?
Curieusement, les Canadiens vont vraisemblablement réélire
Stephen Harper comme premier ministre du Canada avec un gouvernement
minoritaire l'automne prochain. Du point de vue du Québec, cela n'est pas une
nouvelle heureuse. Du point de vue du Canada non plus. Pourtant, profitant de
la nouvelle mouvance conservatrice alimentée par la nouvelle immigration de la
région Asie-Pacifique et d'une concurrence qui a du mal à se définir, Stephen
Harper va peut-être réaliser l'exploit d'être réélu et de devenir ainsi l'une
des grandes figures politiques canadiennes.
Vous aurez compris que je ne suis pas un partisan de Stephen
Harper et de ses politiques. Néanmoins, je me dois de reconnaître comme le
demandait mon ami le génie politique de Stephen Harper. S'il n'est pas pour moi
un grand premier ministre, il est un politicien de talent. Un grand Canadien
qui se dévoue pour son pays. Trop de choses et trop de valeurs nous séparent
pour que nous puissions nous réconcilier. Je trouve cela dommage. Stephen Harper
est un grand chef de coalition politique, mais un mauvais premier ministre. Vraiment.
J'aurais bien aimé pouvoir écrire à l'endroit de ce politicien de génie, mon
ami Stephen... ce n'est malheureusement pas possible n'en déplaise à mon ami du
monde des affaires...
Lectures recommandées :
Darrell
Bricker et John Ibbitson, The Big Shift. The Seismic Change in Canadian Policis, Business and
Culture and What It Means for Our Future, Toronto, Harper Collins
Publishers Ltd, 2013, 256 p.
Julian Castro et Frédérick Boily, Le fédéralisme selon Stephen Harper. La place du Québec dans le Canada
conservateur, Québec, Presses de
l'Université Laval, 2014, 250 p.
Paul Wells, The Longer I'm Prime Minister. Stephen
Harper and Canada 2006-, Toronto, Random House Canada Limited, 2013, 448 p.