La ville de Lac-Mégantic occupe l'avant-scène de l'actualité depuis l'impensable catastrophe qui a soufflé son centre-ville, une grande partie de son histoire et quarante-sept vies humaines. Un gâchis indescriptible.
La recherche d'un coupable...
Il fallait compter sur les médias pour se lancer désespérément à la recherche d'un coupable. Prenant à témoin l'opinion publique, on a avancé les hypothèses des causes de la tragédie avant le résultat des enquêtes, identifier les bons et les méchants et demander des comptes au gouvernement du Canada. Comme c'est malheureusement trop souvent le cas, l'ensemble de l'œuvre médiatique souffre de graves lacunes et fait généralement preuve de raccourcis simplistes.
Bien sûr, il ne fallait pas la tête à Papineau pour identifier la compagnie ferroviaire comme étant la grande responsable. Nous en sommes. Il n'était pas plus difficile de pointer le gouvernement du Canada et Transports Canada pour leur incurie en matière règlementaire. On a même avancé que le chauffeur du train a pu être négligent. Tout cela est vrai. Mais est-ce la véritable cause profonde de cette catastrophe?
La course effrénée vers la croissance : une solution?
Moi je suis d'avis que la plus grande cause à cette catastrophe c'est la course effrénée des États-nations occidentaux et des pays émergents à la croissance économique. Dans une économie mondiale carburant au pétrole, la croissance n'est possible qu'en consommant de gigantesques volumes de pétroles sous toutes ses formes. Pourtant, avec un prix du baril de pétrole brut à plus de 100 $, nous sommes plutôt à l'ère de la décroissance.
La décroissance inévitable...
C'est le point de vue que défend l'ancien économiste en chef de la section des marchés mondiaux de la CIBC, Jeff Rubin, dans un livre qui vient d'être publié aux Éditions Hurtubise. Pour cet auteur, le prix du pétrole n'est pas un symptôme de nos problèmes économiques, mais elle en est plutôt la cause. « La hausse des coûts énergétiques limite la croissance de l'économie mondiale, nos pays ont besoin de l'augmentation du PIB pour rembourser la dette accumulée lors de la dernière récession causée par la flambée du prix du pétrole, mais l'atteinte de cette croissance ramènera les mêmes prix élevés qui ont tué la même croissance au départ ». (p. 25) Un cercle vicieux...
C'est au nom de cette quadrature du cercle que les compagnies pétrolières cherchent désespérément de nouvelles sources d'énergie pétrolières et qu'elles exploitent des gisements dans des sables bitumineux ou dans le schiste. Ce nouvel eldorado a des effets sur les modes de transport qui doivent augmenter leur capacité pour suffire à la demande pour que le coût de l'énergie soit le plus abordable possible. D'où la déréglementation, d'où l'utilisation accrue du train et d'où les débats sur la construction de nouveaux pipelines. Reconnaissez-vous une réalité familière?
S'ouvrir à Gaïa...
Nous avons besoin de pétrole, mais nous avons besoin aussi de repenser le monde dans lequel nous vivons et de relativiser notre poursuite effrénée vers la croissance économique. Il est vrai que cela est ardu puisque pour les économistes, la notion d'un monde sans croissance est pure fiction. Ils croient plutôt que le monde sera sauvé par les innovations technologiques qui viendront surmonter les obstacles liés à la rareté de la ressource.
Pourtant, les humains peuvent imaginer un monde différent sans sacrifier leur humanité et le meilleur d'eux-mêmes en remettant en question nos modes de vie et nos façons de faire. La planète Gaïa en aurait d'ailleurs bien besoin. C'est d'ailleurs une invitation qui nous est régulièrement lancée par nombre d'écologistes et d'environnementalistes. Nous sommes trop souvent sourds à leur discours.
Les catastrophes une nouvelle donnée permanente de nos vies...
Jeff Rubin pose la question : « Combien de catastrophes exceptionnelles qui n'arrivent que tous les cent ans, devrons-nous subir avant de reconnaître qu'elles sont devenues la norme? Et si nous acceptons qu'elles deviennent normales, comment interpréter notre quête incessante pour trouver à tout prix de nouvelles sources d'énergie? » (p. 27) En fait, voulons-nous en payer le prix collectivement de ces catastrophes?
Tant et aussi longtemps que nous ne modifierons pas nos modes de vie et que nous exigerons une croissance annuelle de 3 %, nous sommes condamnés collectivement à vivre du sale pétrole pour notre sacrée croissance...
Tweet de la semaine
«Pour Sartre, l'enfer c'est les autres; pour les habitants de l'Empire romain, c'était les Huns». Bernard Pivot, Les tweets sont des chats, Paris, Albin, Michel, 2013, p.151
Lectures suggérées :
Jeff Rubin, La fin de la croissance, Montréal, Hurtubise, 2013, 373 p.
Jeff Rubin, Demain, un tout petit monde : comment le pétrole entraînera la fin de la mondialisation, Montréal, Hurtubise, 2010, 400 p.
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