La dernière semaine n'a pas été de tout repos pour le ministre de l'Immigration, Simon Jolin-Barrette. Une simple réforme du Programme d'expérience québécoise (PEQ) a suffi pour faire la démonstration de l'improvisation du gouvernement Legault en matière d'immigration.
Devant les cris du cœur des étudiantes et des étudiants que la réforme menaçait d'expulsion et de la charge des partis d'opposition, le gouvernement Legault a dû reculer et revenir sur ses intentions quant à la réforme de ce programme. Voyage au cœur d'un dossier complexe : l'immigration.
Le Québec, une terre d'immigrants
Le Québec est une terre d'immigration. Cela a débuté au début du XVIIe siècle avec les premiers colons venus de France, dont Louis Hébert et sa femme Marie Rollet. Au moment de la défaite du Québec lors de la cession du territoire du Québec par la France à l'Angleterre, le Québec était peuplé de 70 000 colons français. Puis, à la fin du XVIIIe siècle, l'immigration de la Province de Québec était étroitement contrôlée par les autorités britanniques qui cherchaient à assimiler la « race » des Canayens aux Britanniques. Au moment de la guerre d'indépendance américaine, les autorités britanniques ont fortement incité les loyalistes à venir s'établir chez nous entre autres dans les Cantons de l'Est d'aujourd'hui. Par ailleurs, des mercenaires allemands qui ont combattu les Américains favorables à l'indépendance se sont également établis chez nous.
Puis au XIXe siècle, il y a aussi eu l'arrivée de nombreux Écossais et Irlandais. Juste pour illustrer ce point de vue, en 1860, à Québec, les Irlandais occupent le deuxième rang dans la population après les Québécois d'origine française. Sur les 58 319 habitants de Québec, les Irlandais comptaient 13 358 personnes, soit 23 % de toute la population de la ville de Québec. http://grandquebec.com/400-anniversaire/archives-de-quebec-2008/episodes-historiques/immigration-au-quebec/
Puis le vingtième siècle verra le Canada accueillir de nombreuses communautés qui se sont installées souvent à Montréal soit des Britanniques, des Irlandais, des Italiens, des Polonais, des Portugais, des Ukrainiens et dans une moindre mesure des Français. À cette époque l'immigration était de la responsabilité du gouvernement fédéral.
Dans la foulée de la modernisation de l'État québécois durant les années soixante, le Gouvernement du Québec revendique le droit de choisir ses immigrants. En 1965, le service d'immigration est créé, puis en 1968, ce sera la création du ministère de l'Immigration. À partir de 1978, il y aura la signature de l'entente Cullen-Couture, renouvelée par l'entente MacDougall-Gagnon-Tremblay dans le sillon de l'échec de l'Accord du lac Meech. Grâce à ces ententes, le Québec peut choisir ses immigrants selon ses critères propres liés à un système de points d'appréciation établi par Québec.
Malgré une plus grande prise du gouvernement du Québec sur cette question, le dossier de l'immigration demeure une question sensible pour le nationalisme québécois. Le Québec est pris dans une tension entre son désir d'ouverture et son désir de pérennité. Il y a toujours des craintes d'être submergés en nombre en lien avec la politique de multiculturalisme du Canada. Outre cette tension typique d'un système fédéral, le Québec doit s'adapter à une vague d'immigration internationale qui le rend plus cosmopolite. Les immigrants ne viennent plus seulement d'Europe, mais de tous les continents notamment du Maghreb, ce qui provoque une collision entre le catholicisme et la religion musulmane surtout avec les éléments les plus prosélytes. Cela mènera à la crise des accommodements raisonnables et à l'émergence d'une crise identitaire qui est fondée plus sur des préjugés de la majorité que sur des faits. C'est le contexte dans lequel le gouvernement de la CAQ de François Legault a été élu en s'engageant à accueillir moins d'immigrants, mais en en prenant plus soin.
La réalité de l'immigration
L'une des difficultés en matière d'immigration est que la très grande majorité des immigrants s'installe à Montréal dans des quartiers devenus des ghettos dans certains cas et qu'ils s'intègrent mal à la collectivité québécoise majoritairement francophone. Quand le gouvernement de la CAQ parle de la nécessité d'une meilleure intégration, il évoque de façon sibylline la difficile coexistence des francophones avec la frange radicale de la religion musulmane qui pratique en quelque sorte une variante du Djihad.
D'autre part, le nationalisme de type identitaire qui est foncièrement conservateur se retranche derrière une rhétorique de survie de la nation québécoise. On peut prendre la mesure de ce type de discours dans l'essai publié récemment par Jacques Houle aux Éditions Liber intitulé ; Disparaître ? Afflux migratoire et avenir du Québec. Dans cet essai, l'auteur manifeste son inquiétude quant au maintien d'une majorité d'ascendance canadienne-française dans le Québec de demain devant l'afflux d'immigrants. L'auteur affirme que jusqu'aux années 1990, cette majorité s'est maintenue, mais il craint que le faible taux de natalité conjugué au phénomène du vieillissement de la population mène à un scénario catastrophe où les Canadiens français pourraient se retrouver minoritaires sur l'île de Montréal.
Pour lui, si rien n'est fait on se dirige vers un suicide collectif. Il voit aussi un complot de l'État fédéral multiculturalisme qui ne cesse de hausser ses seuils d'immigration afin d'assimiler le Québec français. Une thèse d'un nationalisme conservateur prônant une vision pessimiste de l'avenir. (Jacques Houle, Disparaître. Afflux migratoires et avenir du Québec, Préface de Mathieu Bock-Côté, Montréal, Liber, 2019, 141 p.)
Le cafouillage de la CAQ
Avec une telle toile de fond, il n'est guère étonnant que le gouvernement de la Coalition avenir Québec cafouille dans ce dossier comme l'a démontré la tentative du ministre de l'Immigration Simon Jolin-Barette de réformer le Programme d'expérience québécoise pour les étudiants. Une réforme mal préparée et mal vendue. D'ailleurs, l'immigration est le talon d'Achille de ce gouvernement. Il s'agit pour s'en convaincre de rappeler les difficultés de François Legault lors de la dernière campagne électorale sur cette question et le dossier des 18 000 dossiers jetés à la poubelle que la Cour a obligé le gouvernement à refaire ses devoirs.
Si la CAQ éprouve de la difficulté avec ce dossier, c'est qu'elle ne joue pas franc jeu sur cette question. Pour qui connaît tant soit peu ce dossier, il tombe sous le sens que c'est l'idéologie nationaliste conservatrice du gouvernement qui constitue le caillou dans son soulier. Empruntant la voie d'un discours populiste pour plaire à une majorité francophone inquiète, le gouvernement n'aide pas la population à mieux comprendre nos politiques d'immigration. Il a pris le parti de dire ce que les gens veulent entendre plutôt que de rappeler les principes pour lesquels nous devrions avoir une attitude généreuse envers l'immigration et les nouveaux arrivants. À commencer par le fait que si le Québec n'accueille pas en intégrant les nouveaux arrivants, notre poids démographique va diminuer au Canada et nous risquons aussi de disparaître comme force politique significative dans ce pays.
D'autre part, notre richesse collective, notre solidarité avec les peuples de la terre et notre humanité devraient nous amener à adopter des politiques généreuses en matière d'immigration. Pour cela, il faudrait en débattre sereinement et cesser de voir les immigrants à venir comme un des éléments de nos forces productives. Derrière chaque immigrant, il y a une histoire humaine. Chose certaine, le discours actuel du gouvernement Legault sur l'immigration n'est pas adapté à l'ampleur du défi auquel le Québec devra faire face dans l'avenir. On peut souhaiter que le gouvernement trouve des enseignements dans son cafouillage de la dernière semaine sans quoi l'immigration continuera de diviser la population et on sera toujours devant le fouillis de l'immigration.