Je ne sais pas comment c'est pour vous, mais j'ai un profond
attachement à ce mot simple qui décrit notre territoire et les gens qui
l'habitent. Le Québec. Terre de mes ancêtres, lieu de ma vie et aussi, lieu où,
selon ce qui me semble prévisible, se déploiera l'avenir de mes enfants et de
mes petits-enfants. En ce temps de pandémie et de questionnement de nos
certitudes d'hier, il faut garder à l'esprit que rien ne sera plus comme avant
et qu'il faudra collectivement se réinventer et réapprendre à faire société
tous ensemble. Réflexions libres sur l'ordinaire de nos vies.
Un monde qui s'efface...
Les faits de l'actualité nous le rappellent quotidiennement.
Le monde d'hier n'est plus. Un nouveau s'offre à nous, mais il faut nous y
adapter. Il n'y a pas si longtemps, nous avions des certitudes et des balises
claires tracées dans le sillon des enseignements de l'Église catholique
romaine. On nous disait comment vivre, on nous indiquait le nombre d'enfants
que nous devions avoir et surtout que les discriminations et les offenses que
nous vivions étaient la volonté de Dieu. Il fallait, disait-on, apprendre à
vivre avec les difficultés mises sur notre chemin par la volonté divine et,
qu'au jour béni, celui où nous irons rejoindre Dieu dans sa maison, nous en
serions guéris. Cette épiphanie a été reléguée aux oubliettes dans la foulée de
Vatican 2 et de la Révolution tranquille.
Cela fut remplacé par une forme de modernité
par laquelle l'État devenait le nouveau temple de notre libération collective.
Dans cette formidable éruption du Politique dans notre vie collective qui a
pris la forme d'une révolution tranquille, des pas de géants furent accomplis
vers l'amélioration des conditions de vie de la population. Les discriminations
que nous avions vécues en tant que Québécois francophones ont été lentement
mais sûrement atténuées bien qu'il en reste encore des traces aujourd'hui dans
la gouvernance canadienne. Puis, il y eut ce grand projet de faire du Québec un
pays. Projet qui n'a jamais su rallier quoique l'on en dise une majorité
franche de Québécois francophones. Ce projet de pays, qui est toujours vivant
dans une frange minoritaire et vocale du Québec d'aujourd'hui, n'a toujours pas
abouti.
Il risque de tarder à advenir devant la désaffection de plus
en plus large envers le Politique et le scepticisme ambiant envers la
démocratie et la politique. À ces difficultés que l'on peut qualifier
d'habituelles dans les démocraties libérales, il y a l'apparition de nouvelles
formes de revendications qui, dans un contexte de disparition des récits
collectifs nationaux viennent mettre à mal cette volonté de certains de faire
société autour de la figure de la nation.
Les discriminations intolérables
On se plaît à dire que les Québécoises et Québécois sont des
gens affables et généreux et qu'ils sont dépourvus d'ADN guerrier. Cela peut sembler
vrai puisque nous avons longtemps joué dans le registre de victime. Nous avons
appris à fléchir la tête pour se soustraire au vent plutôt que de l'affronter.
Ce qui ne signifie pas que cela n'est pas en train de changer. Vérité toute
simple à se dire, le Québec contrairement à ce que certains ont voulu faire
croire n'est pas un peuple élu, il vit comme société les mêmes déchirements et
les mêmes débats que les autres sociétés. Par exemple, le racisme systémique
dévoilé dans l'affaire Joyce Echaquan à Joliette est une blessure pour la
fierté québécoise. Nous, un peuple pacifique et ami des Amérindiens, comme le
raconte certains historiens, avons parmi nous des gens qui méprisent d'autres
êtres humains en s'appuyant sur leur différence.
Nous refusons aussi de voir que nous sommes fermés à
d'autres différences comme la couleur de peau et la religion. Je sais, vous
n'êtes pas raciste, mais vous n'en pensez pas moins que certaines religions
sont incompatibles avec nos valeurs comme la foi musulmane par exemple. Vous
n'avez aucun problème avec les gens de couleur, mais vous n'en pensez pas moins
que ces gens sont différents de nous. Dans tous les cas, ces gens sont moins
présents sur nos écrans, dans notre vie et dans nos entreprises. Il y
a bien sûr des exceptions qui font la preuve de notre bonne âme, les Boucar
Diouf, Rachid Badouri, Dany Laferrière, Mariana Mazza, Mehdi Bussadin ou
Normand Brathwaite. Cela devrait être la preuve que le Québec est exempt de la
présence d'un racisme que d'aucuns appellent systémique.
Que dire des atrocités commises par l'un de nous comme le
drame de Polytechnique, celui de la Mosquée de Québec et récemment l'homme au
sabre du Vieux-Québec ? Cela révèle dans une lumière crue que le Québec n'est
pas exempt de fous de toute sorte et même de parents indignes qui martyrisent
leurs enfants comme l'indiquent les cas portés à notre attention par les médias
à Granby.
Convenons que le Québec en dépit de ses grandes qualités est
un lieu de vie ordinaire qui partage la folie de son époque. Nous ne sommes pas
un peuple élu et nous n'avons pas de destinée manifeste comme notre voisin du
Sud. Comme le chantait Robert Charlebois, nous sommes ordinaires.
Accepter et changer...
Si nous ouvrons notre esprit à l'idée que des réalités
présentées comme des vérités n'en étaient pas, nous pourrons alors entreprendre
notre long chemin de la reconquête de nous-mêmes dans un nouveau dialogue avec
celles et ceux qui sont différents de nous et qui refusent de faire leurs notre
pensée prêt-à-porter.
Reconnaître que le Québec a été l'objet du colonialisme
britannique qui porte en son germe des phénomènes comme le racisme, la
violence, les injustices économiques et la misogynie serait un bon point de
départ. Savoir que les relents de ce colonialisme ont pu s'infiltrer dans nos
lois, nos coutumes et nos consciences sont aussi des prolégomènes indépassables.
Dire cela, reconnaître ces faits historiques ne font pas de nous, du Québec,
une terre moins accueillante, ni moins fréquentable.
Reconnaître et comprendre d'où nous venons et où l'on veut
aller est la condition sine qua none d'une reconstruction d'un Québec
qui pourra se guérir de son passé. Les premiers d'entre nous à en bénéficier
seront les convaincus du projet de pays. On ne peut construire un pays
véritable sans auparavant vaincre le refoulé de notre politique avilie par tant
d'années de turpitudes et d'errements. Nous devons revisiter nos certitudes.
Ouvrir le dialogue avec nos sœurs et nos frères du Québec et du Canada et
chercher à trouver une voie d'avenir pour toutes et tous. La pandémie actuelle
peut être propice au renouvellement de nos pensées et de nos façons de faire.
Il faut nous relever tous ensemble et faire société à nouveau pour répondre à
la problématique d'un Québec blessé...