Les historiens sont à l'œuvre. De nombreux débats et de nouvelles interprétations de l'histoire du Québec s'affrontent pour se remémorer l'histoire récente du Québec. Le régime de Maurice Duplessis fut-il aussi noir que le laisse croire l'expression de « grande noirceur » qu'on lui rattache? La période qui a suivi celle de la prétendue « Révolution tranquille » fut-elle aussi exceptionnelle que ce que l'on en raconte? Aujourd'hui comme hier, l'histoire sert de rempart à nos débats politiques d'aujourd'hui. La décision récente du ministre adéquiste-libéral, Sébastien Proulx, de retarder l'entrée en vigueur du nouveau programme d'histoire dans nos écoles en témoigne bien.
L'histoire du Québec est-elle une suite d'événements qui font la preuve que la « nation québécoise » a été victime des Anglais et du pouvoir fédéral? L'histoire du Québec peut-elle être appelée à la barre des témoins du tribunal de l'histoire pour faire la preuve que le Québec est l'État de l'inachèvement, d'un rendez-vous manqué avec son destin? Sur au moins une question, on peut répondre affirmativement, celle de l'inachèvement de la pensée réformiste libérale en matière de la réforme de nos institutions et de la démocratie. Nous avons laissé en plan l'œuvre la plus importante qu'ont voulu léguer au Québec Robert Burns et René Lévesque, soit la réforme des institutions démocratiques du Québec.
Se rappeler Robert Burns...
La course au leadership du Parti québécois constitue selon moi un bon moment pour rappeler l'œuvre inachevée de Robert Burns. Tant Alexandre Cloutier que Véronique Hivon, les deux candidats au leadership de la nouvelle génération, aiment bien se draper dans les vertus de faire de la politique autrement. Ils auraient matière à réfléchir à un programme politique novateur s'ils se donnaient la peine de se rappeler l'œuvre inachevée de Robert Burns. L'un des leurs.
C'est à André Larocque, un ancien adjoint de Robert Burns, que nous devons un livre qui nous rafraichit la mémoire sur les réformes importantes entreprises par le ministre de la démocratie citoyenne que fut Robert Burns dans le gouvernement de René Lévesque de 1976. Robert Burns, un syndicaliste de la CSN et un juriste à l'origine, a cherché à réformer de fond en comble les institutions démocratiques du Québec. Si à bien des égards, Robert Burns a réussi à changer les choses notamment la loi sur le financement des partis politiques, la réforme de la carte électorale, la loi de consultation populaire sur les référendums, la télédiffusion des débats parlementaires et la loi d'accès à l'information, il a échoué à réformer le mode de scrutin et à doter le Québec de sa propre constitution. L'œuvre de Robert Burns a été gigantesque, mais elle est restée inachevée...
Redonner le pouvoir au peuple
Robert Burns et René Lévesque étaient des démocrates. De vrais démocrates qui croyaient au peuple et à son jugement. C'est pourquoi René Lévesque avait confié à Robert Burns le mandat de réformer la démocratie au Québec. Derrière cette volonté, il y avait la conviction profondément partagée par les deux hommes qu'il fallait redonner le pouvoir aux citoyens et de sortir ce pouvoir des mains des partis politiques et de ses apparatchiks. Après toutes ces années, il est clair que le principal obstacle à une réforme en profondeur de nos institutions démocratiques a été l'attitude profondément conservatrice des partis politiques. Ainsi, si le Québec n'a jamais connu de réformes du mode de scrutin, c'est parce que les partis politiques une fois au pouvoir n'y voyaient pas l'intérêt de le changer. Tout cela pour protéger sa capacité de prendre ou de conserver le pouvoir : le Graal ultime de la politique avec un petit p ou un grand P. Si notre Assemblée nationale n'a jamais adopté de loi permettant le rappel d'un député ou d'un gouvernement, c'est aussi pour protéger les intérêts des partis. André Larocque l'écrit et je suis d'accord avec lui : « dans le régime politique qui a été instauré au Québec, le pouvoir populaire a été usurpé par le système des partis politiques » (André Larocque, Robert Burns, Le ministre de la démocratie citoyenne, Paroisse Notre-Dame-des-Neiges, Éditions Trois-Pistoles, 2016, p. 162). Le temps est venu, je crois, de redonner le pouvoir au peuple. La première souveraineté que l'on doit conquérir c'est bien celle de reprendre le pouvoir sur nos institutions et sur notre vie démocratique. La vraie souveraineté c'est celle-là. Elle est au moins un préalable essentiel à la souveraineté du Québec.
Redonner la foi dans nos institutions démocratiques
C'est clair. Nous n'avons plus foi en nos institutions et en notre vie démocratique. Nous avons perdu confiance en nos institutions ainsi qu'en nos femmes et nos hommes politiques. Le contexte de globalisation, la montée effrénée de l'ogre néo-libéral et la poussée des nouvelles technologies de l'information ne font qu'amplifier le phénomène du désinvestissement des citoyennes et des citoyens dans un « vouloir-vivre ensemble ». Un monde commun partagé.
Qui plus est, la spectacularisation du monde vécu, la société du spectacle et l'individualisme à outrance nourrie par une consommation effrénée de produits inutiles et par la poursuite du bonheur sous les auspices du Dieu-argent sont les causes de ce cancer généralisé de notre vie démocratique. Il faut nous réinvestir dans notre vie démocratique. Il faut réenchanter notre vie commune et collective. Certains cherchent à réconcilier ce déficit de solidarité commune par les religions. D'autres préfèrent, comme moi, croire à un meilleur monde possible par la réforme économique et démocratique de notre société. C'est là une tâche qui devrait revenir à tous les partis politiques. À fortiori celle du Parti québécois qui est l'héritier naturel de René Lévesque et de Robert Burns. Il faut achever l'œuvre de la Révolution tranquille.
Nous devons doter le Québec de sa propre constitution, réaffirmer la laïcité comme ciment social, réformer le mode de scrutin, changer les rapports entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, repenser le financement des partis politiques par les citoyens plutôt que par l'État, redonner plus de transparence à nos institutions et surtout permettre aux citoyennes et aux citoyens de se réinvestir dans la vie démocratique commune. Il faut achever la Révolution tranquille. Bref, il faut finir le travail de René Lévesque et de Robert Burns...
Lectures recommandées :
André Larocque, Robert Burns, Le ministre de la démocratie citoyenne. Préface de Léo Bureau-Blouin et Postface de Claude Béland, Paroisse Notre-Dame-des-Neiges, Éditions Trois-Pistoles, 2016, 224 p.
Marcel Gauchet, La démocratie contre elle-même, Coll : « Tel », Paris, Gallimard, 202, 385 p.