Peuple et populisme sont des mots qui ont la côte dans l'univers politique. Partout en Europe, aux États-Unis et même chez nous au Québec et au Canada. On affirme à raison que nous assistons à la montée du populisme partout dans le monde des démocraties occidentales. Ce n'est pas les facéties du président de notre voisin du sud qui vont nous convaincre du contraire. Nous cherchons tous à en déterminer les causes.
L'ancien premier ministre du Canada, Stephen Harper vient de publier un livre qui cherche à faire le point sur la question et à nous donner des recettes pour que la maladie du populisme n'atteigne pas les terres canadiennes. Plongée dans le monde complexe du populisme.
La montée du populisme
Dans son numéro de novembre 2018, le Nouveau Magazine Littéraire a consacré sa première page et toute une section à ce phénomène sous le titre accrocheur : Les menteurs. Les populistes prennent le devant de la scène en construisant un monde où le simplisme de l'argumentation est la caractéristique principale de leur discours. Un discours qui se fonde sur la théorie du complot, la construction de vérités alternatives qui disent faire contrepoids à la désinformation massive des gouvernants représentants les élites qui sont bien sûr contre le bon peuple. Ces populistes à l'image de Donald Trump aux États-Unis se moquent d'être pris en flagrant délit de mensonges puisque ce sont des « menteurs patentés » qui les accusent. Des menteurs inféodés aux élites du pouvoir et au monde des médias.
Il est vrai que les démocraties ont failli à la tâche d'endiguer ce phénomène à ses origines. Trop souvent, nous avons renoncé à opposer à ces fabulateurs autre chose que la raison d'État ou la logique de l'argent roi. Nous avons négligé de prendre soin des laissés pour compte de la mondialisation, des traités de libre-échange. Nous avons bien souvent laissé en plan les inquiétudes légitimes de la population devant des phénomènes comme l'immigration ou le chevauchement des valeurs de la société d'accueil avec celles de ceux qui arrivaient. La table était donc mise pour que ce populisme prolifère et vienne gangréner notre vie démocratique. Nous avons tous une responsabilité devant la montée du populisme. La plus importante d'entre toutes, c'est de nous retrouver tous ensemble autour de nos valeurs communes et de remettre à l'ordre du jour de notre vie démocratique, le « nous » québécois fondateur de notre nation ouverte et inclusive.
Rompre avec le cynisme et l'indifférence
Albert Camus, auteur que je cite régulièrement dans mes chroniques, a écrit que : « La liberté consiste d'abord à ne pas mentir. Là où le mensonge prolifère, la tyrannie s'annonce ou se perpétue. » Albert Camus, « Discours de Suède, Conférence du 14 décembre 1957 », La Pléiade, tome IV, Paris, Gallimard, p. 247-265.
Il avait bien raison, Albert Camus. Nous le constatons tous les jours chez notre voisin du sud ce que peut faire comme ravage le mensonge érigé en système sur la santé démocratique des États-Unis, sur la promotion et la défense de valeurs comme la liberté d'expression, le droit à la différence, le droit des personnes racisées. La tyrannie s'installe tout doucement et les libertés reculent. De quoi pouvons-nous attendre dans une société de marchands ? Camus a aussi pourfendu cette société de marchands : « La société de marchands peut se définir comme une société où les choses disparaissent au profit des signes.
Quand une classe dirigeante mesure ses fortunes non plus à l'arpent de terre ni au lingot d'or, mais au nombre de chiffres correspondant idéalement à un certain nombre d'opérations d'échange, elle se voue de même coup à mettre une certaine sorte de mystification au centre de son expérience et de son univers. Une société fondée sur des signes est, dans son essence, une société artificielle où la vérité charnelle de l'homme se trouve mystifiée. On ne s'étonnera pas alors que cette société ait choisi, pour en faire sa religion, une morale de principes formels, et qu'elle écrive les mots de liberté et d'égalité aussi bien sur ses prisons que sur ses temples financiers. Cependant, on ne prostitue pas impunément les mots. La valeur la plus calomniée aujourd'hui est certainement la valeur de la liberté. » (Albert Camus, Ibid. p. 250-251).
Je fais totalement miens les mots d'Albert Camus. Nous vivons dans une société de marchands qui a cultivé chez nous tous un individualisme aliénant où la fuite dans les biens de consommation éphémères et la mise en spectacle de ces individualités brisent le lien social du nous fondateur de notre identité commune.
Que faire alors ?
De nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer la montée du populisme, le décrier, mais souvent ces mêmes personnes n'hésitent pas à faire preuve eux-mêmes de populisme pour marquer des points politiques. L'exemple des ténors de Québec solidaire est probant pour illustrer cette affirmation. Cette jeune formation politique n'en a pas cependant le monopole. On retrouve à des degrés divers cette tentation du populisme dans toutes les formations politiques.
L'ancien premier ministre Stephen Harper a publié récemment un livre sur le sujet aux Éditions McLelland & Stewart intitulé: Right Here, Right Now: Politics and Leadership in the Age of Disruption dans lequel il affirme qu'il est nécessaire que les gouvernements soient à l'écoute des insatisfactions de la population et d'adapter leurs politiques pour éviter que des positions extrêmes prennent le pas sur les positions plus conformes aux désirs d'une majorité des populations concernées.
Stephen Harper estime légitimes les insatisfactions des citoyennes et des citoyens. Il s'inquiète de la montée des médias informels par rapport aux médias plus traditionnels. Il pense que le fait que l'on assiste dans un même mouvement à la montée des populistes et au déclin des médias traditionnels n'est pas une coïncidence. Les médias non traditionnels facilitent la prolifération des théories du complot, des mensonges et des réalités alternatives. La bataille pour une presse libre et forte constitue donc l'un des moyens pour contrer la montée du populisme.
Il faut aussi en finir avec le cynisme et la désaffection envers la chose politique. La politique est le lieu par excellence pour forger nos consensus et nos valeurs communes. Il faudrait en prendre soin.
Camus, en guise de mot de la fin
Pour terminer cette chronique, je vous laisse avec une autre citation Albert Camus : « Les grandes idées... viennent dans le monde sur des pattes de colombe. Peut-être alors, si nous prêtions l'oreille, entendrions-nous au milieu du vacarme des empires et des nations, comme un faible bruit d'ailes, le doux remue-ménage de la vie et de l'espoir. Les uns diront que cet espoir est porté par un peuple, d'autres par un homme. Je crois qu'il est au contraire suscité, ranimé, entretenu, par des millions de solitaires dont les actions et les œuvres, chaque jour, nient les frontières et les plus grossières apparences de l'histoire, pour faire resplendir fugitivement la vérité toujours menacée que chacun, sur ses souffrances et ses joies, élève pour tous. » (Albert Camus, Ibid. p. 265).
Combattre pour la liberté, pour nos valeurs, pour toutes ces individualités dans un « nous rassemblé » est notre responsabilité collective. C'est à la tâche à laquelle nous a conviés la semaine dernière le nouveau premier ministre du Québec, François Legault, lors de son discours inaugural. Saurons-nous entendre ces voix positives qui refusent de baisser les bras et de renoncer à changer notre monde. Les défis sont nombreux. Les difficultés incommensurables. Le jeu en vaut cependant la chandelle. Refusons de voir le peuple instrumentalisé...