Le début de l'année ne fait pas exception à la règle. Si certains croyaient que le début d'une nouvelle décennie promettrait des jours plus heureux, les événements des derniers jours en Iran les ont détrompés.
La décision du président américain Donald Trump d'assassiner ce qui ressemble à un criminel de guerre, le général Qassem Soleimani. Personnage central dans la volonté iranienne d'accroître son rayonnement au Moyen-Orient et adversaire des États-Unis d'Amérique, ce personnage méritait de comparaître devant un tribunal international pour répondre de ses gestes. Les choses étant ce qu'elles sont, le président Trump a choisi la voie spectaculaire de l'assassinat sélectif avec un drone pour régler le cas Soleimani. Cela lui permettait de régler le problème iranien tout en détournant l'attention aux États-Unis sur son procès en destitution.
Les sparages de Trump ne nous étonnent plus, mais cette fois cela a des conséquences dans nos vies. Outre le danger et les tensions d'une nouvelle guerre, cela a vraisemblablement eu pour conséquence de voir un avion civil se faire abattre par un missile sol-air iranien tuant de nombreux citoyens canadiens. Justin Trudeau commence son année 2020 avec un dossier épineux au cœur de l'irresponsabilité de la politique étrangère de Donald Trump. Tentative de réflexion sur un sujet lourd de conséquences pour l'avenir de la sécurité du monde contemporain.
Faire diversion
Il n'y a pas de doute à l'esprit, le moment choisi par le président Donald Trump pour assassiner Soleimani est lié de près au procès de destitution mené par la chambre démocrate. Le choix des démocrates d'aller de l'avant avec ce procès même si cela peut être justifié par les faits est discutable. Cela pourrait bien favoriser contre toutes leurs attentes la réélection de ce président. Mais on connaît bien aujourd'hui le modus operandi du président Trump quand une crise survient, il en provoque une plus grande pour changer la conversation dans les médias. Cela rappelle le film de Barry Levinson produit en 1997 intitulé Wag the Dog et traduit par des hommes d'influence. La comédie mettant en vedette Robert De Niro, Dustin Hoffman et Anne Heche, est adaptée du roman American Hero de l'auteur américain Larry Beinhart. Ce film raconte l'histoire d'un président qui est accusé d'agression sexuelle par une jeune femme à deux semaines des élections présidentielles. Pour ne pas risquer la non-réélection, Conrad Brean est chargé par la conseillère particulière Winifred Ames de trouver une solution.
Le président reste prétendument malade en Chine, tandis que Brean et Ames convainquent le richissime producteur Stanley Motss de « fabriquer » une guerre contre l'Albanie. La rumeur d'une valise explosive au Canada, une chanson de soutien créée par Johnny Dean, l'aide du scénariste Fad King, et le pseudo-reportage sur une jeune fille dans un village albanais bombardé, permettent de détourner l'attention des médias. Seule la CIA ne croit pas à cette histoire... Aussitôt rentré de Chine, le président déclare le conflit terminé, au grand dam de Motss, qui lance un acte 2 : abandonné comme une « vieille godasse », le sergent William Schumann est resté aux mains des dissidents albanais. Une chanson, des produits dérivés, et quelques vieilles chaussures suspendues captent de nouveau l'attention du public. Hélas, le sergent « enfin libéré » que leur confient les autorités militaires est un psychopathe. Après l'accident de leur avion en rase campagne, le prisonnier - qui tente de commettre un viol - est abattu par un paysan. Le « héros de guerre » de l'unité 303 est donc ramené dans un cercueil avec les honneurs militaires. Avide de reconnaissance, Motss veut clamer la vérité malgré les accords de secret total. Sur un signe de Brean, le producteur succombera à une crise cardiaque.
Un film d'un cynisme convenu sur la politique et la manipulation des médias. Justement, les médias sont le deuxième élément de la recette de Trump pour divertir l'attention des gens. Il les connaît bien ces fake media ce président...
Les médias aiment les guerres
Les médias sont attirés par les guerres et les médias les aiment parce que dans un conflit tout prend une dimension nouvelle. Outre cela, les conflits génèrent des images dramatiques qui parlent d'elles-mêmes et qui font appel à l'émotion des téléspectateurs. Rien de mieux pour gonfler les cotes d'écoute et garnir les coffres du département de publicité.
Dans les conflits, il y a d'abord une histoire. L'histoire d'un affrontement entre pays, factions armées ou encore entre des valeurs. Collision frontale des valeurs et des histoires créent un intérêt humain et parfois des tragédies comme cet avion abattu par un missile iranien. Des dizaines d'histoires individuelles seront ainsi portées à l'attention des Canadiennes et des Canadiens. Dans de telles situations, les médias peuvent montrer le meilleur et le pire de la nature humaine. Puis, un conflit permet aux démocraties occidentales de se conforter dans le rôle du bon gendarme du monde. Après tout, nous défendons la liberté, la vérité et un monde plus juste sans pauvres et sans guerres. Telles sont les aprioris derrière nos reportages et nos commentaires.
Par ailleurs, cela permet aux reporters internationaux d'occuper un espace qui n'est pas si évident durant le reste de l'année. L'intérêt des Canadiennes et des Canadiens pour la politique étrangère de leur gouvernement, sauf en matière économique avec notre voisin américain, est ridiculement bas.
L'aptitude des médias à dramatiser les événements et à donner à un conflit un retentissement mondial contraint les responsables politiques à prendre des décisions dans des délais et avec un temps de réflexion plus courts que jamais auparavant dans l'histoire de l'humanité. Ainsi, la probabilité que la décision prise soit la mauvaise augmente. Étant donné que dans les démocraties libérales actuelles, l'usage de la force est perçu comme l'option que les gouvernements doivent choisir en toute dernière extrémité et que les conflits sont rares, même les guerres justes ne se justifient pas d'elles-mêmes. Elles doivent être vendues à l'opinion publique, beaucoup plus que les guerres de conquête impériales du passé. Les interventions humanitaires sont davantage sujettes à controverse et l'opinion publique - sans parler de la presse - est plus critique. Dans les conflits actuels, les dirigeants politiques passent presque plus de temps à expliquer ou à justifier un conflit auprès de leur opinion publique et des médias qu'à réellement diriger les opérations.
Les médias ont donc un rôle majeur dans les conflits comme celui qui oppose les États-Unis à l'Iran et c'est par une connaissance intime de leur fonctionnement que Donald Trump peut leur faire battre la marche sur sa musique.
Et le Canada dans tout cela...
Dans cet événement, le Canada et Justin Trudeau ont le mauvais rôle, celui de pleurer les victimes avec les familles et de marcher sur des œufs pour ne pas incommoder la brute américaine qui a décidé de jouer aux matamores pour divertir l'attention de ses problèmes politiques intérieurs. Je l'ai déjà écrit, le Canada n'a pas de politique étrangère autonome de celle ces Américains. Nos intérêts économiques nous dictent notre comportement en matière de politique étrangère. C'est pourquoi nous sommes en ce moment dans l'œil de l'ouragan américain et voués à une forme d'impuissance frustrante devant la folie guerrière de Trump...