Chronique télé 1 : « Pimp ma vie! »
« Pimp mon garage », « Pimp mon char »,
pimp-moi donc, tant qu'à y être!
Jean Airoldi y a déjà pensé...
Définition
de « pimp » : to make better, to fix
up. Améliorer, réparer.
Le principe est simple. Une équipe de tournage,
designer en tête, débarque chez vous, vous chasse de l'endroit et décide de ce
qui est bon pour votre garage. Ou votre char. Ou vous-même, dans le plus bas des
cas. L'idée, c'est que la télé débarque chez les gens et provoque un petit
miracle. L'équipe télé, c'est le bien qui débarque. Qui sait ce qui est bon
pour toi. Une télé humaine au point où les larmes coulent et les câlins
affluent quand le principal intéressé revient chez lui et voit son char, son
garage ou sa femme.
Tout a été refait au goût du jour dans un
contexte qui se réclame de la grandeur d'âme, du "donner au suivant",
de la générosité incroyable des gens.
La télé distribue des leçons de vie à tour de
bras.
Émouvant.
Troublant, surtout. Troublant de constater que
les cotes d'écoute se maintiennent au point d'intéresser des annonceurs.
« Après la pause et après avoir
« pimpé » le corps de Louise (qui, maintenant, sera heureuse, belle,
attirante, populaire et tout), on vous montrera des gens qui hésitent entre
acheter une nouvelle maison ou rénover la leur. On verra des petits couples
s'obstiner faussement sur le trottoir pendant qu'invariablement, la madame
chargée de rénover rencontrera des problèmes de construction et que l'agent
d'immeubles montrera plein de maisons qui ne cadrent pas du tout avec les
besoins. Jusqu'à ce que le couple se décide et que les animateurs trinquent,
verre de Martini à la main.
Notre télé est pleine de ces émissions poches,
mal traduites et, au final, tellement inutiles. « Moi, j'écoute ça pour
les idées de déco ». Je voudrais bien le croire. Je privilégie l'hypothèse
qu'on regarde ça en se disant qu'un jour, ce serait hot que quelqu'un
« pimp » nos vies par magie et qu'il fasse jaillir le bonheur de
toutes les parcelles de notre corps!
Quand l'équipe de tournage de « Pimp mon
garage » débarque, c'est invariablement le bordel dans le dit garage.
Épouvantable. Quelques jours après, place à la table de pool, le petit bar, la
télé 60 pouces, le coin mécanique, l'atelier de monsieur et tout. Revenez dans
un an. Le bordel sera de retour et recouvrira de toutes sortes de cochonneries
le bonheur si savamment construit par
une équipe si savamment compétente.
La mission que semble s'être donnée la télé des
années 2010 et plus, c'est de « pimper » nos vies. De nous scotcher à
l'écran et faire miroiter que la téléréalité est de la bonne télé qui met en
vedette une vraie réalité.
Sur télé 60 pouces full HD bien appuyée par un
système de son ambiophonique (le tout pour 72 paiements faciles), la vie des
autres prend en otage la nôtre, le temps de mettre en valeur des commanditaires
qui souhaitent quand vous faire réagir assez pour acheter leurs produits.
Les publicités des diffuseurs vendent l'idée
que nous sommes maîtres parmi des centaines de chaînes. Et tout est fait pour
que la programmation programme, justement, la main du spectateur et le guide
sur la super zappette. La vie n'est pas la télé. Et la télé n'est pas la vie.
Mais elle est agace au point de nous le faire croire.
La télé devient intelligente. Comme nos
téléphones. Des fois, je me demande si cette intelligence ne nous est pas
empruntée directement...
Clin d'œil de la semaine
On regardait la télé. Maintenant, c'est la télé
qui nous regarde...