À l'occasion de la Semaine de la santé mentale, Virage Santé mentale a invité Paul Chabot à raconter son Golgotha, son périple dans cet univers glauque et mal famé.
Dans les locaux de l'organisme, à East Angus, une vingtaine de personnes se sont réunies pour l'écouter narrer sa lutte quotidienne contre cet ennemi qu'on ne nomme pas encore facilement tant les tabous sont puissants. Il a osé et son message a porté.
À 62 ans, Paul « Pax fly » Chabot sait enfin ce qui se passe dans sa tête. « Je suis une personne interposée ». Paul amorçait sa biographie d'homme aux prises avec la santé mentale par cet énoncé énigmatique. Faisait-il allusion à la stabilité émotionnelle que procure la médication et qui le maintient en équilibre entre « les hauts et les bas d'une diva », comme on dit en langage populaire? Y avait-il place pour une autre interprétation livrée à l'imagination de la vingtaine de personnes réunies pour l'écouter?
« Ce n'est pas moi qui m'apercevais que je n'étais pas correct, c'était les autres », confiait-il à son public. Non pas que Paul ne ressentait pas le tumulte créatif qui l'habitait et qui l'entraînait, depuis 2003, dans des séjours plus ou moins longs en clinique psychiatrique. Le circuit des vertigineux sommets et des abysses insondables l'a bousculé dans un réseau de montagnes russes inextricables, le laissant sans ressource.
« C'est dû à la dépression, ce sont des troubles d'anxiété généralisée », proposaient les spécialistes au début. Et à l'occasion d'une dernière visite, le verdict est tombé: fragilité bipolaire de type 3. La bipolarité s'avère difficile à diagnostiquer, déplore M. Chabot.
Assis, son texte en main, appuyé sur son coude comme sur une prothèse, la poitrine compressée par la tension, d'ailleurs, il s'est rendu compte que l'air manquait pour porter ses paroles, Paul s'est confié. L'effort déployé pour contenir le poids de ses émotions l'écrasait. Toutes les personnes dans la salle retenaient leur souffle comme pour le lui laisser afin qu'il poursuive son récit.
Chez ses parents, où il a vécu jusqu'à 30 ans, il a peint des fresques sur presque tous les murs de la maison et des tableaux mêmement. Entre autres, une de celles-ci représentait Jonathan Livingston, le goéland de Richard Bach, cet oiseau mythique modèle pour qui cherche à s'élever au-dessus de sa nature et qui accepte l'isolement inhérent à sa quête. La musique le stimulait aussi à tel point qu'on lui a donné une guitare pour qu'il puisse s'exprimer. La maladie mentale l'a foudroyé lors de sa troisième décennie.
Remis sur pied, Paul s'est lancé des projets grandioses, tous axés sur l'art et la composition. La flamme du génie créateur le faisait oser. Mais chaque fois, ses « blues » ne passaient pas la porte... Pourtant, il en a mis sur pied des cafés artistiques, des spectacles auxquels il a participé. Et ses femmes? Des ruptures! mais aussi quelques beaux attachements et une fille qu'il chérit.
Lors d'un séjour au Centre Nova, centre intégré de services pour des hommes souffrant de problèmes graves de santé mentale et des difficultés d'intégration et de développement, Paul a fait connaissance avec Pauline Beaudry, directrice de Virage Santé mentale. Il a participé à des ateliers d'art graphique. Il s'est lié d'amitié avec le personnel de l'organisme et les intervenantes du CSSS régional pour redécouvrir l'amour de soi. Avec l'aide de ces personnes émues aux larmes, qu'il a remerciées avec, dans la voix de gros « mottons », il a émergé d'un dernier épisode psychotique. Depuis, il travaille pour Virage comme aide-intervenant et donne des cours de peinture. À la demande générale, il a interprété deux compositions. Avec sa voix grave et des textes inspirés de l'environnement, c'est un Félix Leclerc qui « chante la nature, matrice confortable où épancher les trop », « au pied des volcans endormis pour l'instant » et où « un jour flottera le temps et plus rien ne bougera, outre le vent. »