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Nationalisme de ressentiment


Ces derniers temps, collé au phénomène de défense de l’identité québécoise, est apparu un nationalisme plus revanchard, plus centré sur la conservation de ce que nous sommes plutôt que sur notre ouverture aux autres.
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Photo : crédit photo: Pinterest; René Lévesque
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 30 octobre 2019

Dans la foulée de la dernière élection fédérale du 21 octobre dernier, il en est ressorti, comme je l'écrivais dans ma chronique de la semaine dernière sans connaître les résultats de l'élection, un pays plus divisé que jamais. L'un des fondements de cette division, mise à part la cassure entre la Saskatchewan et l'Alberta sous fond d'exploitation et de déploiement des ressources naturelles, est la réapparition dans l'échiquier politique canadien d'un parti voué à la souveraineté du Québec et élu sur la scène fédérale. Tentons d'analyser le phénomène de la résurgence du Bloc québécois sur la scène fédérale en regard du sentiment nationaliste au Québec. Pleins feux sur une vieille idée qui ne veut pas mourir.

L'origine du nationalisme québécois

Le nationalisme devient une réalité politique sur le territoire québécois au moment du mouvement des patriotes au 19e siècle dans les décennies 1830 à 1850. Cela coïncide avec l'émergence des États-nations de l'époque moderne. À cet égard, il faut témoigner de modestie si l'on veut faire du cas Bas-Canadien un cas d'espèce voire une singularité liée à notre exceptionnalité. Cela ne tiendrait pas la route si l'on prend soin d'examiner les faits historiques. Ainsi, durant cette période de l'époque moderne, des états nationaux apparaîtront dont ceux de la France, de la Belgique, de la Grèce et en Amérique les États-Unis d'Amérique, Haïti, le Chili, le Mexique, le Brésil, le Pérou, la Colombie et le Paraguay. Tous ces états sont nés par des luttes politiques et idéologiques et souvent par la force des armes. À la même époque, il y a eu aussi des échecs à certains de ces mouvements nationaux à s'établir comme État comme ce fut le cas en Irlande, en Écosse, en Allemagne et dans le Bas-Canada et le Haut-Canada.

Mais les états nationaux sont-ils le seul étalon de mesure pour attester de l'existence d'une nation, qu'en est-il des consciences nationales ? Sujet plus difficile à voir dans les sources et les archives. Cela fait l'objet de certains débats parmi les historiens. Certains historiens avancent qu'il y avait une conscience nationale au Bas-Canada avant cette époque en argumentant qu'il existait une identité culturelle distincte chez les Canadiens à l'époque de la Nouvelle France. Ils prennent à témoin les tensions qui existaient entre le Canadien Pierre de Vaudreuil et le général Louis-Joseph Montcalm. D'ailleurs, le journaliste Dave Noël a publié récemment un ouvrage sur Montcalm qui aborde la question des tensions avec Vaudreuil.

Néanmoins, on peut attester que le concept de « nation canadienne » apparaît bel et bien après l'acte constitutionnel de 1791, année du début du parlementarisme québécois.

Le nationalisme libéral d'inspiration républicaine

Doté d'un parlement colonial et doté d'une presse, le sentiment national commence à émerger pour prendre sa pleine mesure dans la foulée de la rébellion de 1837 et 1838-1839. Soutenue par une classe de professionnels canadiens et français opposés aux politiques coloniales de la Grande-Bretagne, l'idée de nation prend forme et s'installe à demeure dans les représentations collectives des populations. Ce nationalisme est libéral et d'inspiration républicaine.

Le nationalisme libéral et républicain occupera le devant de la scène pendant la période de la rébellion des patriotes de 1837-1838. Il s'abreuvera des idées révolutionnaires américaines et françaises. Après l'échec de ces rébellions et dans la foulée de l'imposition par la Grance-Bretagne de l'Acte d'union en 1841 qui va créer une union forcée entre le Bas-Canada et le Haut-Canada, le ton changera et le nationalisme républicain libéral déclinera au profit d'un nationalisme plus défensif qui véhiculera un sentiment de défaite vu son nouvel état d'infériorité dans un Canada-Uni et qui doit s'accommoder à la fois de l'impérialisme britannique et de l'ultramontanisme catholique. L'historien Yvan Lamonde vient de publier un livre chez Boréal où ces idées sont discutées de façon très accessible.

Le nationalisme de conservation

Cela serait une période qui va s'étendre jusque vers les années 1930 et qui sera lentement secouée par l'émergence de la modernité québécoise qui se déploiera jusqu'à la modernisation du Québec avec la Révolution tranquille en 1960. Cette période sera celle d'un nationalisme conservateur et catholique. La nation se conjuguait avec la famille nombreuse. Devant la crainte de disparaître et d'être assimilé par la majorité anglo-saxonne du Canada et du continent, on opposera un nationalisme renforçant le modèle des sociétés traditionnelles et en privilégiant l'union sacrée entre l'Église et l'État pour assurer le salut et la pérennité de la société devenue alors canadienne-française. On retrouve alors un nationalisme qui véhicule des idées comme le respect de l'autorité, l'obéissance à l'Église et à l'Empire et la censure des idées et de la littérature du siècle des Lumières. Dans cette mouvance idéologique, la survie du peuple (d'où la notion d'idéologie de survivance utilisée par les historiens pour décrire cette période) passe donc par l'obéissance à l'État, le contrôle des institutions sociales par l'Église et la promotion des valeurs traditionnelles. On fait souvent de Maurice Duplessis le symbole par excellence de cette époque, mais des recherches récentes montrent que ce n'est pas toujours aussi convaincant que nous l'avions cru jusqu'au milieu des années 80.

Le nationalisme contemporain

Puis, à la faveur de la Révolution tranquille et des bouleversements socio-économiques et démographiques à l'échelle de la planète, naît le nationalisme québécois contemporain qui s'abreuve aux valeurs de liberté, d'indépendance du Québec, d'affranchissement de la tutelle de l'Église catholique et même d'une volonté de régulation et d'intervention de l'État pour civiliser le capitalisme américain qui triomphe au Québec. Ce nationalisme contemporain a plusieurs variantes, mais le socle commun est l'affirmation d'une nation québécoise composée de francophones et de toutes celles et de tous ceux qui veulent bien se joindre au projet de réaliser la souveraineté du Québec. Ce projet a été porté par notre littérature, par nos chansons, par notre histoire et par de nombreux intellectuels. Celui-ci s'est échoué sur le récif de la réalité du refus à deux occasions de la population du Québec à se donner une feuille de route pouvant la mener sur les chemins ensoleillés de son indépendance du Canada.

Ce nationalisme est encore présent de nos jours, mais il prend de nouvelles formes.

Le nationalisme aujourd'hui

Plusieurs variantes existent aujourd'hui de cette vieille idée de nation québécoise. On peut les incarner dans deux courants. Un premier qui s'appuie sur l'idée que le seul aboutissement possible de la réalisation pleine et entière de l'épanouissement de la nation québécoise est la création d'un État souverain. C'est ce courant qui est porté et véhiculé par le Parti québécois, le Bloc québécois et Québec solidaire. Il peut exister de multiples variantes de cette idée parmi ses porte-parole, mais l'idée de fond c'est que le seul avenir pour le Québec c'est de devenir un pays capable de voter toutes ses lois, lever ses impôts et disposer des leviers pour mener une politique internationale. Le second courant s'appuie sur la notion que la « nation québécoise » est une « société distincte » libre de ses choix et capable d'assumer son destin. C'était le nationalisme de l'exception culturelle des libéraux de Robert Bourassa et de Brian Mulroney. Le nationalisme que je désignerais de « meechien ».

Ces derniers temps, collé au phénomène de défense de l'identité québécoise, est apparu un nationalisme plus revanchard, plus centré sur la conservation de ce que nous sommes plutôt que sur notre ouverture aux autres. Un nationalisme qui est frileux devant les différences des autres et l'immigration. Bref, un nationalisme de pâte identitaire, c'est ce nationalisme qui est celui promu par la Coalition avenir Québec et étonnamment par le Bloc québécois. Un nationalisme populiste qui colle aux préoccupations du Québec des régions, mais aux antipodes de celui des milieux francophones plus urbanisés. La division entre ces deux formes de nationalisme fonde en quelque sorte la fracture idéologique entre Québec solidaire, le Bloc québécois et le Parti québécois. Je qualifierais ce nationalisme identitaire et revanchard de nationalisme de ressentiment...

Note : les jaquettes des livres proviennent des éditions du Boréal


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