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La culture du ressentiment

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 20 juillet 2016

C'est l'été chez nous. C'est court l'été. Je m'efforce quand j'écris cette chronique d'aborder des sujets plus légers en juillet. Ce ne sera pas le cas aujourd'hui. Le dimanche 24 juillet, cela fera trois ans que j'écris ici dans EstriePlus. J'ai eu l'occasion d'aborder de tous les angles la question du terrorisme, de l'Islam, de l'immigration et de la politique étrangère du Canada. Le texte dont je suis le plus fier est celui que j'ai publié le 23 octobre 2014 intitulé Le ressentiment. Au lendemain des événements impliquant des loups solitaires à Ottawa et à Saint-Jean-sur-Richelieu, je mettais la pensée d'Albert Camus à contribution pour mettre à jour ce que j'ai appelé la culture du ressentiment.

Cette chronique et l'angle par lequel j'abordais le problème de la violence terroriste sont plus d'actualité que jamais. À la différence cependant que les « djihadistes », les « fous d'Allah » ou tout simplement les « malades mentaux » sont en train de réussir. Ils sont dans nos têtes et ils marquent des points dans leur volonté de faire disparaître notre civilisation et nos valeurs. Les analyses de qualité ne manquent pas. Juste dans son édition de samedi dernier, le quotidien La Presse+ nous en offre plusieurs sous la signature de Francis Vaille, Stéphane Laporte et Marie-Claude Lortie.

Aujourd'hui, pendant que la canicule sévit, l'actualité ne cesse de nous ramener à la violence avec ce qui se passe aux États-Unis et en France. Il convient de revenir sur la culture du ressentiment. Comprendre la complexité du monde contemporain.

La source de tout ce charabia

Pourquoi toute cette violence? Que faire pour l'endiguer? Faut-il endiguer la religion musulmane? Doit-on renoncer à nos modes de vie? Faut-il mettre fin à nos politiques d'accueil et d'immigration? Doit-on interdire la pratique de la religion musulmane ou de toutes les religions si elles sont source de violence? Faut-il intensifier la guerre au Moyen-Orient pour tuer tous les radicaux islamistes?

Il n'y a pas de réponses simples à ces questions qui sont toutes d'actualité. Je crois cependant avec toute la force de mes convictions que la solution au problème de violence nécessite une profonde remise en question du monde actuel et de ses fondements. Le capitalisme néo-libéral et tous ses excès, la culture de l'individualisme à outrance, le refus de réenchanter le monde par des valeurs humanistes solides, la culture d'une civilisation du spectacle et le désengagement des humains envers leur vivre ensemble sont autant de symptômes du mal actuel.

Je crois que la solution dite simplement consiste à cultiver la révolte pour combattre le ressentiment. C'est ce que l'on peut tirer comme enseignement de la lecture de L'homme révolté d'Albert Camus.

L'homme révolté d'Albert Camus

Albert Camus a publié L'homme révolté en 1951. Ce texte apparaît comme une suite au Mythe de Sisyphe où il traite du suicide et du caractère absurde de l'existence. Ces deux œuvres de Camus empruntent plus à la morale qu'à la philosophie, ce que lui ont reproché Sartre et ses amis. Il faut cependant rappeler qu'Albert Camus, nobélisé en 1957, a toujours défendu la vie humaine. Dans toute son œuvre, Albert Camus a toujours opposé l'absurde à la révolte et s'est dressé contre les réponses faciles qu'offrent les diverses religions : « Je ne puis comprendre qu'en termes humains. » (Le Mythe de Sisyphe)

Pour Camus, l'absurde n'est pas un savoir, c'est un état acquis par la confrontation consciente de deux forces. L'absurde c'est, selon Camus, la conscience toujours maintenue d'une fracture entre le monde et l'esprit. Pour Camus, l'homme doit s'abstenir de trouver des réponses à l'absurde dans les religions. Il doit s'obstiner à ne pas écouter les prophètes. « L'homme absurde n'accepte pas de perspectives divines, il veut des réponses humaines. » (Albert Camus, Wikipédia)

L'une des façons de faire face à l'absurde pour l'homme c'est de choisir le chemin de la révolte. La révolte pour Albert Camus devient une réponse dans laquelle il renoue avec son humanité en faisant corps avec les autres hommes. La fin justifie-t-elle les moyens? Non, répond Camus, ce sont les moyens qui justifient la fin.

Le ressentiment

Albert Camus dans L'homme révolté fait bien la distinction entre la révolte et le ressentiment. Il apparaît utile de partager avec vous ce qu'il en dit : « On peut encore préciser l'aspect positif de la valeur présumée par toute révolte en la comparant à une notion toute négative comme celle du ressentiment... Le ressentiment est très bien défini par Scheler comme une auto-intoxication, la sécrétion néfaste, en vase clos d'une impuissance prolongée. » (P.74-75, Albert Camus, Œuvres complètes, tome III, La Pléiade).

Pour Camus qui cite Scheler, le ressentiment n'est pas synonyme de révolte. Il n'y a pas d'idéal humain dans les gestes de l'homme du ressentiment. Il n'y a qu'aigreur et une immense douleur. L'homme du ressentiment ne veut pas changer le monde, il ne veut pas d'un ordre nouveau ni plus de pouvoirs. Il souhaite tout simplement mettre fin à son humiliation, à son impuissance et à sa fatuité. Un homme plein de ressentiment veut que l'objet de sa rancune soit frappé par sa douleur.

Alors que la révolte cherche à changer l'ordre des choses pour un monde meilleur, le monde du ressentiment veut provoquer la douleur pour atténuer les siennes. Voilà ce que nous rappellent les réflexions d'Albert Camus.

Cultiver la révolte

C'est pourquoi la relecture de L'homme révolté d'Albert Camus peut nous aider aujourd'hui à mieux comprendre les gestes assassins des terroristes comme celui de Nice. Que ces hommes pleins de ressentiment envers la société trouvent refuge dans l'islamisme radical pour donner un sens à l'absurdité de leur vie n'est qu'un épiphénomène. La vraie question qui se pose à nous est la suivante : laisserons-nous ces gestes isolés changer notre monde ou les laisserons-nous venir tuer l'esprit de révolte qui couve dans toutes les sociétés occidentales?

Si nous devons combattre avec toutes nos énergies les forces du ressentiment qui couvent dans notre société, nous devons néanmoins cultiver avec grand soin les pousses de révolte que nous retrouvons dans nos vies. Oui, le monde dans lequel nous vivons doit être transformé, mais pas à n'importe quel prix, ni avec n'importe quels moyens. Comme Albert Camus, nous croyons que la fin justifie peut-être les moyens, mais cela dépend des moyens mis en œuvre pour atteindre l'aboutissement de notre révolte. La révolte n'est rien d'autre que le combat des humains contre l'absurdité de leur vie. Ce qui compte c'est de ne pas nous laisser envahir par le ressentiment.

Rassembler les bons contre les méchants

Aujourd'hui, les maîtres d'œuvre de la culture du ressentiment sont en train de jouer dans notre tête. Ils nous dressent les uns contre les autres. Ils font de l'Autre une menace à notre sécurité. Nous avons peur. Nous nous réfugions dans les bras des populistes de droite et des idées simples comme de fermer nos frontières, de haïr les musulmans alors que ce que nous devons faire c'est de combattre les injustices de ce monde en nous rassemblant nous tous, les bons contre les méchants, ces méchants qui ne cessent de nous rendre semblables à une marchandise. Nous perdons le sens de la valeur de la vie humaine. Nous ne sommes que des spectateurs de nos vies en cultivant à outrance le culte du Moi en fuyant dans la course effrénée de la consommation.

Il faut, plus que jamais, encourager et cultiver la révolte contre l'injustice et combattre de toutes nos forces la culture du ressentiment.

P. S. Les citations d'Albert Camus de ce texte sont tirées de l'édition de ses œuvres dans la collection de la Pléiade. (Albert Camus, L'homme révolté dans : Albert Camus, Œuvres complètes, Tome III, « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 2008, p.61-365.) Des extraits significatifs de ce texte sont tirés de ma chronique du 23 octobre 2014 dans EstriePlus. C'est dire comment nous tournons en rond...


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