L'actualité foisonne cette dernière semaine. Pour quelqu'un
qui se met dans une posture de chroniqueur, ce ne sont pas les sujets qui
manquent. Il y a la guerre en Ukraine et ses atrocités quotidiennes ; la montée
de Marine Le Pen dans la course présidentielle française ; les silences
coupables du téléphone de Donald Trump le jour de l'invasion du Capitole le 6 janvier
2021 ; la publication du rapport du GIEC qui appelle à une transformation en
profondeur de nos modes de vie pour contrer le réchauffement politique ; le
dépôt du budget fédéral de la ministre Freeland qui s'est présentée à nous sous
les auspices nouveaux de la responsabilité et de la prudence fiscale ; la
décision du gouvernement Trudeau de donner son aval au projet d'extraction
pétrolière Bay du Nord à Terre-Neuve contre toute logique environnementale et
surtout l'impact de cette décision sur la crédibilité future du militant
écologiste devenu ministre Steven Guilbeault ; sans compter la politique
présentée contre les GAFAM par le ministre Pablo Rodriguez.
Le choix était vaste et de nombreux sujets suscitaient
l'inspiration pour l'auteur de cette chronique. Ce qui a cependant retenu mon
attention c'est les outrances des mots de divers acteurs. Des mots énoncés et
des idées qui se sont invités parmi nous comme des armes de destruction
massive. Ces mots, ces idées, ces outres de vents que relayent tant les médias
d'information traditionnels que nos réseaux sociaux nous donnent un portrait
peu enviable de nous, de nos façons de dialoguer et de vivre ensemble. Arrêt
sur l'image à propos de l'éthos politique du Québec contemporain. Ce qui nous
révèle en quelque sorte la « conditio hominis
quebeci ».
L'éthos, ça
mange quoi en hiver ?
L'éthos est un mot nous provenant du grec ancien et qui
signifie le caractère habituel, la
manière d'être, l'ensemble des habitudes d'une personne. Il se rapproche du comportement.
Il s'oppose au logos, qui représente la logique, le raisonnement et le
mode de la construction de l'argumentation et s'adresse à l'esprit rationnel de
l'interlocuteur, mais aussi à son pathos qui évoque sa sensibilité, ses
passions et ses émotions. Roland Barthes, ce philosophe et sémiologue français,
associait pour sa part, en s'inspirant de la rhétorique aristotélicienne, l'éthos
à l'émetteur, le pathos au récepteur et le logos au message. Cela
met bien la table au concept d'éthos politique québécois que je veux
partager avec vous ce matin.
La notion rhétorique d'éthos - l'image que l'orateur
construit de sa propre personne pour assurer sa crédibilité - a pris une
place de plus en plus considérable dans les débats depuis les années 1990.
On sait que la notion d'éthos a été
définie par Aristote comme l'image verbale que l'orateur produit de sa propre
personne pour assurer son entreprise de persuasion. Pour Roland Barthes, l'éthos
consiste en des traits de caractère que l'orateur doit montrer à l'auditoire
pour faire bonne impression, ce sont, selon Barthe, ses airs. En quelque sorte
la présentation de soi de la manière la plus avantageuse possible telle que l'a
démystifiée dans son œuvre le sociologue Erving Goffman. Les travaux de Goffman
réfèrent au fait que dans toute interaction sociale, même la plus informelle,
chacun projette à l'intention de son partenaire une image de sa personne qui
doit contribuer à la bonne marche de l'échange.
On comprend que l'éthos est en prise sur la
présentation de soi, la gestion des perceptions, mais au-delà de la volonté du
locuteur, cet éthos qu'il cherche à affirmer s'inscrit dans un processus
collectif où il n'est pas en contrôle des interactions produites et des
perceptions qui en découlent. L'éthos politique contemporain québécois
devient donc une conception du vivre ensemble qui permet de concrétiser des
valeurs dans l'action et qui peut soutenir une visée éthique du bien commun. L'éthos
politique inspiré des enseignements de son concept aristotélicien renvoie donc
à un ensemble de dispositions spécifiques d'un collectif en tant que modes
singuliers du vivre le
concept d'ethos renvoie à « une notion essentiellement politique de l'expérience constitutive
des liens de cohésion d'une collectivité » laquelle permet la concrétisation de valeurs
dans l'action.
Les outres de vents
Je ne sais pas ce que vous en pensez,
mais moi je trouve que la chaîne débarque solidement parmi les membres de la
classe politique et médiatique ces dernières semaines. Si j'ai pris le temps de
vulgariser la nature et la définition d'un éthos politique québécois,
c'est pour faire la démonstration qu'il est en mauvais état. Pas étonnant que
nous vivions des temps difficiles en matière de cohésion sociale et que le
dialogue est inexistant entre tout un chacun. Cette incapacité crasse à
dialoguer dans le respect donne droit à des outrances inqualifiables dans le
discours public. Les mots deviennent des outres de vents qui véhiculent colère
et haine. La détestation de l'autre est devenue notre sport national. Renfermé
dans nos bulles d'écho nous avons peine à faire la part des choses et souventes
fois nous employons des mots et des concepts qui sont surréels eu égard à la
situation qu'ils veulent décrire. Le régime de vérité a cédé sa place au régime
des vérités du ressenti. Notre éthos collectif est devenu un pathos
délétère ou le logos, la raison, n'a plus sa raison d'être. Cela est une
véritable catastrophe pour notre vivre ensemble qui se compare à l'effet du
réchauffement climatique sur la planète et à la guerre démentielle de Poutine
contre le peuple d'Ukraine. Nous ne pouvons pas nous rassurer en nous disant
que cela c'est chez les autres et que cela ne nous concerne pas. Des exemples
tirés de l'actualité récente le prouvent de façon éloquente.
Des exemples,
vous en voulez, en voilà...
La semaine dernière, le conseil
municipal de la Ville de Sherbrooke a adopté une politique de rémunération des
élus qui était l'un des éléments du programme de la nouvelle mairesse Évelyne
Beaudin. L'idée était de répartir autrement la même enveloppe budgétaire parmi
les élus en tenant compte des principes d'équité et de charges de travail.
Comme tout exercice d'établissements de critères, cela n'était pas parfait. Ce
qui étonne c'est que cet exercice comptable d'allocations des ressources dans
le cadre d'une politique de rémunération d'une organisation s'est transformé en
procès d'intention partisan à l'endroit de madame Beaudin à qui certaines
reprochent d'avoir favorisé les membres de son parti au détriment des
indépendants. Foutaise !
D'ailleurs, cela donne à penser qu'il
serait temps que l'on fasse une réflexion collective sur la rémunération de nos
élus de tous les paliers de gouvernement. Une idée lancée comme cela, pourquoi
ne pas donner aux élus un salaire équivalent à ses cinq meilleures années sur
le marché du travail plus une rémunération de base fixe de 25 000 $. Ce
qui donnerait une situation où un individu qui aurait gagné en moyenne 100 000 $
dans ses meilleures cinq années aurait un salaire de 125 000 $. Un autre
dont la moyenne salariale était de 47 000 $ obtiendrait une rémunération
de 72 000 $. Cela s'inscrit dans une logique où la politique est une
occupation temporaire et non un lieu où
l'on fait carrière. Le service public devrait être en quelque sorte une mission
plutôt qu'une job.
Autre exemple plus percutant
d'outrances c'est la décision de jeter sous l'autobus les ministres Marguerite
Blais et Danielle McCann dans la foulée de la crise gouvernementale caquiste
des décès dans le CHSLD Herron lors de la première vague de la COVID. Il y a
outrance dans le geste des fuiteurs, indignité dans le procédé de la fuite et
exagérations partisanes dans le procès fait au gouvernement dans la gestion de
cette crise. C'est inqualifiable tout ce cirque. J'ai peine à imaginer sur ce
que ressentent les familles concernées par ces décès.
L'éthos politique
magané
Ces deux exemples
parmi tant d'autres issus de l'actualité récente devraient convaincre que notre
éthos politique est gravement atteint. Notre vivre ensemble, notre
capacité de nous parler et de nous rassembler et notre confiance dans nos institutions
représentatives et démocratiques sont mis à mal. Nous sommes sans boussole et
nous risquons le naufrage démocratique...