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Naufrage démocratique

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 13 avril 2022

L'actualité foisonne cette dernière semaine. Pour quelqu'un qui se met dans une posture de chroniqueur, ce ne sont pas les sujets qui manquent. Il y a la guerre en Ukraine et ses atrocités quotidiennes ; la montée de Marine Le Pen dans la course présidentielle française ; les silences coupables du téléphone de Donald Trump le jour de l'invasion du Capitole le 6 janvier 2021 ; la publication du rapport du GIEC qui appelle à une transformation en profondeur de nos modes de vie pour contrer le réchauffement politique ; le dépôt du budget fédéral de la ministre Freeland qui s'est présentée à nous sous les auspices nouveaux de la responsabilité et de la prudence fiscale ; la décision du gouvernement Trudeau de donner son aval au projet d'extraction pétrolière Bay du Nord à Terre-Neuve contre toute logique environnementale et surtout l'impact de cette décision sur la crédibilité future du militant écologiste devenu ministre Steven Guilbeault ; sans compter la politique présentée contre les GAFAM par le ministre Pablo Rodriguez.

Le choix était vaste et de nombreux sujets suscitaient l'inspiration pour l'auteur de cette chronique. Ce qui a cependant retenu mon attention c'est les outrances des mots de divers acteurs. Des mots énoncés et des idées qui se sont invités parmi nous comme des armes de destruction massive. Ces mots, ces idées, ces outres de vents que relayent tant les médias d'information traditionnels que nos réseaux sociaux nous donnent un portrait peu enviable de nous, de nos façons de dialoguer et de vivre ensemble. Arrêt sur l'image à propos de l'éthos politique du Québec contemporain. Ce qui nous révèle en quelque sorte la « conditio hominis quebeci ».

L'éthos, ça mange quoi en hiver ?

L'éthos est un mot nous provenant du grec ancien et qui signifie le caractère habituel, la manière d'être, l'ensemble des habitudes d'une personne. Il se rapproche du comportement. Il s'oppose au logos, qui représente la logique, le raisonnement et le mode de la construction de l'argumentation et s'adresse à l'esprit rationnel de l'interlocuteur, mais aussi à son pathos qui évoque sa sensibilité, ses passions et ses émotions. Roland Barthes, ce philosophe et sémiologue français, associait pour sa part, en s'inspirant de la rhétorique aristotélicienne, l'éthos à l'émetteur, le pathos au récepteur et le logos au message. Cela met bien la table au concept d'éthos politique québécois que je veux partager avec vous ce matin.

La notion rhétorique d'éthos - l'image que l'orateur construit de sa propre personne pour assurer sa crédibilité - a pris une place de plus en plus considérable dans les débats depuis les années 1990. On sait que la notion d'éthos a été définie par Aristote comme l'image verbale que l'orateur produit de sa propre personne pour assurer son entreprise de persuasion. Pour Roland Barthes, l'éthos consiste en des traits de caractère que l'orateur doit montrer à l'auditoire pour faire bonne impression, ce sont, selon Barthe, ses airs. En quelque sorte la présentation de soi de la manière la plus avantageuse possible telle que l'a démystifiée dans son œuvre le sociologue Erving Goffman. Les travaux de Goffman réfèrent au fait que dans toute interaction sociale, même la plus informelle, chacun projette à l'intention de son partenaire une image de sa personne qui doit contribuer à la bonne marche de l'échange.

On comprend que l'éthos est en prise sur la présentation de soi, la gestion des perceptions, mais au-delà de la volonté du locuteur, cet éthos qu'il cherche à affirmer s'inscrit dans un processus collectif où il n'est pas en contrôle des interactions produites et des perceptions qui en découlent. L'éthos politique contemporain québécois devient donc une conception du vivre ensemble qui permet de concrétiser des valeurs dans l'action et qui peut soutenir une visée éthique du bien commun. L'éthos politique inspiré des enseignements de son concept aristotélicien renvoie donc à un ensemble de dispositions spécifiques d'un collectif en tant que modes singuliers du vivre le concept d'ethos renvoie à « une notion essentiellement politique de l'expérience constitutive des liens de cohésion d'une collectivité » laquelle permet la concrétisation de valeurs dans l'action.

Les outres de vents

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi je trouve que la chaîne débarque solidement parmi les membres de la classe politique et médiatique ces dernières semaines. Si j'ai pris le temps de vulgariser la nature et la définition d'un éthos politique québécois, c'est pour faire la démonstration qu'il est en mauvais état. Pas étonnant que nous vivions des temps difficiles en matière de cohésion sociale et que le dialogue est inexistant entre tout un chacun. Cette incapacité crasse à dialoguer dans le respect donne droit à des outrances inqualifiables dans le discours public. Les mots deviennent des outres de vents qui véhiculent colère et haine. La détestation de l'autre est devenue notre sport national. Renfermé dans nos bulles d'écho nous avons peine à faire la part des choses et souventes fois nous employons des mots et des concepts qui sont surréels eu égard à la situation qu'ils veulent décrire. Le régime de vérité a cédé sa place au régime des vérités du ressenti. Notre éthos collectif est devenu un pathos délétère ou le logos, la raison, n'a plus sa raison d'être. Cela est une véritable catastrophe pour notre vivre ensemble qui se compare à l'effet du réchauffement climatique sur la planète et à la guerre démentielle de Poutine contre le peuple d'Ukraine. Nous ne pouvons pas nous rassurer en nous disant que cela c'est chez les autres et que cela ne nous concerne pas. Des exemples tirés de l'actualité récente le prouvent de façon éloquente.

Des exemples, vous en voulez, en voilà...

La semaine dernière, le conseil municipal de la Ville de Sherbrooke a adopté une politique de rémunération des élus qui était l'un des éléments du programme de la nouvelle mairesse Évelyne Beaudin. L'idée était de répartir autrement la même enveloppe budgétaire parmi les élus en tenant compte des principes d'équité et de charges de travail. Comme tout exercice d'établissements de critères, cela n'était pas parfait. Ce qui étonne c'est que cet exercice comptable d'allocations des ressources dans le cadre d'une politique de rémunération d'une organisation s'est transformé en procès d'intention partisan à l'endroit de madame Beaudin à qui certaines reprochent d'avoir favorisé les membres de son parti au détriment des indépendants. Foutaise !

D'ailleurs, cela donne à penser qu'il serait temps que l'on fasse une réflexion collective sur la rémunération de nos élus de tous les paliers de gouvernement. Une idée lancée comme cela, pourquoi ne pas donner aux élus un salaire équivalent à ses cinq meilleures années sur le marché du travail plus une rémunération de base fixe de 25 000 $. Ce qui donnerait une situation où un individu qui aurait gagné en moyenne 100 000 $ dans ses meilleures cinq années aurait un salaire de 125 000 $. Un autre dont la moyenne salariale était de 47 000 $ obtiendrait une rémunération de 72 000 $. Cela s'inscrit dans une logique où la politique est une occupation  temporaire et non un lieu où l'on fait carrière. Le service public devrait être en quelque sorte une mission plutôt qu'une job.

Autre exemple plus percutant d'outrances c'est la décision de jeter sous l'autobus les ministres Marguerite Blais et Danielle McCann dans la foulée de la crise gouvernementale caquiste des décès dans le CHSLD Herron lors de la première vague de la COVID. Il y a outrance dans le geste des fuiteurs, indignité dans le procédé de la fuite et exagérations partisanes dans le procès fait au gouvernement dans la gestion de cette crise. C'est inqualifiable tout ce cirque. J'ai peine à imaginer sur ce que ressentent les familles concernées par ces décès.

L'éthos politique magané

Ces deux exemples parmi tant d'autres issus de l'actualité récente devraient convaincre que notre éthos politique est gravement atteint. Notre vivre ensemble, notre capacité de nous parler et de nous rassembler et notre confiance dans nos institutions représentatives et démocratiques sont mis à mal. Nous sommes sans boussole et nous risquons le naufrage démocratique...

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